[Venezuela] La mort d’un chef d’État bourgeois / L’assassinat de Sabino Romero

La mort d’un chef d’État bourgeois

Il n’est pas dans les habitudes de l’Initiative Communiste-Ouvrière de commenter les décès des « grands de ce monde ». Mais avec la mort d’Hugo Chavez, de nombreux groupes, partis et organisations de la gauche radicale ou même de l’extrême-gauche multiplient les communiqués pour saluer « le révolutionnaire », et au mieux, lorsque des critiques sont formulées comme son soutien aux dictatures de Libye, de Syrie ou d’Iran, elles sont faites comme si le président vénézuélien avait été « un camarade avec qui on avait des divergences ».

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Non, Hugo Chavez n’était pas de notre camp, celui des travailleurs. La base de son opposition aux États-Unis, qui plait tant à la gauche anti-impérialiste, était celle du nationalisme, c’est-à-dire une opposition verbale à des dirigeants de multinationales américaines pour mieux défendre les intérêts de la bourgeoisie nationale vénézuélienne. Au-delà des discours populistes et anti-impérialistes, l’État géré par Hugo Chavez a toujours su s’en prendre avec violences aux militants ouvriers et en particulier à ceux qui luttent pour des syndicats indépendants de l’appareil d’État et du patronat. Comme dans les autres pays du monde, l’appareil d’État au Venezuela, dirigé par Chavez, est toujours resté un instrument de la bourgeoisie tourné avant tout contre la classe ouvrière.

Pour nous, travailleuses et travailleurs, il n’y a pas de larmes à verser sur la mort d’un chef d’État bourgeois, que ce soit en Europe, en Amérique Latine ou ailleurs. Nous avons déjà bien assez de larmes à verser pour celles et ceux de notre classe qui meurent chaque jour sous les coups de la répression ou brisés par l’oppression quotidienne de l’exploitation capitaliste.

Initiative communiste-ouvrière, 7 mars 2013

 

L’assassinat de Sabino Romero

Dans la nuit du 3 mars 2013 sur la route de Chaktapa, a été assassiné dans la Montagne du Perijá (état de Zulia), le « cacique » (chef indien) yukpa Sabino Romero, connu pour sa défense des droits du peuple yukpa.

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Depuis le 13 novembre 2003, date à laquelle le président Hugo Chavez annonça dans El Menito, Lagunillas, la multiplication par trois de l’exploitation du charbon à 36 millions de tonnes annuelles dans les territoires habités par différentes ethnies aborigènes, Sabino Romero forma partie des communautés indigènes qui se mobilisèrent pour refuser les conséquences sur ses territoires de l’expansion de la mégaminerie dans la région. La lutte de Sabino avait pour objectif l’obtention de la démarcation et titulariat des territoires indigènes. Pour obtenir cela il réalisa différentes mobilisations, tant dans l’état de Zulia comme à Caracas, utilisant différentes méthodes de lutte, comme l’action directe et l’occupation de terres indigènes aux mains des éleveurs de bétail.

Les niveaux d’autonomie de Sabino Romero dans sa lutte motivèrent une stratégie partagée entre tous les facteurs de pouvoir régionaux et nationaux intéressés à continuer l’exploitation des terres indigènes. En 2009, deux communautés, l’une d’elles avec Sabino Romero, occupèrent une ferme en Chaktapa, Zulia, pour dénoncer le blocage du processus de démarcation. L’exécutif national mis en place une stratégie pour diviser les occupants, et dans un acte très obscur, trois indigènes furent assassinés. Cela fut l’excuse parfaite pour reprendre militairement la ferme et criminaliser Sabino Romero, qui resta 18 mois en prison accusé d’homicide pour ce fait… Pendant ce temps, les éleveurs de bétail l’accusaient d’être un voleur de bétail et les moyens d’information privés de la région intensifiaient la guerre sale contre la lutte indigène, avec l’appui de leurs alliés à Caracas : le ministre de l’Intérieur et de la Justice, Tareck El Aissami, et la ministre des peuples indigènes, Nicia Maldonado. Et pendant que le chavisme autocratisé faisait distraction sur la lutte indigène avec délations, excuses et spectacles médiatiques chaque 12 octobre, d’autres secteurs du chavisme isolaient Sabino Romero et les yukpas de la solidarité d’autres mouvements sociaux et révolutionnaires indépendants du contrôle de Miraflores, le Palais Présidentiel. La stratégie, depuis tous ces fronts, était réalisée par tous et pour chacun des bénéficiaires de l’économie primaire exportatrice de minéraux et énergie dans le pays.

L’assassinat d’un militant yukpa est déguisé sous des versions officielles qui tentent de cacher les vrais responsables. Ces versions sont amplifiées par le journal officiel Panorama, connu pour ses généreux encarts publicitaires reçus par les corporations de l’État PDVSA, Corpozulia et Carbozulia, et avalisées par les organismes policiers et militaires, les mêmes qui ont harcelé les communautés indigènes de la Montagne du Perijá en complicité avec les éleveurs de bétail de la zone. Il est très significatif que le plan d’assassinat que Sabino avait dénoncé ait été perpétré maintenant que l’État de Zulia est sous le contrôle politique des bolivariens. Comme dans le cas d’autres militants sociaux assassinés, les scandales médiatiques officiels seront une carte blanche pour l’impunité.

La lutte de Sabino Romero affrontait, de fond, le modèle de développement basé sur l’extraction et commercialisation de ressources pétrolières, de gaz et de minéraux sur le marché mondial, rôle assigné au Venezuela par la globalisation économique. Le capitalisme pétrolier étatique laisse de côté les conséquences sur le milieu naturel, de même que sur les communautés paysannes et indigènes. La vraie cause de l’arrêt de la démarcation et dévolution des terres indigènes est que dans ces terres se trouvent les ressources minérales pour être exportées. C’est pour cela que la résistance de Sabino était une résistance au modèle extractif. C’est pour cela qu’il fallait le faire disparaître, de n’importe quelle manière. C’est pour cela qu’il y a déjà 13 yukpas morts, assassinats restés impunis jusqu’à aujourd’hui. Et comme le démontra le jugement contre les organisations qui apportaient leur appui à cette lutte (Homoetnatura et Provea), il fallait leur enlever tous les appuis possibles.

Depuis El Libertario, nous dénonçons l’assassinat de Sabino Romero et nous continuerons à diffuser les luttes indigènes et les luttes sociales avec des niveaux d’autonomie. Sabino forme partie maintenant de la liste de combattants assassinés pendant le gouvernement bolivarien pour défendre leurs droits, à coté de Mijaíl Martínez, Luis Hernández, Richard Gallardo et Carlos Requena.

L’unique polarisation sociale et politique que nous les anarchistes nous reconnaissons est celle qui existe entre ceux qui gouvernent et ceux qui obéissent, entre puissants et faibles, patrons et travailleurs, enfin, entre victimes et bourreaux. C’est pour cela que nous ne demanderons rien aux bourreaux. Nous n’attendons rien de leur parodie de Justice, ni des larmes de crocodile des bureaucrates qui ont conduit Sabino à la mort. Comme hier, aujourd’hui et demain, nous continuerons à être mobilisés avec tous ceux qui luttent dans le pays contre le pouvoir, jusqu’au jour où le sang des nôtres pourra être revendiqué publiquement.

Journal El Libertario, 4 mars 2013

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