Après le week-end des 7 et 8 février. À Roybon
Quelques questions
Dimanche 8 février. 7 heures. Radio France Isère. Compte rendu de la journée du samedi, à Roybon, où les adversaires et les partisans du Center Parcs avaient prévu de manifester. « Les deux camps voulaient montrer leurs muscles ». Annonce de la journée du dimanche : « Les routes d’accès à la ZAD seront bloquées par des « pro-Center Parcs ». Ils ont installé sept barrages filtrants sur les petits chemins menant au chantier. Une opération autorisée par la préfecture de l’Isère. » Vous avez bien lu et vous pouvez entendre en allant sur le site Internet de la radio. L’annonce n’a pas été répétée dans la journée, du moins je ne l’ai pas entendue, mais elle n’a pas, non plus, été démentie : le Préfet autorise les milices.
Dimanche 8 février. Dauphiné Libéré. Un arrêté municipal « interdisant la circulation et le stationnement sur huit rues et chemins de la commune » a été pris pour interdire l’accès à la ZAD de Roybon. Qui a pris cet arrêté ? Le maire ? Les adjoints ? Le conseil municipal ? Qui en a averti la population ? Qui a chargé « les soutiens au projet de d’installation d’un Center Parcs dans la forêt de Chambaran » de s’organiser en supplétifs de la police ? Des barrages leur permettaient d’arrêter les « indésirables ». Ainsi une automobiliste, suspecte puisque sa voiture était immatriculée en Ardèche, a dû montrer ses papiers avant de pouvoir aller soigner ses chevaux. Ils lui ont signifié qu’elle avait deux heures pour s’acquitter de sa tâche. Voiture et conductrice ont par ailleurs été filmées. Un opposant au Center Parcs n’a pu franchir un barrage tenu par un ancien conseiller municipal. Les renards ont été contents : il allait les chasser ! Voiture et occupants d’un véhicule, ont été photographiés, à la demande – dixit le milicien — des renseignements généraux ! Les nombreuses forces de l’ordre semblaient accepter la concurrence. Ordre de la préfecture ?
Beaucoup d’inquiétude
Depuis des semaines, ceux qui se qualifient de responsables traitent zadistes et simples opposants, d’extérieurs, d’étrangers, d’anarchistes, de terroristes, se vautrant dans l’illégalité… Comment des esprits faibles n’en seraient-ils pas perturbés ?
Jeudi 5 février la cabane marquant l’entrée de la ZAD a été incendiée. Deux cocktails Molotov seraient à l’origine de cet attentat. Inquiète, vendredi, j’ai téléphoné aux trois élus, les plus proches de Roybon, leur demandant de désavouer cet acte. Je suis une citoyenne de leur secteur. J’ai laissé un message en milieu de journée. J’ai rappelé le soir. Deux personnes étaient alors à leur domicile elles m’ont dit les avertir. Je n’ai pas eu de retour. Sans doute ont-ils des obligations importantes. Sans doute préparent-ils les futures élections. Sans doute aussi ne se sentent-ils pas concernés par les violences. Elles n’étaient que verbales jusque là, elles sont devenues effectives. Deux voitures, dans la nuit de samedi à dimanche, ont été incendiées au barrage de Dionay. Ces incendies seraient-ils le fait de la personne qui écrit sur sa page « FaceBook » : « Il n’y a que le feu pour détruire cette vermine ».
Des pages sur Internet résonnent d’appels au meurtre. « Faut les défoncer, ces merdes. » « La pelle à neige en pleine gueule ! » Deux personnes ont été agressées et blessées au visage. D’autres ont été menacées. Des pneus ont été dégonflés ou crevés à Roybon et alentours. Est-ce la façon de « les emmerder un peu » comme le dit le président de l’association « Vivre en Chambaran », dans des propos rapportés par le Dauphiné Libéré ?
À entendre certains habitants de Roybon, empêchés de rentrer chez eux faute de papiers d’identité, ne pouvant recevoir du matériel transporté dans un camion bloqué, ne se déplaçant dans leur propre village qu’en montrant patte blanche … on constate une exaspération certaine. Les opposants les plus déterminés au Center Parcs, opposants d’ici ou d’ailleurs, n’accepteront pas éternellement ce djihadisme brun. Ils peuvent eux aussi s’organiser. Est-ce ce que veulent les apprentis sorciers qui ont dressé les habitants les uns contre les autres ? Des batailles rangées ?
Dans un petit livre, Matin brun — tiré à deux millions d’exemplaires ! — Frank Pavloff, qui vit actuellement en Isère, montre dans une fable, la montée du nazisme en Allemagne. Deux amis, nullement politisés, occupés de leur travail, de leur famille, heureux de se retrouver le soir autour d’une bière, discutent tranquillement. Ils ont accepté sans problèmes de se séparer de leur chien, puis de leur chat — à éliminer parce qu’ils ne sont pas bruns ! D’acceptations en compromissions, ils se retrouvent dans un régime fasciste. Nous n’en sommes pas là. Mais quand une commune, et certains de ses habitants, s’autorisent à bloquer la circulation sans raison impérieuse et sans aucun contrôle, on a toutes les raisons de s’inquiéter.
« Nous sommes tous Charlie ! »
Une réunion devait se tenir dans un village proche de Roybon avec film, débats, promenades … ce samedi 14 février. Appelé à l’initiative d’un collectif de citoyens, « Le Carnaval des grenouilles et autres sales bêtes » devait parler des zones humides. Cinq jours avant cette fête, l’adjoint au maire, chargé de la location des salles, a annulé son accord : peur d’être « instrumentalisé à des fins anti-Center Parcs ». Devant un tel ridicule on pourrait rire. Pas après les protestations d’amour de la démocratie, de respect de la liberté d’expression, qui ont succédé aux assassinats du mois de janvier. « Tous Charlie ! » Vraiment ?
Le préfet de l’Isère s’en va
Il a été mis à la retraite. Est-ce son manque de discernement dans l’autorisation de la création d’un Center Parcs ? Sa gestion désastreuse des tensions qui se sont manifestées ces dernières semaines entre partisans et adversaires de ce centre de tourisme ? La violence qui a coûté l’œil à un pompier lors d’une manifestation très violemment réprimée ? De toutes façons il s’en va et je ne pense pas que beaucoup d’Isérois le regrettent et le plaignent. D’autant que, devenu préfet « hors cadre », si ses attributions restent mystérieuses, son traitement doit bien représenter le salaire de plusieurs travailleurs payés au minimum légal.
Ce départ est-il, de la part du pouvoir, un signe d’apaisement ? Il serait temps en effet que cessent diffamations, stigmatisations, agressions. Ceux qui se croient représentatifs parce qu’ils ont été élus, feraient bien d’agir avec un peu plus de responsabilité avant que ne survienne un drame.
À Roybon, le 12 février 2015
Michelle Pistone