Tarnac : le parquet requiert le renvoi de Julien Coupat en correctionnelle pour terrorisme
Après sept ans d’une enquête mouvementée et largement médiatisée, le parquet de Paris a rendu son réquisitoire définitif dans l’affaire dite de « Tarnac ». En novembre 2008, dix jeunes gens issus de l’ultragauche gravitant dans ce petit village corrézien autour d’un intellectuel fédérateur, Julien Coupat, avaient été mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Les services de police et de renseignement les soupçonnaient d’être impliqués dans une série de sabotages de lignes TGV commis dans les nuits du 25 au 26 octobre et du 7 au 8 novembre 2008.
Dans son réquisitoire, que Le Monde a pu consulter, le ministère public demande que seuls les trois principaux mis en examen – Julien Coupat, sa compagne Yildune Lévy et son ex-petite amie Gabrielle Hallez – soient renvoyés devant le tribunal correctionnel pour des sabotages « en relation avec une entreprise terroriste ». Il requiert un non-lieu pour deux de leurs compagnons, ainsi que pour trois des cinq sabotages, dont l’enquête n’a « pas permis d’identifier les auteurs ».
Pour les cinq autres membres présumés de cette « association de malfaiteurs », le parquet, qui reconnaît manquer d’éléments les reliant aux dégradations, rejette la circonstance aggravante d’« entreprise terroriste ». Il requiert néanmoins leur renvoi pour des « tentatives de falsification de documents administratifs », des « recels » de documents volés ou des « refus de se soumettre à des prélèvements biologiques ». C’est la juge d’instruction, Jeanne Duyé, qui décidera au final de renvoyer ou non devant le tribunal tous ces mis en examen. Elle devrait signer l’ordonnance de renvoi avant l’automne.
Flot de critiques sur l’enquête
Politisé dès sa genèse par le gouvernement Fillon, qui avait fait de l’« ultragauche » une priorité policière, le dossier Tarnac est devenu au fil de l’instruction un objet médiatico-judiciaire incontrôlable. Procès-verbal après procès-verbal, les méthodes d’enquête de la toute nouvelle Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), créée le 1er juillet 2008, ont été éreintées par voie de presse, fragilisant chaque jour un peu plus l’instruction.
Si ce dossier a provoqué tant de passions et de remous, c’est en raison de sa charge politique et parce qu’il interroge les fondements mêmes de l’arsenal antiterroriste à la française. Dans ce contexte houleux, le ministère public savait son réquisitoire attendu. Aussi a-t-il pris le soin de revenir en détail sur le flot de critiques qui s’est abattu sur cette enquête et sur la plus épineuse des questions qu’elle soulève : Julien Coupat est-il un terroriste ?
Les fers à béton usinés posés sur les caténaires de cinq lignes TGV en octobre et novembre 2008 avaient occasionné de nombreux retards, mais aucun blessé. De l’aveu même des experts, ce dispositif, emprunté aux méthodes employées dans les années 1990 par les militants antinucléaires allemands, ne peut engendrer aucun déraillement ni porter atteinte à la sécurité des voyageurs.
Sabotage similaire en août 2014
Le caractère relativement bénin de ces dégradations avait été soulevé lors de l’instruction par les avocats de la défense, qui en contestaient le caractère « terroriste ». Le ministère public leur répond que « la finalité terroriste du groupuscule ne saurait être nuancée par l’absence de victimes humaines », l’article 421-1 du code pénal disposant que « les atteintes aux biens » peuvent constituer en droit français des actes de terrorisme pour peu qu’elles aient « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».
En août 2014, un sabotage en tout point similaire – la pose d’un crochet sur une caténaire de la ligne du TGV Lyon-Paris – a pourtant été considéré comme un simple « acte de malveillance ». Selon les informations du Monde, c’est le parquet de Châlons-sur-Saône qui a ouvert une enquête préliminaire dans cette affaire, la section antiterroriste du parquet de Paris n’ayant pas jugé utile de se saisir du dossier.
Si Julien Coupat, Yildune Lévy et Gabrielle Hallez sont renvoyés pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », c’est donc uniquement à la lumière de leur idéologie et de leurs relations mise au jour par la surveillance dont ils faisaient l’objet avant le début des sabotages. Un contexte qui permet à l’accusation de projeter une intention terroriste sur des dégradations qui relèveraient en d’autres circonstances du droit commun.
