Résistance au Val de Susa : d’un mouvement d’autodéfense à la réappropriation, sur la base de l’auto-organisation
Depuis plus de 20 ans, le Val de Susa est en résistance contre le projet aux profits juteux d’une ligne TGV allant de Lyon à Turin. Le Lyon-Turin est un projet de nouvelle liaison ferroviaire à travers les Alpes, qui prévoit notamment de creuser le plus long tunnel d’Europe (plus de 50 km) dans une montagne contenant des roches riches en amiante et en uranium. C’est aussi quinze ans de travaux et des millions de mètres cube de déblais en Maurienne et dans le Val de Susa, au débouché italien du tunnel. Lancé en 2001, le projet devrait être achevé vers 2023 et coûter la modique somme de 25 milliards d’euros.
« Dans le val de Susa italien, la résistance est depuis vingt ans massive et populaire. Les habitant.e.s de la vallée organisé.e.s en “comités Notav” (Tav = train à haute vitesse, le Tgv italien) ne se contentent pas de manifs monstre (80’000 personnes à Turin en 2005, encore 50’000 à Susa en mai 2011), illes ont construit des baraques permanentes sur les sites de carottage, où les militant.e.s de tous âges et classes sociales peuvent se retrouver et s’informer dans la convivialité. Parfois rasés par la police ou incendiés, ces “presidio” sont reconstruits illico presto ! »
En effet, les habitants de la vallée s’organisent par de très nombreux « Presidio », c’est-à dire des baraquements permanents où se relaient des groupes de veille et d’autodéfense, coordonnés par radios et talkies-walkies, qui permettent de faire de l’information mais aussi de prévenir des mouvements de la police, de faire la jonction avec les villages et bourgades environnants, et de maintenir une vigilance à long terme qui prend parfois la forme chaleureuse et solidaire de petites fêtes ou repas populaires dans une atmosphère collective de camaraderie et de lutte. Ces Presidio sont situés dans toute la vallée, même jusqu’à Turin, et les flics ne parviennent à les éradiquer.
Ainsi, à chaque offensive policière d’envergure avec des engins de chantier, année après année, les Presidio alertent la population de la vallée qui descend par dizaines de milliers (entre 30 et 80’000 à chaque fois depuis 2004-2005) bloquer les mouvements de flics, saboter les engins de chantier, protéger les zones de chantier, bloquer les routes, occuper des collines, etc. En 2005, les Carabinieri, acculés par centaines au milieu de la population déterminée à les chasser, avait reçu l’autorisation de tirer à balles réelles. Ils ont préféré ne pas user des armes et se sont repliés la tête basse en lignes au milieu de la foule qui leur envoyait crachats, injures et pierres.
Si cette lutte est portée par la population de la vallée organisée en Comités No Tav qui procèdent par Assemblées Populaires dans les villages et les Presidio, elle est souvent soutenue par les habitants de Turin, les groupes radicaux tel Askatasuna (communistes autonomes), écologistes, régionalistes et indépendantistes, anticapitalistes, anarchistes, etc. ; d’où une grande diversité dans le contenu politique des discours portés dans les « Assemblea » et dans les modes d’action qui se complémentarisent : manifs monstres, blocages des routes et grands axes, barricades, occupations de terrains et de bâtiments, Presidio, affrontements directs, sièges, marches aux flambeaux, etc.
Cette année 2011 est un tournant décisif pour l’issue de cette formidable résistance populaire de longue haleine, puisque le début des travaux doit absolument commencer avant le 30 juin, sous peine que les 671 millions d’euros de la communauté européenne pour réaliser la ligne TGV Lyon-Turin ne soient pas versés. Aussi, depuis un mois s’est monté et construit le désormais célèbre Campement de la Maddalena, un Presidio plus grand en mode village autogéré, situé à l’endroit exact où les chantiers doivent effectuer les premiers forages pour le tunnel de la ligne TAV. Politiquement, la Maddalena s’est déclarée République Libre et Indépendante, avec un discours fort pour la réappropriation et l’autonomie de la vallée sous forme de Commune.
