L’Europe face au drame des migrants clandestins
Le marché juteux de la surveillance des frontières
Le drame des migrants clandestins, au-delà du drame humain qu’il charrie, dévoile une face cachée des plus sordides. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, de grands colosses de l’armement et de biens de sécurité aiguisent leurs appétits pour en tirer le maximum de profit par de juteuses affaires. Chacun y va de sa dernière trouvaille pour vendre des systèmes de protection et de surveillance des frontières dans une Europe plus que jamais véritable forteresse.
Eurosur, Milipol, Frontex. De quoi s’agit-il au juste ? Eurosur est le nouveau système de surveillance des frontières de l’Union européenne (UE), adopté le 22 octobre dernier. Ce système qui a pour objectif de renforcer les contrôles aux frontières extérieures, terrestres et maritimes de l’espace Schengen, est appelé à entrer en vigueur en décembre prochain.
D’autres mesures qui devraient initialement l’accompagner ont été, quant à elles, différées par Bruxelles à juin 2014. Milipol est le salon mondial de la sécurité intérieure des États, organisé tous les deux ans, qui ouvre ses portes à Paris à partir de demain (mardi 19) jusqu’au 22 novembre, soit 4 jours de rencontres, de découvertes et de débats autour de la sécurité publique dans le monde. Frontex est le «fer de lance» et «l’instrument emblématique de la politique de contrôle des frontières de l’UE et des pays qui lui sont associés dans ce domaine, comme la confédération helvétique». Le migrant clandestin, quant à lui, est cet ennemi juré que l’Europe s’est inventé. Il constitue une menace contre laquelle une véritable guerre est lancée.
Des Drones anti-migrants
En réponse aux deux récentes tragédies en mer survenues sur les côtes de l’île de Lampedusa, ayant coûté la vie à près de 400 personnes, l’UE a donné son feu vert pour le déploiement de l’Eurosur. Frontex qui est appelée à jouer un rôle très significatif dans la supervision de ce dernier, est l’un des habitués du salon parisien Milipol. D’autant que, remise au-devant de l’actualité, drames de Lampedusa obligent, la mise en œuvre du système Eurosur qui prévoit l’acquisition de drones de surveillance les mieux appropriés et les plus efficaces pour repérer et poursuivre les migrants clandestins, serait effective d’ici peu.
À ce titre, a indiqué une source italienne de Migreurop, Milipol pourrait être pour Frontex l’occasion propice de renouer les contacts, entamés en 2011, avec d’illustres hôtes, des leaders mondiaux de l’armement et de biens de sécurité, à qui s’offrira également l’auguste opportunité pour exposer leur nouvel arsenal et mettre en avant leurs dernières innovations en matière de développements technologiques, indiquent nos sources. D’autant que «l’Agence est connue pour avoir invité des fabricants de drones américains et israéliens à faire une présentation de leurs marchandises devant son staff. Le ministère américain du Commerce a d’ailleurs recommandé aux producteurs d’armes du pays de garder un œil sur le Frontex, car il pourrait offrir des opportunités d’exportation pour les États-Unis», assure, dans nombre de ses écrits, l’Irlandais David Cronin, écrivain expert de Frontex et des questions migratoires.
Et, celui sur qui pourront compter les futurs partenaires pour leur faciliter la conclusion du «marché» des drones anti-migrants, israéliens et américains surtout, n’est autre qu’Ilkka Laitenen. Ce général de brigade finlandais, qui dirige l’Agence depuis sa création en 2005, siège au comité consultatif pour l’Agenda de la Défense et de la Sécurité (ADS), un groupe de réflexion vivant de financements de l’industrie de l’armement, toujours selon David Cronin. «Laitenen et son staff entretiennent également des contacts réguliers avec l’Agence Européenne de Défense, un organe mis en place afin d’attirer et de développer des affaires pour les fabricants d’armes du continent», apprenait-il.
Ces drones traqueurs de migrants viendront renforcer les capacités logistiques d’intervention dont dispose Frontex et déjà déployées, à savoir 26 hélicoptères, 22 avions, 114 navires et 477 appareils techniques entre radars mobiles, caméras thermiques, sondes mesurant le taux de gaz carbonique émis et détecteurs de battements de cœur… À cela, il faut ajouter la révision à la hausse des moyens financiers dont devrait bénéficier l’agence en 2014, décidée par Bruxelles lors du sommet européen du 24-25 octobre dernier autour des migrations clandestines tenue à la suite des drames de Lampedusa.
