CQFD, une autre Zone à défendre (ZAD)
Dix ans, toutes ses dents mais plus un rond !
« Il reste 217 dollars dans les caisses de l’État zimbabwéen », annonçait récemment le site d’informations d’un journal de banquier. Voilà qui nous situe à peu près sur l’échelle globalisée de la fortune : CQFD est aussi riche, à quelques dizaines de dollars près, que le trésor public du Zimbabwe. Les sous qui nous restent ne suffiront même pas à payer l’impression du prochain numéro. Si nous vivions dans un monde raisonnable, les Zimbabwéens se la couleraient douce, les banquiers feraient la manche au feu rouge et CQFD triompherait. Mais nous vivons dans un monde déraisonnable où les flibustiers de la presse libre crèvent la gueule ouverte. CQFD, qui ouvre la sienne depuis dix ans, risque bien cette fois de devoir la fermer, et pour de bon.
En mai 2003, quand nous avons lancé notre premier numéro depuis la tanière marseillaise qui nous sert de vaisseau amiral, nous étions raisonnablement convaincus de ne pas faire de vieux os. Notre idée, c’était de faire le journal qu’on avait envie de lire, un journal sans chefs ni patrons, sans comptes à rendre ni bailleurs à cajoler, un canard d’expression directe pour les insoumis chroniques, les passe-frontières têtus, les aventuriers des minima sociaux, les déserteurs du marché salarial, les artistes de la grève, les bricoleurs de solidarités épiques, les réfractaires à l’ordre des choses. Une équipée collective de débrouillards impécunieux mais gourmands d’utopies, une exploration sociale menée au rire et à la sueur contre les vents dominants. Forcément, un tel journal n’était pas fait pour durer. Dix ans plus tard, pourtant, on est toujours là. Certains ont quitté le navire, d’autres sont montés à bord. On a bravé le mal de mer, le scorbut et les requins. On a tangué, on a morflé, on a tenu bon. On a vu du pays, tissé des réseaux, élaboré un savoir-faire, perfectionné l’art de produire un journal exigeant avec des bouts de ficelle et de belles rencontres. Bref, on y a pris goût. C’est vous dire qu’on n’a pas l’intention de lâcher l’affaire.
Mais, pour que l’aventure continue, on a besoin de vous. Et surtout de vos euros ! Oui, amis lecteurs fidèles ou épisodiques, compagnons d’escale ou camarades au long cours, vous avez bien entendu : le sort de CQFD est suspendu à vos poches, aussi dégarnies ou trouées soient-elles – et, peuchère, elles le sont vraisemblablement autant que les nôtres…
Comment une publication aussi rodée à la mouscaille en arrive-t-elle à la pénible extrémité d’appeler ses lecteurs à la rescousse ? Le cri de détresse pour journal sur la paille va-t-il devenir un genre, une discipline enseignée dans les écoles de journalisme, avec ses figures de style et ses trémolos savamment dosés ? Pourquoi la « crise de la presse », qui est une crise d’affairistes pleurnichards et vaniteux, ébranle-t-elle aussi à des degrés divers la quasi-totalité des journaux non marchands, dits « petits » ou « alternatifs », CQFD parmi tant d’autres ?
Il y a plusieurs explications. La première tient bien sûr à la démobilisation des lecteurs. Depuis notre campagne d’abonnements de 2008, le nombre de nos abonnés n’a cessé de s’effriter, passant de quatre mille à deux mille en cinq ans. Nos ventes en kiosques ont suivi une pente à peine moins rude, avec deux mille exemplaires écoulés aujourd’hui contre trois mille en 2008. Imputable sans doute aux effets cumulés de la lassitude, des fins de mois longues et difficiles et d’une désaffection générale pour la presse papier, cette dégringolade s’avère d’autant plus funeste pour nous que CQFD – encore heureux ! – ne dispose d’aucune ressource publicitaire, capitalistique ou népotique. À la différence d’une feuille moribonde comme Libération, qui peut toujours se blottir dans le giron moelleux d’un Rothschild, biberonner les subventions publiques (2,9 millions d’euros en 2012 [Source : la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC). À noter que le quotidien d’extrême droite Présent bénéficie lui aussi de cette manne étatique, avec une subvention de 227’000 euros en 2012.]) ou éditer un sac à pubs en guise de supplément, le mensuel au chien rouge ne peut compter que sur ses lecteurs. Plus précisément : ses lecteurs payants. Car l’audience de CQFD s’étend évidemment bien au-delà de son carré de fidèles solvables, grâce à ses abonnements gratuits pour les détenus et, surtout, à la mise en ligne gracieuse de ses articles sur son site Internet, auprès duquel des foules innombrables viennent avidement s’abreuver chaque mois. Et c’est très bien comme ça. Mais ce serait mieux encore si nos lecteurs sur écran franchissaient le pas jusqu’au kiosque, au bulletin d’abonnement ou à la bibliothèque municipale, au besoin pour exiger haut et fort que CQFD s’y trouve en bonne place, et en plusieurs exemplaires, s’il vous plaît.