L’État italien sait perdre ces près de 700 millions d’euros en cas de non commencement des travaux, les Valsuzains savent pouvoir faire abandonner le projet TAV au bout de 20 ans en tenant les lieux et empêchant les travaux de s’effectuer. Plus de compromission possible, la guerre est totale contre l’État.
Face à l’imminence d’une attaque policière d’envergure, qui mobilisera finalement 3000 hommes ; c’est-à-dire 2000 Carabinieri, Guardi di Finanza et Guarda di Foresteri, Polizia et une brigade des commandos des forces spéciales antiterroristes sur le terrain et 1000 hommes encore en réserve à Turin dont des soldats ; la Repubblica Libere di la Maddalena lance un appel local, national et international à la solidarité et à la résistance directe en rejoignant le campement à partir du 21 juin.
Pour la population sur les lieux, de la Maddalena, de Chiomonte ou Bussoleno (villages voisins), Torino (Turin) et les nombreux français venus en renforts, femmes, hommes, enfants, anciens, retraités, tous formidablement fiers et déterminés, les choses sont claires et tous en ont conscience avec une détermination calme et joyeuse : la bataille s’annonce terrible.
La République Libre et Indépendante, ou encore, la Commune de La Maddalena
La Commune de la Maddalena, située à 730 mètres d’altitude en flanc de montagne des Alpes, est une sorte de petit village autogestionnaire avec deux cuisines (celle non vegan davantage autogérée par les « no Tav », et celle vegan autogérée par les anarchistes et radicaux), une caravane Media Center qui contient une plate-forme internet Indymedia et autre ainsi qu’une Radio Pirate de résistance — No Tav 88.7 —, une tente Medical Team, une zone de musique et concert avec scène, un parking, une zone atelier et confection de barricades mobiles et boucliers, des sanitaires, une tente d’exposition de photos explicatives et informatives sur le projet TAV avec notamment en exemple la réalisation d’une ligne TAV en Suisse, une grande tente collective pour manger et discuter, deux postes de garde, et une zone camping.
Il n’y a qu’une seule route qui mène vers la Maddalena, depuis Chiomonte, dont partent plusieurs sentiers étroits. La Maddalena surplombe le tunnel de l’autoroute A32 et derrière se trouvent plusieurs sentiers de montagne qui mènent vers les bourgades de San Antonio et de Ramats, à près de 1000 mètres d’altitude.
Du 21 au 26 juin, de nombreuses activités animaient la Commune de la Maddalena : du théâtre politique (à tendance communiste), des concerts anarcho-punk, des chorales anarchistes et communistes, des débats et conférences, les Assemblées quotidiennes à 18h, les repas collectifs, l’atelier des barricades mobiles et des boucliers, des séances de découverte des étoiles et d’astronomie, etc.
Les Assemblées Populaires sont intéressantes : ce ne sont pas des AG typées « à la française » comme on les connaît tant, avec des tours de parole et des temps de parole, des tribunes et des votes, si bureaucratisées et formalisées. Au contraire les Assemblées Valsuzaines n’ont ni tribune, ni tour de parole, ni temps de parole. Si effectivement (et c’était plus qu’avéré) cela favorisait des monopolisations exclusives de la parole par quelques petits-chefs auto-décrétés, d’un autre côté cela permet une transformation radicale sur la prise de décision : on ne cherche pas alors à convaincre à coups de slogans-chocs percutants et finalement assez vides dans une fonction théâtrale et spectaculaire, représentative et figée dans un temps et tour de parole castrateur, mais, réellement, à s’exprimer, le temps que cela prendra pour chacun. D’où un véritable échange. De fait, par la quasi-absence d’applaudissements et de huements, chacun interprète et analyse pour lui-même, refuse ou approuve pour lui-même, ce qui évite tant que possible les phénomènes grégaires. Enfin, tout se décide au consensus, non décrété mais de fait.
S’il y a encore des dérives et des critiques à faire, cela est assez enthousiasmant par rapport aux vieilles assemblées générales bureaucratiques à la française : c’est un début de vraie assemblée qui autonomise et créé un affinitaire collectif. En effet, même si tous et chacun n’ont pas les mêmes objectifs et analyses politiques, il y a une camaraderie de terrain, dans la pratique même et l’effectivité de la lutte. C’est donc par le terrain que l’on est camarade, ceux qui sont là. Cependant, il ne faut pas idéaliser, et il est vrai que les étiquetés « anarcho-insurrectionnalistes » ou « radicaux » ont parfois du mal à avoir autant de poids dans la parole que les « No Tav » en eux-mêmes, ou les Askatasuna.
