Police secrète, secrets de la police
Une petite histoire édifiante à propos d’un tract de la Caisse de Solidarité : quand la possession d’un écrit politique vous propulse hors-la-loi.
Un jeune homme nous a récemment contacté pour nous faire part d’une histoire assez incroyable qui mérite d’être rendue publique. Une histoire assez exemplaire des basses méthodes employées par la police quand elle s’occupe de gens ou d’affaires classés « sensibles ».
Garde-à-vue 2.0
Tout commence mardi en fin de journée (le 14 octobre) par un contrôle de la BAC. En sortant d’une camionnette, un homme (appelons le Y) est contrôlé par un policier en civil. Il contrôle son identité et lui demande si il a des stupéfiants sur lui, s’il y en a dans la camionnette. Réponse négative de Y. Manque de chance, le flic trouve rapidement quelques miettes dans la boite à gants. En fouillant un peu plus dans le bordel, il tombe sur un tract de la Caisse de Solidarité ainsi qu’un papier avec une adresse mail et un mot en dessous. Le condé et ses collègues lisent attentivement le tract. « Vous êtes anti-flic ? », « Non ce n’est pas à moi, ce n’est pas ma camionnette ». Les dénégations de Y n’y font rien et les flics l’embarquent direction le commissariat de Villeurbanne.
Et là, c’est parti pour une garde-à-vue de 36 heures. Mais une garde-à-vue d’un genre un peu nouveau. Ce qui cloche, c’est qu’il n’y a rien contre Y, aucun chef d’inculpation n’est retenu à son encontre. Juridiquement on ne lui reproche rien. En fait pendant deux jours, des flics le retiennent enfermé dans une salle du comico et passent leur temps à lui poser toutes sortes de questions. Y ne croise pas d’autres gardés-à-vue. Aucun droit ne lui est notifié, le procureur n’est pas prévenu. Il ne peut pas prévenir d’avocat ni voir de médecin. Y est aux mains de la police pendant 36 heures mais sans véritable statut juridique. Il est juste retenu contre son gré. Personne ne sait qu’il est là. Il n’est pas amené en cellule, comme dans n’importe quelle garde-à-vue classique, mais reste enfermé dans la même salle d’interrogatoire au sous-sol. Il dort deux nuits dans cette petite pièce composée d’une table et de chaises [Il n’en est sorti qu’une fois pour aller aux toilettes.]. La lumière est constamment allumée, il n’a pas accès à l’interrupteur qui se trouve au dehors.
En matière de renseignements…
Pendant une partie du temps, il est interrogé par la BAC au début, puis le deuxième jour par un autre policier qui refuse de dire qui il est, ni pour quel service il travaille. Pendant plusieurs heures, on essaie de lui soutirer des infos sur la Caisse de Solidarité. Le policier demande à Y ce qu’il pense de la police, s’il est « anti-flic », s’il fait partie de la Caisse de Solidarité, s’il connaît la Luttine, etc. Avec en prime des questions sur son enfance, ce qu’il a fait dans sa vie. Il n’y a bien sûr pas de PV d’audition, tout est noté sur des feuilles de papier par un autre flic.
Les flics essaient d’accéder à l’adresse mail notée sur le bout de papier qu’ils ont trouvé dans la camionnette. Mais le mot noté sous l’adresse ne permet pas d’accéder au mail. Après plusieurs tentatives infructueuses, il pose un ordinateur devant Y. « Maintenant, vas-y connecte-toi. Tape le mot de passe ». Y s’exécute sans succès. Les flics s’énervent.
Mercredi matin, les flics se rendent chez les parents de Y, bien sûr en dehors de tout cadre légal, pour voir s’il vit bien là. Ils effectuent une petite perquisition. Au matin du troisième jour, le flic qui l’a arrêté revient le voir dans la salle d’interrogatoire : « allez t’es sûr que t’as toujours rien à nous dire ?… Bon allez barre-toi ». Et l’histoire se termine enfin. Y peut sortir. Sans convocation, sans aucune trace de rien. Comme si ces 36 heures n’avaient jamais existé.
Ces méthodes relèvent très clairement du travail d’une police politique. Il n’y a pas eu de garde-à-vue, mais un enlèvement policier. Quelqu’un a été prélevé de la rue et a disparu pendant 36 heures. On ne peut pas appeler autrement que « police politique », une police qui commence à interroger les gens qu’elle attrape en leur demandant quelles sont leurs opinions, ce qu’ils ont dans la tête, ce qu’ils pensent de telle ou telle chose, qui ils connaissent.
Plutôt que dénoncer ces méthodes et de s’en plaindre, on voudrait tenter un autre geste : mettre en lien cette histoire avec d’autres. Il ne faut pas prendre cette histoire comme étant purement individuelle, comme relevant d’un concours de circonstances ou de flics un peu « barrés » dans leur tête. Elle est à mettre en parallèle avec l’attitude et le modus operandi des flics quand ils sont confrontés à des histoires politiques. Par exemple, on a eu vent ces derniers mois de plusieurs histoires de flics qui volent l’ADN d’interpellés pendant les gardes-à-vue. C’est arrivé à de gens arrêtés pour tentative d’ouverture de squat, et/ou à d’autres fichés comme « militants politiques ». Concrètement, soit les flics volent les lacets des chaussures et les envoient à la police scientifique [Légalement, ils ont le droit de prendre un morceau d’ADN qui se serait détaché « naturellement » du corps du suspect. Dans les affaires classiques, quand les gens refusent de donner leur ADN, les flics les menacent et leur mettent la pression, puis ça part ensuite au tribunal.]. Soit, après avoir amené à manger aux gardés-à-vue, ils récupèrent proprement (à l’aide de gants) les couverts et les verres où des traces ADN ont pu se déposer. On ne le dira jamais assez, si vous êtes amenés à manger en garde-à-vue, jetez aux toilettes la vaisselle en plastique.