« Structure clandestine anarcho-autonome »
L’enquête préliminaire visant les membres du groupe de Tarnac a été ouverte le 16 avril 2008, soit six mois avant les sabotages. Elle se fondait sur une note de la sous-direction antiterroriste décrivant cette communauté comme une « structure clandestine anarcho-autonome entretenant des relations conspiratives avec des militants de la même idéologie implantés à l’étranger et projetant de commettre des actions violentes ».
Les services de renseignement étaient destinataires d’une information selon laquelle Julien Coupat avait rencontré des anarcho-autonomes « dans un appartement new-yorkais » en janvier 2008. C’est ce voyage qui, sur la fois d’un renseignement des autorités américaines, a déclenché l’ouverture de l’enquête. Selon le ministère public, ces liens avec la « mouvance anarchiste internationale » constituent un des arguments justifiant la qualification de « terrorisme ».
Mais le pivot de l’accusation repose sur la pensée du principal mis en cause, c’est-à-dire sur ses écrits. Le ministère public considère comme acquis que Julien Coupat est la « plume principale » – ce que l’intéressé a toujours démenti – d’un « pamphlet » intitulé L’Insurrection qui vient, publié en 2007 par le Comité invisible. Ce texte préconise un « blocage organisé des axes de communication », au premier rang desquels les chemins de fer, par des groupes ayant adopté un mode de vie communautaire, afin de faire tomber « l’architecture de flux » qu’est devenu le monde moderne.
« Sentiment de terreur et d’intimidation »
Pour le parquet, cet « opuscule présenté de façon faussement béate par plusieurs témoins comme un simple livre de philosophie » est en réalité un guide théorique visant à « renverser par la violence l’État ». S’il reconnaît que le passage à l’acte violent « apparaît dans un premier temps de relativement faible intensité », le ministère public estime qu’il ne s’agissait que d’une « phase initiale » que l’interpellation des suspects a permis d’interrompre, évitant que ne s’installe « un sentiment de terreur et d’intimidation » dans le pays.
Le 25 mars 2009, les avocats de la défense avaient contesté la définition très large de l’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » au regard du droit international, estimant qu’elle s’appliquait abusivement à leurs clients. « Il ne suffit pas à la partie poursuivante de mettre en perspective des infractions de droit commun avec un discours politique critique pour caractériser l’existence d’une infraction terroriste, argumentaient-ils. Affirmer l’inverse permettrait de qualifier d’entreprise terroriste toute action portée par un discours politique ou syndical visant à dénoncer des choix politiques ou à exprimer une exaspération, voire une colère. »
« Si la promotion idéologique d’une nécessité de changer de société est une position politique protégée par la liberté d’opinion, sa mise en œuvre par l’intimidation ou la terreur relève de la délinquance, rétorque le ministère public. L’infraction terroriste est par nature politique puisque instiller l’intimidation ou la terreur a comme finalité l’exercice d’une forme de pouvoir sur la société. »
Au secours de la cote D104
Le parquet de Paris répond dans son réquisitoire à « la tentative de discréditer la cote D104 », pierre angulaire de l’accusation. Ce procès-verbal, qui retranscrit la filature du véhicule de Julien Coupat et de sa compagne Yildune Lévy durant la nuit du 7 au 8 novembre 2008, est censé attester de leur présence sur les lieux d’un sabotage. Or le PV de cette surveillance comporte plusieurs incohérences qui ont conduit les avocats à porter plainte pour « faux et usage de faux ». Ils contestaient la présence de certains policiers cette nuit-là, soupçonnés d’avoir rédigé leur PV à partir d’une balise posée illégalement sur la voiture du couple. L’information a conclu à un non-lieu. Le parquet s’appuie sur cette décision pour souligner que cette filature est « avérée par des éléments objectifs » et rappelle que les deux personnes mises en cause n’ont jamais contesté « leur présence sur les lieux de la surveillance ».
Leur presse (Soren Seelow, LeMonde.fr, 7 mai 2015)
Tarnac : le parquet demande le renvoi de Julien Coupat en correctionnelle
Le parquet de Paris requiert le renvoi en correctionnelle de huit militants libertaires, soupçonnés d’être à l’origine de sabotages de lignes SNCF dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008.