Si la question de l’« aval » de la population est souvent posée, de « plaire » et ne « pas choquer », à aucun moment se pose la question de la massification, le pourquoi se fond dans le comment qui est toujours la priorité. Ainsi, il n’y a pas de recherche à convaincre. En gros, c’est « voilà, on fait ça et comme ça, pour les raisons que vous connaissez, on résiste de telle manière à tel moment et tel endroit », et à partir de là « communiquer » à la population : à vous de faire de même, de rejoindre les initiatives et d’en créer. On s’auto-organise, on acte, on agit, à vous de prendre position. De fait, par la forme et la pratique, il n’y a pas de distinction préétablie et de principe « par rapport » à « la population » : il n’y a qu’un nous, sans avant-garde ou orga séparée.
C’est pourquoi c’est véritablement toute la vallée et sa population qui est en révolte, sans leader ni représentation séparée, sans organisation spécifique, mais des Comités de Vigilance et d’autodéfense, des Presidio, des Assemblées par villages et par Presidio, etc. Le Ministre de l’Interieur Moroni déclare ainsi que le Val de Susa est à un stade insurrectionnel.
L’organisation de l’autodéfense et les préparatifs de bataille
Durant toute cette semaine, les préparatifs de l’autodéfense pour la bataille qui s’annonce s’activent et s’intensifient : mise en place de plusieurs dizaines de barils remplis « d’huile anti-lacrymogène » dans toute la zone, la consolidation des dizaines de barricades dans tout le secteur, la fabrication de boucliers individuels et collectifs, la distribution de casques, les différents postes de garde (au moins une quinzaine) reliés par radios, les feux d’artifice pour le signal d’alarme lors de l’attaque effective des flics, la confection de pics-hérissons crèves-pneus, des tonneaux d’huile pour les véhicules et flics à pieds, des troncs d’arbre, des rondins, des extincteurs remplis d’huile et de peinture, des barbelés, des poteaux en pointe, des pneus de tracteurs, des bottes de paille, des stocks de boulons comme projectiles, des barricades mobiles, un ballon d’hélium anti-hélicoptère situé sur la zone de camping, des pétards explosifs, des lance-pierres, et bien sûr plusieurs stocks stratégiquement situés de tas incalculables de pierres et parpaings.
Les sentiers de la montagne sont eux-mêmes bloqués par diverses et nombreuses barricades forestières, mais les deux zones principales pour les flics et les plus sécurisées et défendables sont l’autoroute A32 à la sortie du tunnel, et la route et ses différents sentiers reliée à Chiomonte. Les barricades en elles-mêmes sont impressionnantes d’efficacité : des blocs de pierre grillagés dans lesquels sont plantés des barres de fer avec un système de fermeture par câbles avec pointes et pics, voire barbelés.
Ainsi, la Maddalena se retrouve comme le village d’Astérix assiégée par les légions de Carabiniers. Les forces répressives disposent de différents blindés anti-barricades, pelleteuses, bulldozers, fourgons blindés, hélicoptères, etc. C’est donc une bataille de position et défensive qui s’annonce. Et toutes les tactiques et plans de défense sont préparés en fonction de la configuration du terrain qui est fortement à notre avantage puisque en surplomb et hauteur, et sur deux axes précis.
Ce flanc de la montagne de la vallée fut ainsi recouvert de plusieurs dizaines de barricades stratégiquement confectionnées et érigées. L’option de projectiles et outils incendiaires a été rejetée à plusieurs reprises.
Dès que l’offensive policière est lancée, toutes les barricades seront fermées.
La bataille de La Maddalena : lundi 27 juin 2011
Le dimanche 26 juin au soir, avec les camarades, nous nous inquiétons quelque peu de n’être que 150-200 à être sur le campement, et envisageons les divers scénarios possibles. Les No Tav, quant à eux, décident d’une marche aux flambeaux jusqu’à Chiomonte. Nous sommes plusieurs à profiter de ce laps de temps pour dormir quelques heures, avec en tête la confirmation des 9 chances sur 10 de l’attaque policière pour cette nuit.
