« Tintin », mode d’emploi

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Les « Tintin », ces téléphones sous nom d’emprunt pour échapper aux écoutes

Pour assurer la confidentialité de conversations très privées, l’usage de téléphones rechargeables avec cartes prépayées ou activées avec des puces étrangères est devenu monnaie courante. Ces pratiques, éprouvées par le milieu des affaires ou le banditisme, sont aussi bien connues des policiers. Ils témoignent.

Le téléphone rechargeable, arme presque idéale pour éloigner les oreilles indiscrètes

Dans le milieu policier, on appelle cela un téléphone « Tintin ». « Pour ne pas être accroché sur une procédure, il suffit d’acheter deux packs GSM bas de gamme avec des cartes prépayées dans de petites enseignes de téléphonie comme on en trouve à Barbès ou dans n’importe quel bureau de tabac », grimace un policier de terrain. En général, le client paie en espèces et n’a pas à donner de pièce d’identité. Sur le papier, les opérateurs ou les commerçants ont l’obligation légale de récupérer le nom de l’utilisateur de l’appareil mais, bien souvent dans les faits, cette dernière n’est pas appliquée car chacun se renvoie la balle. « Au lieu de voir sa ligne coupée au terme d’un certain délai, l’abonné mystère reçoit des textos tous les quinze jours l’enjoignant de dévoiler son identité. Le manège peut ainsi durer des mois, voire des années tant que de nouvelles cartes activent l’appareil… » Les acheteurs de téléphones « Tintin » et de leurs puces vierges, aussi appelées les « balourdes » dans le jargon policier, donnent aux boutiques peu regardantes des photocopies de carte d’identité parfaitement fantaisistes. C’est ainsi que les enquêteurs ont retrouvé des appareils vendus sous les noms fleuris de « Raoul Bitembois », « Lex Expert » (Expert de la loi)… ou encore « Robert de Niro ». « Des voyous chevronnés font en outre l’acquisition de puces étrangères, du genre des Mobisud que l’on trouve en Espagne par exemple, pour rendre nos réquisitions plus difficiles », précise un vieux routier de la PJ.

• Les téléphones fonctionnent par paire, comme un « talkie walkie »

Pour brouiller toute recherche et rendre leur communication intraçable, chaque utilisateur n’utilise son téléphone que pour appeler un seul et unique correspondant. Le binôme fonctionne en vase clos, en circuit fermé sans jamais activer une autre ligne dans leur entourage susceptible d’être déjà « branchée » par un service enquêteur. « Un type organisé peut ainsi détenir trois téléphones réservés à trois correspondants différents, changer de puces tous les dix jours, grimace un expert. Ce jonglage permanent peut vite devenir un enfer. Il est dès lors impossible de faire le moindre « environnement », d’autant que ces utilisateurs coupent leurs appareils en rentrant chez eux, ce qui entraîne une perte complète de leur visibilité sur le réseau… » Le stratagème du talkie walkie devient par définition inopérant dès qu’un utilisateur active un autre numéro d’appel. Ou qu’il utilise sa puce vierge dans un téléphone ayant servi, dont le numéro de série IMEI est identifiable.

• Des techniques bien connues par les avocats pénalistes depuis des années

« C’est un secret de Polichinelle ! Même les moins rusés utilisent les « Tintin » et les puces « balourdes », constate un policier. Depuis le milieu des années 90, le système des appareils prépayés s’est démocratisé notamment pour permettre aux personnes âgées d’être joignables sans bourse délier et de passer de temps en temps un appel au besoin. » Pas de RIB, ni de chèque barré ou de photocopie d’identité à fournir : les voyous, qui ont érigé la clandestinité en art de vivre, se sont aussitôt engouffrés dans la brèche. Les histoires de téléphones en « toc », pris sous des noms d’emprunts, sont omniprésentes dans les dossiers de « stups », de proxénétisme, de braquages ou encore de recels. « Les avocats pénalistes, parmi lesquels se trouvent de redoutables techniciens, passent leur vie à éplucher les procédures, où tout doit être écrit noir sur blanc, mentionnées sur des procès verbaux, note un officier. Comme dans un livre ouvert, ils y lisent toutes nos techniques, nos ficelles avant de conseiller leurs clients. Leurs conseils sont évidemment précieux pour rendre inexploitables nos moyens de preuves. »

• Combien coûtent les surveillances ?

« Très cher » clament les policiers qui souhaiteraient la gratuité des réquisitions comme dans certains pays étrangers où les opérateurs de réseaux hertziens sont considérés comme de véritables prestataires de service public. L’identification d’une seule ligne est facturée par l’opérateur 6,5 euros hors taxe. L’obtention d’une facture détaillée d’un mois de communication, la fameuse « fadette », coûte quant à elle 35 euros. La facture globale peut flamber quand une borne parisienne peut activer 50.000 lignes, par tranches de 4 heures, sur un périmètre moyen de 150 m². Un logiciel policier baptisé Mercure fait les premiers recoupements et avant que les fonctionnaires ne lancent des réquisitions sur des nombres de numéros. L’identification d’un abonné à partir de son numéro est facturée 13 euros. Dans les service spécialisés, il n’est pas rare que les enquêtes téléphoniques sur certaines affaires judiciaires sensibles puissent franchir la barre des 10.000 euros. Une somme payée rubis sur l’ongle par la Chancellerie aux opérateurs, considérés comme très gourmands. Les réquisitions représentaient 34 millions d’euros en 2007, grimpant jusqu’à 68 millions d’euros en 2011. Elles sont retombées à 40 millions en 2012, soit une baisse de 40 % sur un an, due très largement aux efforts de maîtrise liés au budget serré de la place Vendôme.

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Publié par des larbins de la maison Poulaga (Christophe Cornevin, LeFigaro.fr, 11 mars 2014)

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