La raréfaction des lecteurs « papier » n’a pas qu’une incidence économique. Elle assèche aussi le terreau social dans lequel un journal comme le nôtre puise sa force. C’est parce que ses exemplaires circulent de main en main que CQFD peut multiplier les rencontres stimulantes, obtenir des informations, s’ouvrir des pistes, être là quand ça chauffe, se faire engueuler, trouver de quoi réfléchir, parler, agir, écrire, dessiner, photographier. C’est pour ça qu’on y tient, à notre version papier : pas question de se recroqueviller sur Internet, outil oh combien précieux mais qui dématérialise et finalement dévitalise le rapport d’un journal à sa matière organique. Sans compter que le vacarme des imprimeries et l’odeur du papier, nous, on aime bien.
Seulement le papier coûte cher, de plus en plus cher. L’encre, les rotatives, tous les coûts de fabrication : hors de prix. Et puis, il y a Presstalis. Le géant de la distribution de presse en France, qui taille à grands coups de serpe dans ses effectifs et impose aux kiosquiers des conditions de vente si retorses qu’elles clochardisent littéralement toute une profession. La « crise de la presse » a bon dos. Les ventes s’effondrent, d’accord, mais la faute à qui ? Outre l’indigence de l’immense majorité des publications dont les Unes fétides dégueulent au nez du piéton, la stratégie d’étouffement appliquée aux titres à faible tirage rend de moins en moins attractif le détour par le marchand de journaux. Le cas de CQFD est parlant. En vertu d’une politique commerciale consistant à évincer les petits pour donner encore plus de place aux gros, Presstalis « répercute » sur nous une avalanche de frais dont les modes de calcul écœureraient un capo de la mafia new-yorkaise. Il y a deux ans, nos ventes en kiosques nous assuraient une recette astronomique de deux milles par mois, de quoi couvrir les frais d’impression du numéro suivant. Aujourd’hui, à volume égal, ces ventes ne nous rapportent plus que six cents euros. Même pour nous, c’est peu. Quand tous les canards indépendants auront été virés du circuit, quand les kiosques auront été remplacés par des boutiques Relay exclusivement dédiées aux programmes télé, aux DVD sous blister, aux cours de la Bourse, au péril islamique, aux régimes minceur et aux éditos de Christophe Barbier, sûr que la « sortie de crise » sera enfin au rendez-vous.
D’autres facteurs concourent à notre débine actuelle. L’affaiblissement temporaire des mobilisations sociales se traduit mécaniquement par une forte chute des ventes militantes, qui à d’autres périodes nous revigoraient en petite monnaie et bons moments. Si on ajoute à cela la suspension des regrettées éditions du Chien rouge et des revenus annexes tirés de la vente de nos livres, la faillite de notre diffuseur en librairies, Court-Circuit (huit mille euros dans la vue), et les coups de mou qui résultent inévitablement d’une pareille série rose, on comprendra que nos coffres sonnent creux.
Pour les renflouer à un niveau opérationnel, il nous faut de toute urgence réunir, quoi… dix mille euros ? Cent mille, pour travailler vraiment à l’aise. Allez : dix mille euros, là, tout de suite, suffiraient au bol d’oxygène dont nous avons besoin pour repartir illico presto. C’est jouable, non ? Cinq cents chèques de vingt euros, ou mille chèques de dix, ce n’est pas la mer à boire, si ? Envoyez la monnaie, souquez les euros ! Abonnez-vous si ce n’est déjà fait. Réabonnez-vous si vous hésitez encore. Incitez vos cousins, vos frangines, vos voisins de comptoir et vos compagnons de bordée à faire de même. Nous comptons sur vous. Gros comme une maison, votre élan de solidarité va encore nous saboter notre droit à la paresse pour les dix prochaines années !
CQFD
BP 70054
13193 Marseille cedex 20
Chèque à l’ordre de Rire/CQFD