Nous sommes réveillés par un cri répétés à plusieurs reprises qui résonne dans la vallée : A sara dura ! (Ça va durer !) Nous voyons alors 5000 personnes, flambeaux en main, monter sur la Maddalena en chantant Bella Ciao qui résonne dans les montagnes. C’est le genre de scène qui reste gravée dans la mémoire. S’ensuit une grande Assemblée Populaire à minuit où le discours se radicalise dans les perspectives de réappropriation, d’autonomie communale, de reconquête de la terre, de résistance populaire affirmative et offensive, etc. L’Assemblée se termine par le rappel qu’il y a besoin de monde pour tenir les barricades. L’appel sera entendu, nous serons entre 600 et 1000 à tenir la Maddalena, selon les sources, dont 150-200 « radicaux » prêts au contact et à la confrontation directe.
Lundi 27 juin, 4h30 du matin : les feux d’artifice claquent soudain dans la nuit, les lueurs colorées déchirent le ciel étoilé, à plusieurs reprises. Cette fois, l’alarme est confirmée : les flics marchent par milliers sur nous. Tranquillement, calmement, sereinement, chacun fait la file pour prendre son petit café, s’équipe, resserre ses lacets et va rejoindre sa position sur les barricades. Un hélicoptère des carabiniers nous survole en rase-motte. Chaque groupe se positionne sur la route, les sentiers, les postes de garde, avec l’équipement adéquat selon la configuration du terrain.
Puis c’est l’attente. La terrible attente silencieuse qui précède la bataille. 5h. 5h30. 6h. 6h30. Les camarades de la cuisine viennent nous ravitailler sur les barricades avec des pizzas. Entre 6h45 et 7h, soudain on reçoit par radio que le premier contact visuel avec les flics est établi sur la première barricade dite « La Centrale », 2-300 personnes y vont et font bloc, la plupart des personnes de tout âge sont de la vallée, casquées, avec lunettes anti-gaz, parfois des masques à gaz, etc. Le soleil se lève lentement entre les montagnes.
Autour de 7h, c’est l’attaque. Plusieurs centaines de flics, avec fourgons blindés, en formation tortue, s’en prennent à la première barricade qui résistera près de trois quarts d’heure… le temps que le monstrueux bulldozer arrive et défonce la barricade en moins de 5 minutes. On entend les grenades au loin et voyons les premiers nuages de gaz qui s’intensifieront jusqu’à l’insoutenable au fil des heures.
8h, repli des personnes de la première barricade qui remontent jusqu’à la suivante. Même scénario. Finalement, il est incité à ce que tous se replient directement dans le campement même, et viennent porter main forte au niveau de l’autoroute où les flics sont arrivés également en force, les autres groupes de défense se chargeant de la route. Ce qui est fait. Les barricades sont fermées, les tonneaux d’huile renversés, les pics crève-pneus étalés, les bottes de paille imbibés d’eau placés en travers de la route, les barbelés réajustés, les barricades mobiles prêtes à l’emploi.
Soudain, enfin, on les voit. Leurs casques et boucliers, par plusieurs centaines, brillent au soleil qui se lève rapidement et baye ses rayons sur les flancs de ce qui sera un champ de bataille jusqu’à 10h30-11h.
Ils avancent, en colonnes, prudemment, les fourgons s’alignant par centaines derrière, et bulldozer en tête. Ce dernier défonce deux barricades assez rapidement. Des troncs d’arbres sont renversés au niveau d’un petit sentier. Certains mettent le feu à une barricade quasiment au même endroit. Des pétards et les premières caillasses volent. Réplique. Plusieurs dizaines, puis rapidement plusieurs centaines de palettes lacrymos tombent sur la position, les grenades éclatent dans le ciel. Repli.
