Message du Collectif jurassien d’opposants à Center Parcs
lu à la Marche des possibles, à Grenoble, le 2 mai 2015
Bonjour à toutes et à tous,
Nul besoin d’un historique très long : dans le Jura à Poligny, comme au Rousset en Saône-et-Loire, Pierre & Vacances précise ses ambitions pour et sur nos territoires ― sur nos vies. Ici comme là-bas, le tourisme de masse tente d’étendre son territoire et ses logiques.
Voilà quelques mois, l’association le Pic Noir ― qui regroupe des citoyens du secteur de Poligny ― a commencé à demander des éclaircissements, puis exigé « du débat » autour de la possible création d’un futur Center Parcs. Si sa démarche affichait une certaine neutralité dans un premier temps ― ses demandes étant cantonnées à la possibilité d’être informée afin de se forger une opinion ―, elle a progressivement affirmé une opposition résolue à ce projet. Ainsi, un travail de collecte d’information, de diffusion de contre-information, d’organisation de réunions publiques a été mené par cette association.
Ce travail a sans doute permis de mettre une certaine pression sur le groupe Pierre & Vacances, qui ne souhaitait pas réitérer les erreurs stratégiques faites dans les Chambarans, et a sollicité la Commission nationale du débat public (CNDP) en 2014. Cette dernière a nommé une Commission particulière unique pour les deux sites du Rousset et de Poligny. Elle est donc en charge depuis le 23 avril d’organiser le « débat » jusqu’en juillet prochain. Sachant que Pierre & Vacances souhaite attaquer les travaux en 2017 pour ouvrir en 2019 ses deux nouveaux Center Parcs, on comprend mieux la nécessité pour eux d’en passer par l’illusion du débat pour en finir au plus vite, et passer enfin aux choses sérieuses…
Notre sentiment est que cette Commission est en réalité un instrument visant à la modification à la marge du projet dans le seul but de le rendre acceptable. Sa présidente Claude Brévan ne déclare-t-elle pas le 23 avril dernier (Le Progrès) que « l’objectif du débat est d’informer les gens et de leur permettre de réagir assez tôt aux éventuels problèmes, puis de faire des suggestions pour améliorer le projet » ?…
De notre côté, nous ne sommes pas là pour ça, et nous ne nous faisons aucune illusion sur la pertinence de ce débat « encadré », dont les manières, les sujets et le calendrier sont exclusivement aux mains d’une structure commanditée par Pierre & Vacances. Cette Commission définit le périmètre de la pensée et de la parole, les protocoles, en fait respecter « la charte » (cf. le site de la Commission). Elle veut en maîtriser le temps et les usages.
Nous souhaitons rappeler à toutes fins utiles que la possibilité du débat public n’a pas attendu ― et n’a pas à attendre ― un promoteur à qui l’État donne discrètement la main, pour avoir lieu. Ce cadre n’est pas le nôtre, et le périmètre du débat est pour le coup notoirement sous-dimensionné.
Selon nous, la lutte contre Center Parcs ne peut se dissocier d’une réflexion et d’une action plus larges sur les questions du travail, du chantage à l’emploi, de la croissance. Refuser Center Parcs, c’est aussi, collectivement, s’autoriser à interroger l’utilité ou la nocivité de ce travail, de son sens, de sa finalité. À Poligny, il ne s’agit pas tant de dénoncer le risque de mise en danger d’un espace protégé ― ou à protéger ―, que de soulever ces questions. Pierre & Vacances ne s’y est d’ailleurs pas trompé : la parcelle qu’il convoite se trouve hors zone Natura 2000, hors ZNIEFF (Zone naturelle d’intérêt écologique, floristique et faunistique), et ne laisse pas le moindre espoir de zone humide à brandir face aux engins de chantier. Mais quand bien même ce serait le cas, n’aurions-nous que cela à leur reprocher ?