Le parquet de Paris a demandé le renvoi en correctionnelle de huit militants libertaires, dont Julien Coupat, dans le dossier du groupe de Tarnac sur des sabotages de lignes TGV survenus en 2008. Si la juge antiterroriste chargée de l’affaire suit ces réquisitions, seuls trois d’entre eux, dont le leader présumé Julien Coupat, seront jugés pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Le «groupe de Tarnac», présenté comme proche de l’ultra-gauche, est soupçonné d’être à l’origine de sabotages de lignes SNCF dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 sur des caténaires, dans l’Oise, l’Yonne et la Seine-et-Marne. Julien Coupat, 40 ans, et son épouse, Yildune Levy, 31 ans, ont reconnu leur présence cette nuit-là à Dhuisy (Seine-et-Marne) aux abords de la voie ferrée où passe le TGV Est, mais ont toujours nié avoir participé à la pose d’un fer à béton, retrouvé plus tard sur le caténaire. Tordu en forme de crochet, il avait causé d’importants dégâts matériels au premier TGV le 8 au matin, et fortement perturbé le trafic. Pour les agents SNCF interrogés par les enquêteurs, cet acte pouvait entraîner des dégâts matériels, sans menacer la sécurité des voyageurs.
Le parquet a requis le renvoi du couple notamment pour dégradations en réunion et association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Lors d’un procès, ils encourraient jusqu’à dix ans de prison. «Retenir la qualification terroriste dans le dossier Tarnac prêterait à sourire, surtout aujourd’hui, s’il ne s’agissait pas d’un aveuglement judiciaire inquiétant», ont dénoncé les avocats des huit mis en examen, William Bourdon et Marie Dosé.
Détention provisoire
En revanche, le ministère public réclame l’abandon de l’incrimination de direction ou organisation d’un groupement terroriste, initialement retenue contre Julien Coupat, qui a effectué un peu plus de six mois de détention provisoire jusqu’en mai 2009. Ce chef d’accusation, qui peut encore être retenu par le magistrat instructeur, pourrait lui valoir jusqu’à vingt ans de réclusion et un renvoi aux assises.
Souvent présenté comme brillant intellectuellement, ce fils de famille aisée est considéré comme le fondateur et inspirateur d’un groupe d’une vingtaine de jeunes aux idéaux d’extrême gauche, qui gravitaient autour d’une propriété agricole proche de Tarnac (Corrèze).
Pour le parquet, l’enquête a mis en évidence le «basculement dans le terrorisme» du groupe, baptisé officieusement «comité invisible, sous-section du parti imaginaire». À l’appui de cette vision, il relève des extraits du livre L’Insurrection qui vient (2007), attribué à Julien Coupat, qui fait l’apologie de modes de sabotage propres à «finaliser la chute de l’État» et désigne notamment le réseau TGV comme cible «aisée». Les éléments de l’enquête ont mis au jour, selon le ministère public, «l’existence d’un plan concerté contre le réseau ferré».
Polémique
Outre les faits de Dhuisy, il impute à Julien Coupat une participation à un autre sabotage du TGV Est, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008 à Vigny (Moselle), également au moyen d’un fer à béton accroché au caténaire. Il aurait été assisté par Gabrielle Hallez, 36 ans, son ex-compagne, dont le parquet a requis le renvoi pour dégradations en réunion et association de malfaiteurs terroriste. Tous deux ont reconnu leur présence à proximité (une heure de route) mais ont nié toute participation au sabotage. Les cinq autres personnes que le parquet voudrait voir jugées le seraient, si le magistrat instructeur suivait le réquisitoire, pour des faits bien moins graves, essentiellement liés à des faux documents et au refus de se soumettre à des prélèvements judiciaires.
Cette affaire a suscité une vive polémique au cours des six années de procédure, le gouvernement et la ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, ayant été accusés de l’instrumentaliser en insistant sur son caractère terroriste. Accusé par la défense d’informer les journalistes, le juge Thierry Fragnoli avait dû se dessaisir début 2012. Quant aux membres du groupe, qui affirment leur innocence et dénoncent une manipulation policière, ils ont mené une rude bataille procédurale mais ont été déboutés de leurs nombreux recours. Dans son réquisitoire, le parquet a souligné «la recherche de déstabilisation de l’instruction par tous les moyens disponibles qu’ils soient purement procéduraux, ou, de façon plus discutable, par une instrumentalisation des médias».
Leur presse (Agence Faut Payer, 7 mai 2015)