Simultanément, les flics attaquent violemment au niveau de l’autoroute, à l’aide de deux énormes grues-pelleteuses qui défoncent avec difficulté les barricades et murets de l’autoroute. Des centaines de pierres volent sur les flics et les machines de mort. En réplique, ce sont de nouveau plusieurs centaines de lacrymos qui s’abattent sur toute la Maddalena : sur les tentes, les chapiteaux, les cuisines, partout. Mais aucune panique, les lacrymos sont noyés dans les bidons prévus à cet effet ou directement renvoyés sur l’ennemi. Tandis que les carabiniers sont bloqués sur les sentiers par les barricades d’arbres et contraints d’emprunter la route avec les fourgons, d’autres flics attaquent sur l’autoroute après avoir finalement dégager les ultimes barricades. Ils empruntent le petit sentier qui remonte sur la route à partir de l’autoroute. Nous sommes en position favorable, en hauteur, et à peine de quelques mètres, tous les projectiles disponibles leurs tombent dessus : extincteurs, parpaings, blocs de pierre, pavés, caillasses, rondins, chaises, tables, bidons d’huile… C’est sûrement à cet endroit que les flics ont pris le plus cher et eurent de blessés. Après une demie heure de résistance acharnée, les flics font jonction derrière la dernière et ultime barricade défoncée en quelques minutes par le bulldozer dont la silhouette surgit monstrueusement et de manière surréaliste des nuages brumeux très denses de gaz lacrymo. La bataille est à son paroxysme, terrible, en face à face, bientôt au corps à corps. Très rapidement, les carabiniers parviennent à être en position de charger et se jettent sur nous. Les premiers tombent sous les matraques, tandis que le reste des premières lignes se replient, couverts par d’autres qui continuent de canarder les flics. Barricades mobiles et boucliers ne tiennent pas longtemps. Repli vers le pied de la montagne derrière la zone de camping où s’est déjà entamée la grande retraite dans la forêt. Le tout dans une brume de gaz quasi opaque.
Retraite. Tandis que les flics procèdent aux premières arrestations et lynchages, la quasi-totalité des camarades parviennent à s’engager dans les voies de retraite dans la montagne. Entre 600 et 1000 personnes remontent pendant ¾h – 1h jusqu’au village de Ramats à 1000 m d’altitude, sous l’œil morbide de l’hélicoptère. En contrebas, nous voyons les flics prendre position sur La Maddalena et se déchaîner à détruire toutes les structures et les tentes. Nous apprenons que les flics font le choix de ne pas nous cueillir au village sur lequel nous débouchons, et simultanément que toute la vallée, une fois encore, est entrée en révolte : barricades et blocages sur toutes les routes et grands axes de la vallée de fait paralysée. Nous voyons en effet des milliers de voitures et poids lourds paralysés. Le peuple de la vallée prend le relai. Après une courte « assemblée », nous redescendons longuement sur Chiomonte en évitant les barrages de carabiniers et de flics. Beaucoup s’écroulent par insolation, épuisement ou manque d’alimentation. Solidaires, des camarades prennent jusqu’à 7 ou 8 personnes dans leurs voitures et pick-up pour descendre sur Chiomonte.
Le long de la route, nous remontons les poids lourds, pour beaucoup français, qui nous demandent ce qui se passe. En leur expliquant la situation et la révolte de la vallée, la plupart affirment leur pleine solidarité, que cette « petite grève sauvage » n’est pas pour leur déplaire si les blocages de route se maintiennent, et qu’ils souhaiteraient juste un ravitaillement en eau et nourriture. Solidarité populaire.
Chiomonte. Tous nous engouffrons dans les supermarchés et épiceries pour enfin boire et manger à notre aise après ces dures heures de combat et de marche sous un soleil de plomb. À nouveau une brève assemblée, puis une sieste collective.
Le soir, à 21h, grande Assemblea à la bourgade de Bussoleno où se rassemblent plus de 6000 personnes, tandis que les blocages de route par la population révoltée tiennent un peu partout (mais remis en cause par les Askatasuna, d’après les camarades sur ces barricades-blocages). En outre, on apprend qu’en solidarité avec le peuple de Val di Susa, des affrontements ont eu lieu à Rome et Milan. La lutte locale prend un impact national avec des collectifs de solidarité active à Turin, Bologne, Rome, Milan, etc.
