Une répression géolocalisée
Article paru dans le Combat Syndicaliste de février 2013, toujours disponible auprès de la CNT Nantes.
Contre les opposants au projet d’aéroport, la justice sort systématiquement des mesures d’interdiction de séjour
Il faut bien parler en termes militaires puisque ce sont les gendarmes mobiles qui sont à la manœuvre : si l’opération César visant à « nettoyer » la zone des ses occupants, avait comme consigne de minimiser les blessés et les prisonniers, l’échec de l’offensive a revu les objectifs. Quelques semaines plus tard, onze gendarmes se sont infiltrés en civil, encagoulés, groupés, sur une barricade en plein dans le bocage, pour pousser à l’affrontement avec leurs collègues. Ils ont provoqué ainsi un flagrant délit leur permettant trois arrestations, en dévoilant vaguement, après coup, une petite plaque d’identification qu’il avaient autour du cou. Au passage, ils ont sommé les journalistes de ne pas les filmer, prétextant qu’un texte de loi interdisait de diffuser des images des policiers ou gendarmes infiltrés. Cette demande ne repose sur un texte légal que s’il appartenaient au peloton d’intervention de la gendarmerie, un genre de sous-GIGN qui intervient parfois en civil. L’ensemble des journalistes présents, sauf une photographe pigiste, s’est autocensuré, arrêtant les caméras. La diffusion par cette pigiste des photos de ces pandores en civil, têtes baissées (donc non reconnaissables), menottant un militant à terre, a obligé la préfecture à admettre que les faits s’étaient bien passés comme ça.
Interdit de séjour
La phase judiciaire de la répression a pris une tournure particulière en assortissant les peines de taule d’ »interdictions de paraître » (l’interdiction de séjour habituelle pour les truands, étendue aux maris violents, très inhabituelle contre les militants de mouvements sociaux). C’est comme ça pour les procès de militants anti aéroport depuis quelques années, pour entartage d’un élu, pour dispersion d’échantillons de terre provenant de sondages et carottages de terrain. Interpellé par les gendarmes infiltrés, Cyril, un des derniers condamnés a écopé de 5 mois ferme et autant avec sursis, avec une interdiction de paraitre dans le département, sauf dans la petite commune où il habite. Son boulot étant tailleur de pierre, autant dire qu’il a aussi été condamné de fait à une interdiction de travailler. L’appel a été fait mais il n’y a pas de date d’audience. Possible qu’on lui accorde cette deuxième chance une fois qu’il aura purgé presque toute sa peine.
Interdiction de manifester
Question délire judiciaire, on a même eu au printemps une réquisition du proc’ à Saint-Nazaire demandant une interdiction de manifester durant un an sur le site de l’aréoport pour sanctionner le paysan Sylvain Fresneau, expropriable sous six mois. On lui reprochait d’avoir manœuvré son tracteur face à un cordon de robocops, ce qui faisait du tracteur une « arme par destination ». Plus précisément le « fait de violences contre les gendarmes avec usage ou menace d’une arme, en l’espèce un tracteur ». Il n’y avait eu ni blessé ni même contact. Là aussi, dans les mouvements paysans, la saisie d’un outil de travail par la justice, c’est du jamais vu. Le tracteur ne lui a été rendu qu’un bon mois après. Il n’a finalement écopé que d’un mois avec sursis. C’est cher payé pour avoir reculé son tracteur. Quant à l’interdiction de manifester, [elle] n’a pas été suivie dans le jugement. On voit mal comment on aurait pu l’appliquer puisque cette mesure aurait été anti constitutionnelle. À moins d’avoir un recours acrobatique à la ressucée de la sinistre loi anti casseurs des années 70s, qui peut désormais criminaliser des participations à des attroupements illicites. Il s’agit de la « loi sur les violences en bande », officiellement « loi n° 2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public », adoptée par le Parlement en juin 2009, et entérinée par le Sénat en février 2010. Un héritage de Sarkozy qui est donc parfaitement en vigueur, et qui a créé le délit de participation à une « bande violente », passible d’un an de taule et jusqu’à 15’000 euros d’amende. Ce nouveau délit de l’attirail répressif est différent des qualifications pénales pré-existantes et maintenues, association de malfaiteurs, bande organisée. La social-démocratie n’a jamais parlé d’abroger cette atteinte aux libertés. Au contraire, elle l’utilise à qui mieux mieux contre les militants. Le changement quoi ?
Nico, Interco Nantes