Par ailleurs, cette parcelle de forêt est presque exclusivement composée de sapins plantés sur un sol acidifié par des décennies de monoculture obéissant à une gestion industrielle de la forêt. Autour du Fied, les tumulus et les murets de pierres sèches n’ont pas attendu Pierre & Vacances pour disparaître sous les assauts des pelles mécaniques et des subventions à une agriculture productiviste. Ce sont ces logiques déjà à l’œuvre que nous dénonçons aussi dans cette lutte. Center Parcs n’est pas seulement une menace, c’est la consolidation et l’intensification d’un monde marchandisé et artificialisé, dans lequel nous n’avons pas ― et ne voulons pas ― de place.
Fin avril, le représentant de Center Parcs expliquait que le choix de cette parcelle de conifères correspondait aussi au fait qu’il jugeait inenvisageable d’imposer à sa clientèle la présence d’arbres défeuillés durant plusieurs mois d’hiver, rappelant son souci de « l’habillage arbustif ». Nous voulons redire à Pierre & Vacances ― pour qui la nature est un habillage, un décor, un support commercial ―, que nous ne voulons pas habiter, fréquenter, travailler, façonner, vivre et subir un monde dans lequel l’eau coule à 29° toute l’année, et dans lequel les arbres ne perdent plus leurs feuilles pour raison de marketing appliqué aux loisirs. Ce monde est stérile, mort. Il n’a pour nous aucun attrait. Nous n’en voulons pas ; même contre la promesse d’y trouver trois cent emplois ― précaires de surcroît ―, ni même contre l’assurance d’y manger ou d’y écouler des produits locaux, bio, entre deux panneaux solaires.
C’est aussi la raison pour laquelle nous n’en appelons pas au développement durable face à Pierre & Vacances. Leur vocabulaire transpire le capital, ils sont le développement durable. Nous ne reconnaissons pas le périmètre vert de la tête de gondole du capitalisme comme pertinent pour tenter de le mettre en échec. Ce périmètre est défini pour nous par les gestionnaires et, à leur suite, par des élus zélés qui s’empressent de nous en vanter les mérites. À l’intérieur de celui-ci, nous ne respirons pas, nous suffoquons : le grillage ne convient pas à nos vies. Nous ne voulons plus nous ressourcer, mais comprendre, et dire pourquoi le travail nous y contraint.
Contrairement à ce que nous rabâchent les communicants de Center Parcs à Poligny, ce projet n’est pas celui de la population, mais le leur, et nous réfutons l’idée que nous soyons tous sur le même bateau, et l’idée selon laquelle nous pourrions ― ou devrions ― co-construire ce projet ensemble. Les salariés qui travaillent pour Center Parcs le savent, ils ne seront jamais ses « collaborateurs » ― comme on nous l’a martelé à longueur de discours à Poligny ― mais ses obligés, parfois ses esclaves. Nous savons d’ores et déjà ― n’en déplaise au président de la CNDP, qui n’imagine pas qu’on puisse avoir une idée toute faite avant la fin du « débat » ― qu’avec Center Parcs, on n’a pas seulement affaire à des « développeurs » et des « exploitants », comme ils aiment à se qualifier, mais bien plutôt à des développants et des exploiteurs.
Certes, nous ne voulons pas bosser pour 320 euros par mois, mais nous voulons avant tout reprendre la main sur le sens que nous donnons à nos métiers, et à nos vies. Pour cela, nous sommes légitimes sans autre forme de procès (ou de commission).
À un univers clos, aseptisé, climatisé à 29°C, nous préférons le givre, les doigts gours dans les gants mouillés. Au confort de la bulle qui progresse à coup de bulldozers, nous opposons, parfois à tâtons, la possibilité d’une marche. Au travail obligatoire, nous préférons tenter l’autonomie. À l’exutoire, nous préférons la liberté. Center Parcs est l’émanation d’un tourisme doux ? Alors, qu’il gèle à Pierre fendre ! Nous n’avons chaud que de nous tenir ensemble, sur les ZAD … et ailleurs ― avec les gens d’ici … et d’ailleurs.