Les perspectives sont claires : accepter la défaite temporaire sur le terrain même de la Maddalena, mais en aucun cas se résigner. Voici les actions à venir : occupation des entreprises liées au chantier, mise en grève de toutes les boîtes qui touchent au chantier, blocages et barricades des routes et grands axes de marchandise, et, surtout, la grande marche populaire le dimanche 3 juillet pour reprendre la Maddalena à laquelle sont attendus entre 50 et 100’000 personnes. L’armée et les militaires se sont déployés pour renforcer la position des Carabinieri. La vallée entre en révolte insurrectionnelle. D’autant que mercredi 29, une retraitée de 65 ans a été tuée, écrasée sous les roues d’un blindé de carabiniers… 2001-2011 : Policia Assassini.
Mais la tension reste élevée dans la région. L’USB (syndicats de base) du Piémont a lancé la grève immédiatement et indéfiniment pour tous les employés des municipalités touchées par le Tav, qui sont tout sauf résignés. L’expérience leur a appris à accepter la défaite temporaire sans se rendre, et, à dire, savoir comment faire pour récupérer ce qui leur a été volé.
BILAN de la bataille de La Maddalena : 2000 flics sur le terrain, 600 à 1000 personnes pour leur résister sur les barricades. 4 heures de combats. Plus de 2000 grenades lacrymos ont été tirées par les flics. 30 à 60 blessés légers dans nos rangs selon les sources, 60 à 110 blessés chez les flics selon les sources dont plusieurs graves. Plusieurs arrestations mais seulement deux encore retenus pour port d’arme. 1 mort (une retraitée No Tav de 65 ans écrasée sous les roues d’un blindé de carabiniers mercredi 29 juin — info qui n’a tourné que sur BellaCiao sur les sites français).
Nombreuses vidéos des affrontements :
berthoalain.wordpress.com/2011/06/28/tav-emeute-a-chiomonte-val-di-susa-27-juin-2011/
Des luttes locales et rurales comme tournant dans les luttes anticapitalistes radicales et insurrectionnelles
L’essor récent des luttes locales et rurales est intéressant et notable, d’autant si l’on considère parallèlement l’échec total du contre-G8 au Havre et de la tactique de décentralisation. Alors que les derniers grands contre-sommets internationaux sont des échecs cuisants, de Copenhague au Havre, les réseaux et luttes radicales internationalistes se retrouvent massivement et activement dans les luttes locales et rurales qui se multiplient et portent un nouveau poids révolutionnaire.
Aussi, plutôt que de se retrouver là où nous attendent des armées militarisées massives et lourdement équipées, avec une pertinence politique quasi-nulle d’émeutes-spectacles de quelques jours sans portée ni durée, et surtout sans aucune inscription dans le contexte local des luttes, les camarades de toute l’Europe se réunissent et se regroupent dans les « nouvelles » luttes locales, non au sens qu’elles émergent tout à coup (certaines durent depuis des décennies) mais qu’elles se multiplient et pullulent tout en s’inscrivant dans la lutte globale. Que ce soit à Notre-Dame-Des-Landes (No Aéroport) en France, Val di Susa (No Tav) ou Vicensa (No Dal Molin) en Italie, Keratea en Grèce (contre la décharge géante à ciel ouvert) sans compter les luttes antinucléaires et anti-OGM, les populations locales se réinscrivent dans leur environnement immédiat comme lieux de vie devenus lieux collectifs et vie collective, par la réappropriation d’outils de lutte radicaux tels grèves sauvages, sabotages, manifs sauvages, blocages, occupations, affrontements directs, les barricades et l’autodéfense ; et ce dans une perspective élargie à toute la population qui découvre sa solidarité et sa camaraderie dans la conflictualité.
Par ailleurs, ces luttes sont capables d’admettre et assumer des défaites temporaires, et par là d’acter de ne pas se résigner mais à la fois d’inscrire la lutte dans la durée et la radicalité. Ce qui implique de nouveaux outils de coordination et de modes d’organisation portés par les populations locales, comme c’est le cas au Val di Susa avec les Presidio, véritables bases avancées ou QG de veille et d’autodéfense. Ce qui permet d’autonomiser politiquement les individus dans la pratique collective, par les questions de tactique et de stratégie qui se posent de fait : être plus malin que l’ennemi, l’épuiser, le harceler, s’y confronter, le contourner, l’assiéger, l’éviter, le prendre en tenaille, etc. Et ce à long terme.
