« Respect de la loi ou rébellion ? » : c’est l’alternative dans laquelle le préfet du Pas-de-Calais situe l’action de Kévin Reche, leader du collectif d’extrême-droite Sauvons Calais, organisateur de la manifestation prévue ce dimanche et annulée par la préfecture.
Le choix des mots interrogent. La rébellion n’est pas en soi un délit, sauf dans un cas bien précis d’une résistance violente généralement aux forces de police [Article 433-6 du Code pénal : Constitue une rébellion le fait d’opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant, dans l’exercice de ses fonctions, pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des décisions ou mandats de justice.] : ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Dans une tradition démocratique multiséculaire, la rébellion face au tyran ou la résistance à l’oppression sont à la fois des droits et des devoirs du citoyen [Article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. Article 35 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 : Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.]. Enfin il est paradoxal de qualifier de « rebelle » quelqu’un qui défend une conception ultra-concervatrice de l’ordre social.
On peut donc s’interroger si le choix du terme « rébellion » ne vise pas d’autres personnes, et n’annonce pas, au nom de l’interdiction d’extrême-droite, une répression accrue contre d’autres personnes. Quand on voit une population jetée à la rue et harcelée par la police, forcer la porte d’une maison vide, y mettre son nom et en assumer les conséquences judiciaires, pour que les personnes à la rue aient un toit, c’est un authentique acte de rébellion. Être présent au petit matin pour filmer les violences policières au risque de les subir soi-même, c’est un acte de résistance au sens des deux Déclarations des droits de l’homme et du citoyen suscitées. Rien à voir avec la complicité bienveillante dont le mouvement d’extrême-droite Sauvons Calais a joui de la part de la police et de l’autorité préfectorale à l’occasion de l’attaque du squat de Coulogne.
« Respect de la loi » : ni le Commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ni la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, ni le Défenseur des Droits, parmi beaucoup d’autres, ne pensent que cette expression qualifie l’action de l’État vis-à-vis des exilés et de ceux qui les soutiennent à Calais. Le préfet du Pas-de-Calais n’a plus aucune autorité autre que la force pour employer cet argument. Alors qu’on appelle État de droit un État qui respecte ses propres lois, et n’abuse pas de violence à son profit ou à celui de ses dignitaires.
Deux actes du préfet du Pas-de-Calais au matin du 11 avril : d’un côté il fait détruire le campement des exilés soudanais et arrêter ceux d’entre eux qui se trouvent sur place ; de l’autre il interdit la manifestation de Sauvons Calais prévue le 13 avril. Les uns sont jetés à la rue et arrêtés, leurs habitations sont détruites; personne ne détruit les maisons des membres de Sauvons Calais ni ne les arrête, le préfet interdit un rassemblement ponctuel à Calais après les avoir soutenus à Coulogne. Cette balance pipée qui penche outrageusement d’un côté n’est pas celle de la justice.
Et ce n’est pas là une action de l’État dans laquelle nous pouvons nous reconnaître.
Passeurs d’hospitalités, 12 avril 2014