Prison des Baumettes à Marseille : la page Facebook qui fait tache
C’est durant la semaine des fêtes de Noël que les publications, photos et vidéos, ont soudainement abondé sur cette page qui a rapidement bénéficié de près de 4800 « j’aime ».
« Ils ont tous des téléphones portables, le sport, l’école, des activités, la télévision avec en prime Canal+ (pour 9 euros par cellule et par mois, Ndlr), alors que la majorité des gens à l’extérieur n’ont pas les moyens de se payer l’abonnement : cela n’est plus une prison, c’est un centre de vacances », peste d’emblée Catherine Forzi, du syndicat Force Ouvrière. Il faut bien admettre que cette page Facebook — créée il y a quelques semaines et que la direction a fait supprimer le 31 décembre après en avoir eu connaissance — avait davantage les allures d’une publicité pour un Club Med d’un nouveau genre que celles de la mythique prison de la deuxième ville de France…
Si en 2008, des détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) avaient publié sur Youtube — 945’822 vues à ce jour — des images vidéo tournées pendant des mois à l’intérieur de leur établissement pour en dénoncer les conditions de détention, ceux des Baumettes affichent des sourires radieux. « Très franchement, seule une infime partie a l’air de souffrir d’être en prison », percute de nouveau la syndicaliste FO.
C’est durant la semaine des fêtes de Noël que les publications, photos et vidéos, ont soudainement abondé sur cette page qui a rapidement bénéficié de près de 4800 « j’aime », et autant de fans des provocations affichées à visages découverts. Au fil de la page, on découvrait une bonne dizaine de détenus se mettant en scène dans leurs cellules, fumant la chicha, faisant la popote, exhibant du shit et des liasses de billets — interdits en détention puisque chaque détenu possède un compte pour « cantiner » —, des selfies au beau milieu des coursives étaient également proposés ainsi que des clichés genre boy’s band énervé dans la cour de promenade.
« Quand la direction a découvert cette page, elle nous a tout de suite demandé ce que faisaient les agents pour ne pas avoir vu ce cinéma ! Mais le problème c’est que nous ne sommes plus assez nombreux, nous le répétons depuis des années. Ils n’ont plus peur de rien, et nous, nous n’avons pas les moyens de lutter. Cette page n’a rien de valorisant pour nous, pour le travail fait chaque jour par les surveillants, mais c’est un fait, les détenus sont livrés à eux-mêmes », dénonce David Cucchietti, le secrétaire local de la CGT, majoritaire aux Baumettes.
« Les détenus sont livrés à eux-mêmes »
Ce qui saute aux yeux — qui se dit depuis longtemps mais sans en avoir réellement la preuve —, c’est l’impression fâcheuse que tout et n’importe quoi peut entrer en détention aux Baumettes. « Entre la faille, l’été dernier, dans le chantier Baumettes 2 qui n’était pas surveillé et qui a permis des projections en pagaille dans la cour de promenade, mais aussi l’interdiction — depuis l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 — des fouilles corporelles systématiques et enfin le refus de la direction des Baumettes — pour des raisons budgétaires puisque cela nécessiterait de faire venir des agents de toute la France pour nous aider — de lancer une fouille générale de l’établissement qui n’a pas eu lieu depuis plusieurs années, on a l’impression que tout est fait pour nous compliquer la tâche et leur laisser toujours plus le champ libre. Les surveillants sont démoralisés… », balance le CGTiste.
Chaque jour, les surveillants en étage ont la mission de fouiller quelques cellules ciblées par le chef de détention. « Le problème est qu’on leur a laissé ramener tellement d’affaires que leurs cellules de 9 mètres carrés, pour deux détenus en majorité, sont surencombrées. Chercher des choses interdites là-dedans relève du défi, et comme nous avons bien d’autres tâches à effectuer, et bien on fait ces fouilles rapidement », décrit Jérémy Joly, du syndicat des surveillants (SPS). « Au-delà des téléphones portables, de l’argent liquide et de la drogue qui entrent, c’est surtout les couteaux qui nous inquiètent. Et on ne peut plus assurer la sécurité des détenus, ce qui fait pourtant partie de nos missions, enchaîne David Cucchietti, de la CGT, certains prisonniers, quand ils vont en cour de promenade, se constituent une sorte d’armure avec des morceaux épais de plastique qu’ils placent au niveau des parties vitales, au cas où. »
Malgré nos appels réitérés, la direction des Baumettes et la direction interrégionale des services pénitentiaires n’ont pas souhaité réagir. Selon nos sources, les détenus reconnaissables sur la page Facebook, et qui pour la plupart travaillaient, ont perdu leurs petits jobs et ont été changés de bâtiment. Visiblement démunis, notamment face à l’entrée de téléphones portables, les patrons de la pénitentiaire attendent peut-être avec impatience qu’une loi — comme la contrôleure générale des lieux de privation de liberté en a évoqué l’idée — les autorise purement et simplement [sic – NdJL].
Presse carcérale (Romain Capdepon, LaProvence.com, 5 janvier 2015)