De plus, la lutte n’a pas de centralisation, mais au contraire plusieurs Comités ou Assemblées qui laissent libre cours à l’initiative populaire, à l’autonomisation horizontale, à l’auto-organisation. Ces luttes locales sont si fortes avec des répressions si violentes que des solidarités à l’échelle nationale et internationale se consolident en reprenant ces outils de lutte et l’initiative populaire.
Dans le cas du Val di Susa, la solidarité se développe dans chaque village, avec des repas solidaires, des assemblées spontanées, des drapeaux et banderoles de la contestation partout, sans compter les tags, sur chaque mur, chaque lampadaire, chaque arbre, dans toute la vallée.
Depuis la bataille de La Maddalena du lundi 27 juin 2011 et le début des travaux, le ministre de l’Intérieur Moroni a décidé de militariser la zone face à la pression populaire explosive : les barricades du peuple sont remplacées par les chek-points militaires et les barbelés (vidéo
: www.youreporter.it/… et aussi www.youreporter.it/…) ; la Commune de La Maddalena où flottaient les drapeaux de la vallée et quelques drapeaux rouges est devenue la place-forte de la garnison et des carabiniers qui y ont hissé le drapeau national italien (vidéo : www.youreporter.it/…) ; l’information censurée de la camarade retraitée tuée, écrasée sous les roues des carabiniers 10ans presque jour pour jour après l’assassinat de Carlo commence à tourner avec effroi et détermination (vidéo : www.youreporter.it/…) ;
Solidarité avec le peuple du Val di Susa qui va tenter de reprendre La Maddalena et de l’assiéger dimanche 3 juillet 2011. — A SARA DURA !
guitoto – 3 juillet 2011.
VIDÉOS du lundi 27 juin 2011 :
www.youtube.com/watch?v=0hzRrAnAJ7s&feature=relmfu
berthoalain.wordpress.com/2011/06/28/tav-emeute-a-chiomonte-val-di-susa-27-juin-2011/
tv.repubblica.it/dossier/battaglia-no-tav/no-tav-e-battaglia-in-val-di-susa/71534?video&pagefrom=1
fr.euronews.net/2011/06/27/ligne-tgv-lyon-turin-accrochages-ce-matin-avec-la-police/
www.youtube.com/watch?v=_Og0b8CaEbc
www.youtube.com/watch?v=PSoFv6-q2_0&feature=related
www.youtube.com/watch?v=lZ0cyCC00Wc&feature=related
www.youtube.com/watch?v=0hzRrAnAJ7s&feature=relmfu
www.lereveil.ch/contrib/la-police-et-l-armee-attaquent-le
multimedia.lastampa.it/multimedia/torino/lstp/57774/
MERCREDI 29 JUIN : UNE PERSONNE TUÉE PAR LES CARABINIERS
Premier mort en Italie dans le Val de Suse, tué par les gendarmes
Hier après-midi un blindé des « carabiniers » a écrasé et tué une retraitée à Venaria, Anna Recchia de 65 ans.
C’est une véritable opération militaire en vigueur contre les manifestants de la val de Suse.
Comme à Gênes une fois de plus l’arrogance du gouvernement italien a tué sous les pneus de véhicules de police.
Ces jours-ci, des dizaines de véhicules militaires sont empilés de haut en bas de la vallée.
Rappel
De violents affrontements ont opposé dimanche un millier de militants écologistes aux forces de police dans le val de Suse, dans les Alpes italiennes, à la suite du début du chantier du TGV Lyon-Turin.
Les militants installés en campement à proximité sont réunis dans le collectif No TAV (treno alta velocità, train à grande vitesse) qui regroupe des associations écologistes opposées au tracé ferroviaire.
Dès 6 heures du matin, un important dispositif policier de 2000 hommes était sur place, et des bulldozers ont détruit les barricades élevées par les manifestants. On comptait en milieu de journée plus de 80 blessés dans les manifestants.
Le trafic sur l’autoroute et la liaison avec la France ont été interrompus pendant plusieurs heures.
Bellaciao, 30 juin 2011.
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