Frontex : un budget de 89 millions d’euros en 2012
Pour rappel, de 6 millions en 2005, 19 millions une année après, le budget de Frontex est passé à 118 millions d’euros en 2011. Et, même s’il a baissé en 2012 (89 millions d’euros), elle demeure l’agence opérationnelle la plus financée de l’UE. Cette Europe et son bras armé qui ont fait du cimetière marin de Lampedusa un fonds de commerce où se sucrent allègrement les fabricants d’armements et d’équipements de sécurité. «Étant propriétaires ou actionnaires majoritaires de grands médias européens, les marchands d’armes concourent indirectement à fabriquer une opinion favorable à l’approche, de plus en plus militarisée, envers les questions des migrations irrégulières adoptée par l’UE», assure Mounira Haddad, présidente de AFAD, une association très active dans le domaine de défense des droits des migrants et réfugiés.
«La création d’un ennemi étant indispensable pour justifier les dépenses militaro-sécuritaires, il s’agit de se défendre de la menace migratoire généralisée, cet ennemi sans visage vient brouiller les limites entre Défense et sécurité. Et l’émotion face à l’image macabre des victimes des deux derniers naufrages, mises en scène par les médias européens, fait accepter la nouvelle guerre à l’immigration clandestines, dites humanitaires», s’offusque un membre de l’Association mauritanienne de lutte contre l’immigration illégale (AMLII).
Ces imbrications des enjeux découlant de la lutte contre les migrations illégales, nombre d’experts militant au sein d’ONG internationales pour la cause des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile, les ont maintes fois dénoncés. C’est le cas, par exemple, de Claire Rodier, membre du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI, Paris) et cofondatrice du réseau euro-africain Migreurop, lorsqu’elle fait référence à la participation régulière de Frontex aux rencontres, foires et salons où les professionnels de l’armement exposent leur matériel.
Ou lorsqu’elle parle de Laitenen, «général» directeur de l’agence européenne qui ne rate aucun colloque, forum et séminaire où se rassemblent militaires et policiers, industriels, représentants des ministères concernés et des institutions européennes.
En somme, «des enceintes où se tissent les liens entre les bailleurs de fonds et les entreprises, Frontex occupe une place stratégique : financée par les premiers, elle est courtisée par les seconds qui ont tout intérêt à son développement et à son autonomisation», écrivait-elle. Aux yeux de la juriste qui a dédié un volumineux ouvrage à ce croisement d’intérêts, intitulé Xénophobie Business et où elle s’interroge «À quoi servent les contrôles migratoires ?», l’agence européenne de gestion des frontières extérieures s’est avérée être doublement utile : d’abord en tant qu’«acheteur, puisqu’elle dispose d’un budget propre à cette fin. En organisant, à la fin de l’année 2011, des démonstrations en vol des drones dont elle a l’intention de s’équiper pour mieux lutter contre l’immigration irrégulière, l’Agence a ainsi donné un coup de pouce prometteur au marché européen du véhicule aérien sans pilote.»
Frontex est aussi également une «irremplaçable courroie de transmission, en mettant en relation les industriels en quête de financement pour la recherche et la réalisation du matériel de surveillance, qu’elle pratique de longue date, avec les décideurs institutionnels», conclura-t-elle. Une situation envers laquelle l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) basée à Genève, reste de marbre. Derrière ce silence assourdissant, se tapisseraient, peut-être, d’autres enjeux que seule cette Organisation, censée être l’un des garants des droits des migrants dans le monde, en sait quelque chose. Contactés par nos soins, les responsables de l’OIM n’ont pas jugé utile de se prononcer sur le sujet.
Leur presse (Naima Benouaret, ElWatan.com, 18 novembre 2013)
Traque du migrant clandestin : mode d’emploi
Depuis son apparition et le déploiement des troupes en uniformes ornés d’écussons étoilés — comme ceux de l’UE — sur le champ de bataille de la guerre « juste » contre les migrants et les requérants d’asile, Frontex ne cesse de gagner en reconnaissance.
Très utile s’est-elle avérée être, eu égard au rôle capital qui lui échoit désormais pour la commercialisation des équipements de sécurité dont plusieurs fabricants, notamment israéliens se disputent le marché dans le domaine de la surveillance des frontières. En témoignent quatre autres projets de nouveaux systèmes anti-migrations clandestine sont actuellement entre les mains de chercheurs spécialisés dans ce type de technologies de pointe. Il s’agit des systèmes Operamar, Wima, Effisec et Talos, indiquent des sources bien informées. Le premier consiste à créer des « fondations d’une capacité paneuropéenne en matière de sécurité maritime », précise-t-on.
