Tel est pris qui presse écrite
Arrivé à Nantes, je me dirige alors vers Notre-Dame-des-Landes, afin de m’établir temporairement sur le lieu de vie des opposant-e-s à l’aéroport.
Vers vingt heures, j’arrive à la Vacherie. Lieu convivial ou vienne se reposer les plus fatigués. Ce lieu permet également de stocker des vêtements, de la nourriture, des médicaments… Il y a aussi une cantine qui fournit en permanence des repas chaud (délicieux au passage). Dès mon arrivée, on me propose un café et du tabac. On prend le temps de m’expliquer la géographie du lieu, les endroits où je peux dormir, bref, au bout d’un quart d’heure je suis briffé. Je reprends mon sac et décide de faire le tour du « propriétaire ». Au fur et à mesure de ma visite, bien qu’il fasse nuit, je ne peux que me rendre compte de la vie qui règne sur le site, partout des gens, qui construisent, rigolent, chantent, organisent, aménagent. Certains sont frais et dispos, d’autres sont usés et fatigués. Certains sont propres, d’autres sont des blocs de boue. Il se fait tard, je vais me coucher.
Je crois que c’est le lendemain que je réalise la beauté du lieu. À l’aurore, sur un lever du jour humide et timide, de beaux champs s’offrent à moi, le sol est composé d’une terre glaiseuse tantôt jaune ou verte qui sous un soleil ras offre des couleurs magnifiques, la forêt, quant à elle, semble inviter à la promenade et celui qui s’y aventure pourra découvrir une diversité d’oiseaux, de reptiles, de lichens, de champignons à faire pâlir n’importe quel amoureux des beaux endroits. Je continue ma balade matinale. C’est au détour d’un chemin que je croise une pancarte qui me rappelle ce qui va se passer ici. Avec des mots rudes tels que « béton », « avion », « parking » je me souviens que tout est amené à être rasé, que l’air frais sera remplacé par des odeurs des carburants, des plateaux repas, des annonces d’horaires de vol.
Je vais à la rencontre des personnes qui construisent les cabanes. Sur place, des créteux, des agriculteurs, des draideux, des militants politiques, des habitants.
Ici on apprend. Faire une charpente avec du bois de récupération c’est tout un art. Faire du torchis aussi. Durant deux jours je regarde les constructions s’avancer, on apprend aussi à reconnaître les plantes, on apprend à se soigner autrement, à vivre ensemble, à avoir une bonne fatigue. Les gens qui occupent le futur site de l’aéroport savent se prendre en main, cultiver, fabriquer, vivre, partager, je n’ai pas vu de clichés, les baba-cool feignants n’existent pas, les extrême gauchistes non plus, les agriculteurs chauvins ne sont qu’une légende. Je n’y ai vu que des gens déterminés à vivre autrement, et ils le font ! En total accord avec leurs idées respectives, chacun et chacune y trouve son compte.
Un soir la police accentue les contrôles à l’entrée du site, pose des herses sur le sol pour empêcher les voitures de passer avec du matériel. Plusieurs habitants décident alors de réagir. Il faut que les gendarmes quittent leur point de contrôle. Un fossé bête et méchant sépare ce qui se passe sur le site de la mission des forces de l’ordre. D’un côté une vie, de l’autre un ordre. C’est alors qu’une centaine de personnes caillasse et charge les gendarmes qui n’ont d’autre choix que de reculer. Sans haine, mais avec fermeté, le carrefour est libéré. Ceux qui ne sont pas d’accord avec ce mode d’action « radical » le font savoir, mais restent solidaire. On est bien loin des manifs lycéennes où la moindre action qui n’est pas partagée par tous crée le cliché du « bon » et du « mauvais » manifestant.
Après l’échauffourée, la route est nettoyée par les activistes pour permettre aux riverains de passer. Tout le monde se rentre, demain il faut continuer de construire.
Le lendemain, je discute avec un agriculteur des événements de la veille :
« Tu sais, avec ce que la police et la gendarmerie nous a fait, devenir un peu plus radical est dans l’ordre des choses, je crois que même le plus pacifiste d’entre nous peut facilement avoir envie de se défendre. Je me suis fait gazer l’autre coup, ça fait mal ! On est chez nous ici. (…) Je déteste pas les flics, c’est juste qu’entre la légitimité d’une lutte et la légalité il y a un fossé qui n’est pas reconnu, et eux, avec nos impôts comme salaires, ils se permettent les pires choses, sans réfléchir. Ce qu’ils font n’a pas de sens ! Comment prétendent-ils nous protéger alors qu’ils nous frappent ? Sérieusement, moi je me remettrais en cause. Je serais ravi de discuter avec eux mais j’ai plus en plus de mal à les considérer comme des êtres humains aptes à raisonner.
Quant à François Hollande, je ne vois pas ce qu’il y a de socialiste dans sa politique. Comme le Parti communiste d’ailleurs, eux aussi soutiennent le projet de l’aéroport. Ce sont des traitres… »
Je dois déjà repartir, assez étonné de ce que j’ai pu voir sur place, à mille lieues de ce que je pouvais imaginer. Je suis arrivé en tant que journaliste rempli de préjugés, je repars avec un gout bizarre dans la bouche et une folle envie de revenir, mais sans crayon ni calepin, et encore moins avec un appareil photo. Au passage je devais prendre des photos pour illustrer mon article, je les ai regardées en rentrant, ce n’était pas des photos de presse, c’était des photos souvenirs de gens qui sourient, qui construisent, bref, des photos de potes.
À tous les journalistes qui continuent à écrire de loin, sans forcément savoir vraiment ce qui se passe, allez donc passer un peu de temps sur place, touchez du doigt la créativité du lieu, rencontrez ces gens soit-disant « dangereux », je vous mets au défi de faire votre papier sans avoir chaud au cœur, sans prendre parti, et sans avoir envie de revenir.
Désormais, moi aussi, je ne lâcherai rien.
Zone À Défendre, 6 décembre 2012
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