Comme autre histoire du même acabit, il y a déjà eu, à Lyon, au cours des dernières années des tentatives de recruter des indics (voir 22 v’là la SDAT et Concernant les récentes tentatives d’infiltration policière au sein du milieu militant lyonnais) dans différents milieux politiques. Là, ça semble pas vraiment être le cas : les flics voulaient juste collecter de l’information, ils étaient très curieux de la Caisse de Solidarité.
Autre exemple sur l’ADN : un homme qui refuse de donner son ADN pendant une garde-à-vue. Un OPJ rentre et s’enferme dans sa cellule. Il lui tend un papier « Tiens, regarde ça c’est les numéros de téléphone de tes employeurs, tu veux que j’appelle qui en premier pour leur dire que t’es là ?… Ouais je m’en fous que ce soit légal ou pas, tu pourras te plaindre à ton avocat après, mais en attendant je vais le faire si tu refuses l’ADN ». Et l’homme craque et accepte le prélèvement au final.
On pourrait encore parler des écoutes illégales dans l’affaire de Tarnac et des arrestations, liées à la manifestation du 22 février 2014 à Nantes, faites à l’aide de base de données photographiques et de rapports anonymes de la DGSI.
… tout est permis
Que montrent tous ces exemples ? Que l’ordinaire du travail policier est de s’écarter de la loi quand ils ont affaire à quelque chose qui leur résiste, à des gens un peu organisés (que ce soient des groupes politiques, des groupes de supporters ultras, le « grand banditisme », etc.), des gens qui ne vont pas se plier à leur quatre volontés. Ce qui les gênent, c’est le fait que des gens décident de ne pas baisser la tête en vivant ce qui leur arrive (arrestations, garde-à-vue, condamnations) sur un mode solitaire et triste. C’est clairement le geste de s’organiser contre cet état de fait, de ne pas se résigner qui les énerve et ne leur plaît pas. On ne va pas s’en étonner.
Cette petite histoire nous apprend qu’il y a encore plus fort que l’anti-terrorisme : l’enlèvement policier. Certes à chaque nouvelle loi, l’anti-terrorisme se renforce, étend son domaine d’action, ses prérogatives, ses moyens et repousse encore plus loin les limites du droit en donnant les pleins pouvoirs à l’autorité policière. Mais on est encore formellement dans le droit, y’a des textes législatifs, encore quelques contraintes juridiques pour les flics et la justice (le droit à rencontrer un avocat…). Avec cette petite histoire – mais combien d’autres y en-a-t-il qui n’ont pas la chance de pouvoir être rendues publiques, d’être un minimum connues – on sort complètement du droit, on est autre part. Un peu comme, en 2002, lors de l’ouverture du camp d’internement de Guantanamo à Cuba où les gens envoyés là-bas n’avaient pas de véritable statut juridique. Ni « prisonniers de guerre », ni « détenus de droit commun », ils n’étaient juridiquement rien. Ce n’est que plusieurs années après que l’administration américaine inventa le concept de « combattants illégaux » pour combler le vide juridique qu’elle avait créée et justifier le traitement qui leur était réservé. Qui sait, peut-être qu’un jour aussi ici, une garde-à-vue extra-judiciaire sera créée et réservée à un type particulier de suspects, ceux qui veulent s’organiser contre la police.
Avec ce genre de pratiques, on est dans un régime d’action policier où un adage comme « la fin justifie les moyens » a force de loi, devient la nouvelle loi. Quand Y demande un avocat au bout de plusieurs heures, les flics lui répondent « t’y a pas droit, t’es pas en garde-à-vue », « ah bah alors je peux partir », « essaie de partir et je te colle un outrage direct ». C’est ce que nous apprennent toutes ces affaires : la police fait partie de ses institutions qui ont partie liée avec la souveraineté. C’est-à-dire qui peuvent dire « c’est comme ça et pas autrement » sans se référer à autre chose qu’à elle-même, sans se référer à autre chose qu’à leur bon vouloir. Ça nous apprend aussi, pour être plus terre à terre, que la police est capable de tout se permettre quand elle s’intéresse à certains groupes, entres autres les collectifs ouvertement politiques (là, en l’occurrence, une banale association de lutte contre les violences policières). Elle ne va pas se gêner, elle n’a pas de scrupules à faire semblant d’être dans les clous du droit. La logique de l’état d’exception est déjà à l’œuvre. Et dans cette logique, la loi est parfois un frein. Dans certaines circonstances, elle est inopérante, pas assez efficace. On peut lui passer dessus.
C’était un message à caractère informatif.
La Caisse de Solidarité – Rebellyon, 9 novembre 2014