Début janvier, Christodoulos Xiros, membre de l’organisation révolutionnaire armée « 17 novembre », condamné en 2003 à 25 ans de prison ferme, profite d’une permission de sortie de 9 jours pour se faire la malle. En guise de carte de vœux, il envoie une vidéo et une lettre invitant anarchistes et gauchistes à oublier leurs différents pour créer un front de lutte armée.
Cette cavale sert de prétexte aux autorités pour lancer une vague de perquisitions sans précédant dans la mouvance antagoniste, principalement à Athènes et à Thessalonique. Une vague de perquis’ qui touche non seulement les milieux anarchistes, mais aussi les milieux autonomes et ceux d’extrême gauche.
Du 21 janvier au 15 février, pas moins de 41 perquisitions ont lieu à Athènes. Au cours de ces perquisitions, onze personnes sont arrêtées pour des délits mineurs (détention de petites quantités de stupéfiants, possession d’« armes » du genre gazeuses…). Un mandat de recherche est lancé contre une personne restée introuvable. Sur les onze personnes arrêtées, huit passent en comparutions immédiates et se prennent des amendes, vu qu’il n’y a rien d’autre à leur mettre sur le dos. L’une est relaxée. Deux autres sont renvoyés à des comparutions ultérieures.
En ce qui concerne Thessalonique, au moins 30 perquisitions ont lieues entre le 21 et le 30 janvier, dont 4 dans les domiciles des membres de la famille de Xiros. Suite à ces perquisitions, neuf personnes sont également condamnées pour le même genre de délits mineurs.
Il est probable que d’autres « violations de domiciles » aient été perpétrées par les chiens de gardes de l’État, sans que les personnes concernées n’aient rendu publique les faits.
Cette vague de perquisitions, dont la cavale de Xiros n’est qu’un prétexte, est un nouvel épisode de la répression des éléments incontrôlables de la contestation. Dans un contexte de crise économique et de tension sociale, l’une des stratégie de l’État consiste à détourner le mécontentement social en créant des figures de l’« ennemi intérieur », responsables de tous les maux.
Évidemment, les migrants sont les premiers à en faire les frais. Concernant ceux qui ont déjà franchis les frontières, les directives données par le chef de la police national à ses sbires sont très claires : « rendez leur la vie invivable ». Et autant dire qu’il ne s’agit pas d’une parole en l’air. Depuis quelques mois, les opération de rafles vraiment massives se multiplient dans les rues. Une opération qui se nomme « Xenios Zeus », le nom du dieu de l’hospitalité dans l’antiquité grecque ! De même que les expulsions collectives de migrants (y compris de réfugiés Syriens) vont bon train (ou avion dans la plupart des cas). La durée de rétention est passée à 18 mois et il n’est pas rare que sur ces 18 mois de rétention, une bonne partie se fasse dans les geôles des comicos, ce qui veut notamment dire sans aucune minute de promenade hors de la cellule. Tout comme il n’est pas rare que les retenus se fassent démonter la gueule dans ces mêmes cellules ou dans les centre de rétention, ou tout simplement tuer dans la mer Égée ou dans la rivière Evros, à la frontière de la Turquie. La situation arrive au point que le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe demande l’ouverture d’enquêtes sur les mauvais traitements infligés aux migrants par la Police aux frontières et la gendarmerie maritime. Certains États (Grande Bretagne, Suède, Finlande, Norvège, Allemagne, Danemark) avaient déjà suspendu officiellement les expulsions prévues vers la Grèce, après la condamnation du pays par la cours européenne des droits de l’homme en 2011.
Dans ce contexte, on ne peux pas vraiment parler de « bavure » quand les gardes-côtes font délibérément chavirer un bateau de migrant, entraînant la mort de douze personnes (enfants compris). Il s’agit plutôt d’un message on ne peut plus clair envers tous les pauvres qui auraient l’audace de vouloir franchir les portes de l’Europe forteresse. Message d’ailleurs assumé ouvertement par ce gouvernement crypto-fasciste, dont le ministre des affaires maritimes couvre les gardes-côtes assassins en indiquant tout simplement que « Personne ne veut ouvrir en grand les portes et octroyer l’asile à tous les migrants qui se présentent dans ce pays ». Un gouvernement qui par ailleurs n’hésite pas à recruter des ordures d’extrême droite, comme l’ex député du partie LAOS (équivalant grec du FN) Thanos Plevris, qui avait publiquement déclaré en 2011 que la seule façon de protéger les frontières du pays c’est de tuer les immigrants qui veulent les franchir. Aujourd’hui, Thanos Plevris est conseiller du ministre de la santé (qui provient lui aussi des rangs du LAOS).
Avec cette répression féroce, l’État alimente un sentiment xénophobe grandissant dans la société grecque. C’est le b-a-ba du « «diviser pour mieux régner » : détourner le mécontentement social des véritables responsables de la misère sociale et économique (eux et leurs copains du patronat) et faire oublier toutes les mesures d’austérité qui passent pendant ce temps là. Ainsi que celles qui viennent soutenir ces mesures d’austérité, en réprimant la contestation sociale. Comme par exemple la réactivation d’une loi de réquisition des travailleurs, qui autorise l’État à envoyer les flics chez les grévistes pour briser une grève. Selon cette loi, si les grévistes réquisitionnés ne se rendent pas à leur poste de travail, ils peuvent être licenciés et poursuivis juridiquement. Ce fut le cas lors d’une grève des travailleurs du métro et d’une grève de profs. En ce qui concerne la grève des profs, la mesure avait été prise avant même que la grève soit officiellement annoncée.