Le Wima suggère, quant à lui, de multiplier l’usage des drones pour une surveillance plus efficace des côtes européennes. L’immigration clandestine et le trafic d’êtres humains sur les mers sont les deux exigences auxquelles doit répondre le Wima. D’où le nom de « systèmes des systèmes » retenu par ses concepteurs prévoient.
En vue d’un renforcement plus accru des capacités en termes de contrôle et de surveillance des postes frontières (terrestres, aériens et maritimes), l’UE a, en outre, affecté une enveloppe conséquente pour la mise au point du nouveau dispositif Effisec. Celui-ci porte, pour sa part, sur l’intégration d’une série de technologies existantes et complémentaires (biométrie, documents électroniques, reconnaissance des signaux, analyses visuelles, détection de substances). La vidéosurveillance fait partie des pistes envisagées, ajoutent nos sources, indignées par le fait de « considérer les migrants comme des produits de contrebande ». Car, précisent-elles, détecter l’immigration illégale et les produits illicites est la finalité du système Effisec.
Le Talos, est, aux yeux de nos interlocuteurs, le système qui traduit au mieux « le fantasme de frontière virtuelle ». Et le concept, comment s’applique-t-il ? La patrouille autonome de surveillance des frontières entend utiliser des robots et des drones pour repérer à distance les immigrés clandestins et les interpeller avant qu’ils ne parviennent à s’évaporer dans la nature, a-t-on expliqué.
Autrement dit, des systèmes mobiles, modulaires et adaptables à toutes les situations. Le chef de projet Talos, soulignent nos sources, est une société polonaise de robots démineurs catégorie (PIAP), d’origine militaire. Son rêve étant de « cloner » ses engins IBIS, équipés de caméras thermiques et capables de tirer des projectiles en tous genres pour traquer les aspirants à l’immigration. « Ce beau bébé, un robot de combat et pas seulement d’observation, a d’ailleurs remporté la médaille d’argent au concours Eureka 2008, remis en novembre de la même année par les huiles de la Commission européenne », ont tenu à rappeler les mêmes sources qui ont requis l’anonymat.
Aussi, le robot IBIS sera doté de capacités lui permettant d’embarquer des armes dites à « énergie dirigée », mot savant pour désigner les canons à ultrasons, ajoutent nos sources. Et pour assurer le volet aérien de Talos, il a été fait appel aux compétences de la compagnie Israël Aircraft Industries, un des leaders mondiaux des drones de surveillance et d’attaque. Sa spécialité : détecter, localiser, cibler des terroristes, des trafiquants, des immigrés illégaux ou d’autres menaces sur la sécurité publique, 24h/24, même en cas de mauvaise météo et de faible visibilité. « On imagine bien où tout ce bel arsenal israélien a été testé grandeur nature », ironisent nos sources.
Leur presse (Naima Benouaret, ElWatan.com, 18 novembre 2013)
La sécurité, un marché à 100 milliards d’euros
Plus de 900 entreprises seront présentes à Milipol, salon dédié à la sécurité intérieure des États. La France, qui totalisera près de 36% des exposants, affirme désormais ses ambitions sur ce marché en mettant en pied une véritable filière.
Le salon Milipol qui ouvre ses portes du 19 au 22 novembre au Parc des expositions Paris Nord Villepinte, va encore faire le plein. Les organisateurs de la manifestation attendent pour cette 18e édition plus de 900 exposants et 27’000 visiteurs. Si personne ne s’accorde sur la valeur du marché de la sécurité du fait d’une définition à géométrie très variable, tous s’accordent sur un point : c’est un marché d’avenir, avec une belle croissance !
« Dans un contexte de stagnation de l’économie française, la sécurité privée tire plutôt bien son épingle du jeu : elle affiche en effet une croissance de 2,8% en 2012 pour atteindre un chiffre d’affaires de près de 22 milliards d’euros », estime Patrick Haas, directeur des publications En Toute Sécurité, éditeur chaque année de l’Atlas économique du marché de la sécurité. Ce chiffre englobe toute les formes de la sécurité : la cybersécurité, la vidéosurveillance, le contrôle d’accès, la sécurité aéroportuaire, les équipements blindés mais aussi le gardiennage, la lutte contre la démarque inconnue, la serrurerie… Soit au total plus d’une vingtaine de créneaux de marchés différents.
