Quand la police débarque en été à Colbert, ça gaze et ça dégénère
Il y a deux semaines deux camarades passaient en jugement pour outrage, rébellion et violence. L’origine de cette accusation ? Une descente de police, un soir de juillet place Colbert, à la Croix-Rousse, bien sûr pour arrondir les fins de mois des policiers, mais aussi pour harceler des personnes reconnues comme militantes.
Nous sommes adossés à une barrière de la place Colbert devant un bar. Il est environ 00h15. Une voiture sérigraphiée de la police nationale passe à deux reprises devant nous au pas en nous fixant. Au troisième passage, il s’arrêtent, effectuent une marche arrière et stoppent à notre hauteur. Les deux policiers en uniforme descendent de leur véhicule.
Le premier demande ses papiers à la jeune femme. Elle déclare ne pas les avoir. Il lui dit alors : « Et bien on vous embarque ». Celle-ci a un petit mouvement de recul. Le policier fonce sur elle, la saisit manu militari. Le jeune homme intervient par la parole : « ce n’est pas parce qu’elle n’a pas ses papiers qu’il faut obligatoirement l’embarquer, tout va bien, restons en là ». Le policier tire alors la jeune femme vers son véhicule.
Les badauds attablés au bar commencent alors à protester, sans violence, verbalement, et calmement. Immédiatement, le deuxième policier fait usage de sa gazeuse sur les deux personnes à bout portant, gazant au passage tous les clients du bar attablés, dont plusieurs enfants de moins de 10 ans.
À ce moment, la jeune femme gazée à la bouche ne peut plus respirer. Elle le crie à plusieurs reprises : « J’arrive plus à respirer, j’arrive plus à respirer ». Le jeune homme se met alors à demander aux policiers d’arrêter leur action et d’appeler les pompiers. La jeune femme titube de l’autre côté de la route et s’écroule quelques instants plus tard dans les graviers de la place Colbert. Les deux policiers ne la lâchent pas pour autant. Les badauds protestent toujours plus, demandant aux policiers d’arrêter leur action et d’appeler les pompiers.
Elle ne bouge plus, elle s’est évanouie. Aucun coup n’a été porté aux policiers. Tout cela s’est passé en environ 2 minutes.
Les renforts de police (un équipage de la BAC) arrivent. Deux d’entre eux saisissent le jeune homme alors qu’un autre tient le bras de la jeune femme, toujours inconsciente. Tenu par un policier de la BAC, le jeune homme reçoit un coup de poing au visage du premier policier. Les badauds continuent de protester tout, indignés par la scène à laquelle ils assistent.
Alors qu’il est en train d’inciter les policiers à appeler les pompiers, il est violemment amené contre un véhicule de police et est menotté. La jeune femme est à nouveau gazée au sol, ainsi que les témoins. Elle se fait alors menotter, puis traîner au sol, entraînant des brûlures dans le dos. Les policiers la traînent par terre jusqu’à un de leurs véhicules, en lui ordonnant de se lever, de marcher, tout en l’insultant et en la frappant aux côtes.
Pendant ce temps, le jeune homme une fois menotté est mis au sol par un policier de la BAC qui le maintient au sol en apposant de tout son poids son genou sur sa gorge. Cet étouffement a duré environ deux minutes. Le jeune homme hurlait, qu’il ne pouvait plus respirer.
La jeune femme toujours dans l’incapacité de bouger, arrivant à respirer à grand peine, est amenée dans une voiture de la police. Elle s’écroule une nouvelle fois au sol. Les policiers ironisent alors à son sujet : « tu veux respirer et ben respire ! Lève toi ! »
Avant que les pompiers arrivent, le jeune homme, menotté, dans la voiture de la BAC, est à nouveau frappé, par ce même policier de la BAC, qui cette fois l’étouffe quelques secondes avec son coude contre la vitre.
Les pompiers arrivent et prennent en charge la jeune femme, qui sera sanglée dans le camion, toujours menottée jusqu’à l’hôpital St Luc St Joseph. À ce moment-là, une quarantaine de policiers ont envahi la place et ont frappé, gazé et dispersé la vingtaine de témoins outrés et indignés d’une telle violence. Au moins 5 douilles de lanceur de gaz anti-émeute ont été retrouvées sur place.
Le jeune homme est emmené au commissariat central Marius Berliet et retrouve la jeune femme deux heures plus tard. Nous restons en garde à vue 42 heures.
Nous passons en comparution immédiate dans l’après midi du 25 juillet. La juge et ses assesseurs ont refusé la demande de report pour complément d’information formulée par nos avocats. Cette requête était pourtant pleinement justifiée au regard du dossier bâclé, sans enquête menée, et des éléments matériels (vidéos, douilles de lacrymogène anti-émeute) que nos avocats souhaitaient produire et trouver dans le cadre du complément d’enquête.
De notre côté, les avocats ont malgré tout fourni 7 témoignages signés de témoins de la bavure qui n’ont pas été pris en compte. En face, il n’y avait que 2 dépositions des premiers policiers qui se sont constitués partie civile avec deux autres de leurs collègues. Le seul témoignage produit dans le cadre de l’enquête est un témoignage recueilli au téléphone par un officier de police judiciaire (OPJ), donc sans valeur juridique et ne reconnaissant aucun de nous formellement.
Sur cette base, nous avons été condamnés respectivement à 6 mois de sursis pour outrage, violences et rébellion et 8 mois dont deux fermes avec mise à l’épreuve pour outrage et rébellion. Nous avons de surcroît été condamnés à payer de lourdes amendes en compensation aux policiers plaignants.
Ces condamnations démesurées pour des faits que nous n’avons pas commis nous laissent un goût amer et la conviction que nous avons été jugés parce que nous sommes des militants agissant sur le terrain des luttes sociales, des sans papiers, de l’antifascisme, que nous sommes connus, fichés et suivis. Cette justice nous a donc jugé pour nos noms et et en aucun cas sur les faits reprochés cette nuit là.
Cette justice a donc délibérément mis de côté témoignages officiels, nos dépositions et donné seul crédit à la parole d’agents assermentés, sans témoignage, enquête, ou même confrontation qu’ils ont refusé de faire avec nous.
Nous ne sommes pas les seuls à subir ces violences, qu’on soit militant ou d’une couleur de peau jugée « à risques ». Solidarité envers toutes les victimes des violences policières et de toute autre forme de dérive répressive
Pas de justice, pas de paix.
Rebellyon, 4 août 2014