Chine : un millionaire s’offre une vie de châteaux
« Je n’ai pas de hobby particulier, à part planter des arbres et bâtir des châteaux », assure le millionnaire chinois Liu Chonghua, propriétaire de six résidences à l’architecture extravagante, construites en réaction à la monotonie des métropoles modernes.
« Je voulais transformer en réalité les châteaux de mes rêves », affirme M. Liu, depuis la tour crénelée d’une de ses propriétés — dont la silhouette grise évoquant le palais royal de Windsor domine les rizières environnantes dans la municipalité de Chongqing (sud-ouest).
À quelque distance de là, ses cinq autres châteaux sont plantés les uns à côté des autres. Parmi eux, un édifice de briques rouges coiffé de hautes flèches — tout droit sorti d’un conte de fées à la Walt Disney —, et un bâtiment cerné de tourelles en blanc et couleurs pastel — dans le style du célèbre palais de Louis II de Bavière à Neuschwanstein.
« Quand j’étais petit, j’étais fasciné par les histoires de princes et de châteaux », se souvient M. Liu, aujourd’hui âgé de 59 ans, qui assure avoir « grandi avec l’estomac vide » à la campagne.
Il avait été envoyé creuser des fossés lors de la Révolution culturelle, raconte-t-il à l’AFP.
Depuis, les fées se sont penchées sur lui : il s’est fait un nom dans la confection industrielle de gâteaux et pâtisseries (dont une baptisée « biscuit de rêve »), et à la faveur de l’appétit croissant des Chinois pour le sucré, il s’est constitué une fortune — lui permettant de concrétiser ses ambitions de châtelain.
L’homme d’affaires affirme avoir dépensé plus de 100 millions de yuans au total (12 millions d’euros) dans la construction de ses châteaux, et a même emprunté des fonds pour cela à des amis.
Ses projets trouvent leur inspiration originale en Bavière et dans les châteaux de la Loire, Liu Chonghua reconnaissant avoir été aussi marqué par l’Espagnol Antoni Gaudi, concepteur de la basilique Sagrada Familia à Barcelone.
L’un des ouvriers impliqués dans ses constructions, Ma Wenneng, balaie d’un sourire les difficultés de recréer des architectures occidentales sur le sol chinois.
« En fait, les châteaux européens sont extrêmement faciles à construire. Le patron a un grand livre de photos de châteaux dans son bureau, et cela nous sert de référence, voilà tout », déclare-t-il, tout en s’affairant sur une fontaine plantée au milieu d’un balcon.
L’explosion du marché immobilier chinois, dopé par une croissance de plus de 20 millions de personnes par an de la population urbaine sur la dernière décennie, s’est surtout traduite par la multiplication des blocs d’immeubles sans originalité.
Liu s’oppose vivement à ces milliers de tours d’appartements toutes sorties du même moule : « La Chine a besoin de châteaux, car il lui faut une culture (architecturale) diversifiée. On a besoin de gens qui rêvent », insiste-t-il.
« Quand vous construisez à ce rythme effréné, vous ne vous souciez évidemment pas de subtilités esthétiques », grince Tom Miller, expert de l’urbanisation chinoise.
L’uniformisation des paysages urbains en Chine, où les grandes artères des métropoles se ressemblent comme deux gouttes d’eau, commence à faire l’objet de récriminations auxquelles les autorités prêtent l’oreille.
Conscientes du problème, les grandes villes ont recouru ces dernières années à des stars internationales de l’architecture pour édifier d’emblématiques tours ou bâtiments culturels au style audacieux. Les autorités se lancent également plus volontiers dans la rénovation de quartiers historiques.
« Les Chinois réalisent qu’il n’est pas bon que tout se ressemble, et que des touristes pourraient même être désireux de payer pour voir quelque chose de différent », observe M. Miller.
Les châteaux de Liu Chonghua, dont les intérieurs sont pour le moment essentiellement vides, sont librement ouverts aux visiteurs et ne déçoivent pas ceux qui franchissent le portail d’entrée.
« Je pense que les châteaux sont extrêmement romantiques », se pâme une jeune femme nommée Gao, photographiée en robe de mariée immaculée, devant un des palais de M. Liu.
Les responsables politiques locaux, eux, ne sont pas tous du même avis, et les autorités avaient même envoyé il y a deux ans des excavateurs pour raser une arche de 16 mètres de haut.
« Le gouvernement ne m’a jamais apprécié, ils disent que j’ai offensé des cadres locaux », se désole le millionnaire, qui raconte avoir reçu « des appels anonymes (le) menaçant de mort ».
Il n’est pas la seule fortune chinoise atteinte par la fièvre des châteaux — un autre homme d’affaires a ainsi bâti des répliques de la pyramide égyptienne de Gizeh et du palais de Versailles.
Mais les projets de Liu pourraient bien être les plus ambitieux dans le pays : « J’ai seulement réalisé la moitié de mon rêve. L’autre moitié sera de construire des châteaux encore plus majestueux, du genre à abasourdir le public », insiste-t-il.
Et de pointer une colline boisée à l’horizon : « Là, je bâtirai quelque chose d’encore plus grandiose ».
Leur presse (Agence Faut Payer, 19 novembre 2013)
Quelle tristesse de voir le rêve d’émancipation de l’homme finir dans les clichés des bâtisseurs d’empires totalitaires.