Menace diffuse
Certains acteurs ont une vision plus restrictive et plus high tech de cette activité. Ainsi, le groupe d’électronique Thales qui présentera ses dernières technologies à travers un stand de 225 mètres carrés, chiffre le marché mondial accessible de la sécurité à 100 milliards d’euros, avec une croissance annuelle de 5%.
Thales présentera aussi bien les nouveaux terminaux 4G sécurisés pour les forces de polices, que ses technologies de tracking vidéo pour doper l’efficacité des systèmes de vidéosurveillance, ou encore sa plateforme Big Data capable de scanner et d’analyser des milliers de tweets en vue d’en tirer des renseignements utiles aux forces de l’ordre…
« Après le 11 septembre 2001, le focus en matière de sécurité s’est concentré sur l’antiterrorisme. Après la vague des récentes cyberattaques et les grandes catastrophe naturelles de type Katrina aux États-Unis ou Fukushima au Japon, la menace est plus diffuse », explique Marc Darmon, directeur général adjoint de Thales, systèmes d’information et de communication sécurisés.
Structurer la filière
Pour profiter de cette croissance, la France a ainsi décidé de structurer une filière industrielle de la sécurité. Chargé d’inaugurer le salon ce mardi 19 novembre, le ministre de l’intérieur Manuel Valls devrait largement revenir sur les ambitions françaises dans ce domaine et les moyens pour y parvenir. Lors de sa visite, il aura l’occasion de se féliciter du fort contingent d’entreprises françaises présentes : elles représentent 36% de l’ensemble des exposants. Et les performances économiques sont au rendez-vous.
Sur le périmètre retenu par le nouveau CICS (le Conseil des industries de confiance et de sécurité), les industriels de l’Hexagone réalisent 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont 60% à l’export. Toutefois, l’effort industriel perd en efficacité de fait de son émiettement. Sur le nouveau segment porteur de la cybersécurité, c’est flagrant. « Sur les 800 entreprises recensées dans le domaine de la sécurité électronique, plus de la moitié ont moins de 50 salariés. Il y a forcément des duplications de l’effort de R&D que l’on pourrait éviter en favorisant les regroupements », explique Jean-Pierre Quémard, président de l’alliance pour la confiance numérique (ACN).
Dans ce contexte, les premières décisions du Cofis, le Comité de la filière des industries de sécurité installé par le premier ministre Jean-Marc Ayrault le mois dernier, sont très attendues. Ses représentants vont profiter du salon pour leur première intervention publique. Il devrait peut être dévoiler les premiers démonstrateurs technologiques, ces grands programmes structurants qui permettront d’unifier et de synchroniser l’effort de R&D de la profession, et peut-être également des nouveaux moyens financiers pour favoriser l’innovation. La filière sécurité ne cache pas qu’elle veut s’inspirer du modèle aéronautique qui a si bien réussi à la France et l’Europe.
Leur presse (Hassan Meddah, UsineNouvelle.com, 18 novembre 2013)
« La filière sécurité représente un gisement de plusieurs milliers d’emplois », selon Hervé Guillou
Alors que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault installe ce mercredi 23 octobre le comité de la filière industrielle de la sécurité (Cofis), Hervé Guillou le nouveau président du CICS, (le comité des industries de la confiance et de la sécurité), revient sur la nécessité de créer cette filière et sur ses actions pour la rendre plus compétitive.
L’Usine Nouvelle – Pourquoi avoir créé une nouvelle filière de la sécurité ? Quel est son périmètre en termes d’activités ?
Hervé Guillou – Le périmètre de la sécurité dépasse largement le cadre du seul maintien de l’ordre. Cela englobe de multiples activités : la surveillance des frontières terrestres et maritimes, des infrastructures critiques (centrales nucléaires, stades, sites industriels…), la sécurité du citoyen (police, gendarmerie, pompiers, protection des personnes…) la sécurité des flux de transport de biens et de personnes et aussi la sécurité numérique (cyberdéfense, sécurité des communications, identité numérique…). C’est donc large. La filière doit répondre au défi stratégique suivant : comment s’organiser pour que la France dispose d’une part d’une offre de sécurité pour ses citoyens et d’autre part d’une industrie compétitive pour répondre à ses besoins et s’imposer comme un moteur de développement à l’export. C’est pourquoi les industriels ont créé le Conseil des Industries de Confiance et de Sécurité, le CICS.