Alimenter ce sentiment xénophobe permet aussi au passage de rafler des voies parmi les électeurs du parti néo-fasciste « Aube dorée »… Tout en gardant un vernis démocratique !
En effet, l’État ne s’arrête pas à la « menace migratoire ». Il réactive aussi d’autres vieux épouvantails de la « menace intérieur » , qu’il réprime également. Les anarchistes, la menace d’extrême gauche et toute contestation radicale d’un côté, « Aube dorée » et la menace d’extrême droite de l’autre.
Pour les premiers c’est des vagues de perquisitions à tout va dans les milieux contestataires, une répression féroce des opposants à la mine d’or de Halkidiki [Pour plus d’info fr.contrainfo.espiv.net/2013/04/20/skouries-en-chalcidique ainsi que .youtube.com/watch?v=eZyDzcni_A8] (couvres feux imposé aux villages qui résistent, descentes spectaculaires de flics dans les villages, enlèvements de militants chez eux, mises en préventives sous des accusations d’appartenance à une organisation terroriste et d’attentat à la vie humaine, suite à des faits de sabotage dans le chantier des mines), et même des persécutions contre les maires des communes qui étaient présents lors d’une contestation contre des péages, au cours de laquelle un poste de péage avait été incendié [Il s’agit d’une protestation ayant eu lieu le 9/2/2014, réunissant trois communes des frontières nord de agglomération d’Athènes. Il s’agissait d’une action contre un poste de péage qui les obligeait à payer chaque fois qu’ils voulaient sortir de leur commune. Cette protestation fait partie d’une longue liste de protestations et d’actions de sabotages contre les péages ayant eu lieu sur tout le territoire grec les trois dernières années.].
Les seconds (les fafs) ont aussi droit à leur lot de perquisitions et de répression. Quelques jours après l’assassinat de l’antifasciste P. Fyssas par un membre de « Aube Dorée », l’État et sa justice orchestre une opération fortement médiatique de perquisitions chez les fafs et dans les bureaux du parti. Cette opération se solde par l’arrestation d’une vingtaine de ses membres, parmi lesquels ses dirigeants, et la mise en détention préventive de six de ses députes (dont le président du parti lui-même). Par ailleurs, l’État lance une procédure d’interdiction (toujours en cours) contre « Aube dorée », afin qu’elle soit jugé comme « organisation terroriste ».
Les vagues de perquisitions, chez les anarchistes comme chez les fafs, sont médiatisées de manière quasiment identique. Jouer sur la carte des deux extrêmes et mettre les néo-nazis dans le même panier que ceux qui luttent pour la destruction de toute forme de pouvoir, permet encore une fois à l’État de détourner le mécontentement social, en inventant des nouvelles figures de l’« ennemi intérieur ». Cela lui permet aussi et surtout d’affirmer son rôle de garant de la paix sociale et de la cohésion, dans une société qui se polarise. De réaffirmer sa nécessité, alors même que sa légitimité est fortement contestée.
Faire taire la contestation par la force et par la manipulation médiatique qui alimente la peur, ça ne marche pas à tous les coups ! La Grèce a connu de très fortes mobilisations sociales ces dernières années. Si le mouvement social n’est pas dans une phase ascendante, il n’en reste pas moins quelques pratiques et réflexes qui permettent de faire face aux diverses offensives de l’État.
Ainsi, par exemple à Athènes, une assemblée d’immigrés et solidaires d’ASOEE se tient chaque jeudi à la faculté d’ ASOEE. Cette assemblée a commencé en 2012 comme un résultat des luttes communes des solidaires et d’immigrés face aux attaques policières contre le marché à la sauvette sur l’avenue devant la fac. Elle réunis des locaux et immigrés qui tentent de s’auto-organiser ensemble face aux keufs, aux fascistes et à la répression des migrants [Pour plus d’info immigrants-asoee-fr.espivblogs.net].
Dans la même veine, des assemblées de quartier continuent de s’auto-organiser un peu partout dans Athènes. Ces assemblées visent à résister face aux offensives de tous ceux qui nous mènent la vie dure (l’État et les patrons), surtout en temps de crise [Quelques informations générales sur les assemblés de quartier ici lavoiedujaguar.net/En-Grece-l-Etat-s-effondre-les]. Les assemblées contre les coupures d’eau et d’électricité restent actives. Des assemblées se créent pour lutter pour la gratuité des transports en commun, en essayant de bloquer les contrôles, de plus en plus nombreux et violents [Le 13 août 2013, un jeune de 19 ans est assassiné par un contrôleur qui le pousse du bus en marche, parce que le jeune refusait de payer l’amende. En tombant, la tête du jeune passager heurte le trottoir. Cela cause sa mort.].
Les gens luttent aussi contre le démantèlement de la sécurité sociale et des structures étatiques de la santé. L’enjeu est de garder publique ce qui l’est déjà, en même temps que de mettre en place des structures autogérées et accessibles a tout le monde (des centres d’aide médicale de premier degrés, des pharmacies sociales etc.).
Enfin, des nombreuses manifestations et autres actions s’organisent pour répondre à ces vagues de perquisitions et visibiliser la répression de l’État : manif sauvage devant la maison du chef de la police d’Athènes, manif dans le centre ville d’Athènes, rassemblement devant les maisons des gens perquisitionnés etc.
Reçu le 8 mars 2014