Comment se positionne l’industrie française de sécurité au niveau mondiale ?
Grâce à ses grandes entreprises et ses PME innovantes, la France a des positions de leadership mondial reconnues : EADS dans le domaine de la surveillance aux frontières et les radiocommunications privées (PMR), Gémalto dans la carte à puce, Dictao dans les transactions sécurisées, Morpho dans la biométrie, Thales dans la sécurité des villes et du transport… Le chiffre d’affaires des entreprises françaises pèse 10 milliards d’euros avec une croissance annuelle d’environ 10%, et représente 55’000 emplois. C’est un gisement de plusieurs milliers d’emplois par an, pour la plupart high-tech et peu délocalisables.
Que va donc apporter cette nouvelle filière ?
Nos positions sont vulnérables. Notamment parce que l’expression du besoin de la part des grands utilisateurs (ministères, police, gendarmerie, douanes, opérateurs publics et privés…) est très segmentée. Prenez le cas des aéroports : qui en assure la sécurité ? Beaucoup de monde : la police, les services de contrôle aux frontières, les sociétés de sécurité privée, la surveillance des bagages… La sécurité est complexe à organiser du point de vue de l’expression du besoin. Certains pays ont déjà commencé à agir dans ce sens. Les Américains ont créé le département du Homeland Security au début des années 2000. Il capte environ 50% de la valeur du marché sécuritaire du pays. Les Anglais ont créé leur National Resilience Office. Cette filière, soutenue par le Premier Ministre, va permettre de mieux promouvoir ensemble les positions de la France et de développer nos marchés.
Cette atomisation est aussi vraie du côté de l’industrie…
Effectivement. Il suffit de voir le salon de sécurité Milipol (salon mondial de la sécurité et la sûreté intérieure des états, qui se tiendra du 19 au 22 novembre 2013 à Paris, ndlr) où se côtoient une très grande variété d’acteurs : des fabricants de systèmes d’alarme, des vendeurs de tenues de protection, des spécialistes de systèmes de biométrie ultra-sophistiqués… Cette atomisation de l’offre est préjudiciable à une vision de politique industrielle et de politique de souveraineté qui est nécessaire à l’État pour remplir ses devoirs régaliens et à l’industrie pour être capable d’investir dans les bons segments. Enfin à s’entraider entre grands groupes et PME pour gagner ensemble des parts de marché à l’export.
La France pâtit-elle déjà de cette dispersion ?
En partie oui. L’Europe a publié un projet de directive de politique industrielle de sécurité en juillet 2012 et une nouvelle directive de politique de cybersécurité au mois de septembre. Nous ne sommes pas aujourd’hui en France suffisamment organisés pour traiter ces sujets et défendre une position française à Bruxelles, soutenue conjointement par les lobby industriels et par les pouvoirs publics. À l’export, on n’est pas aussi efficace qu’on pourrait l’être même si cette industrie est déjà exportatrice à 60% en moyenne. Nous pourrions faire mieux si nous étions mobilisés, si nous chassions en meute, et si les industriels étaient alignés avec le gouvernement sur les marchés prioritaires.
Le comité des industries de la confiance et de la sécurité (Cofis) vient d’être créé. Dans quelle mesure il est représentatif des industriels du secteur ?
Côté industriel, nous avons réuni les plus grandes fédérations professionnelles concernées par la sécurité. La FIEEC, le Gifas, le Gican, le Gicat sont membres fondateurs à droits égaux du CICS. Si d’autres fédérations sont intéressées elles seront les bienvenues pour devenir membres associés. C’est la première fois qu’il y a un vrai pont entre l’industrie de défense et l’industrie 100% civile. Les entreprises comme Gémalto, Alcatel, Orange, Cap Gemini, Dictao, contribuent aux travaux du CICS. Avec ces quatre syndicats, permettez-moi l’expression, on ratisse vraiment large au niveau de la sécurité, et il reste de la place pour accueillir d’autres volontaires.
Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?
Le Premier ministre installe la filière sécurité pour formaliser le caractère interministériel de la politique de sécurité nationale entouré de nombreux ministres, ce qui montre l’engagement de l’ensemble du gouvernement. Cela va permettre de lancer un dialogue public-privé en particulier sur trois grands thèmes : l’approche capacitaire du besoin ; la définition de la politique industrielle et de souveraineté, l’impulsion à l’exportation, les normes et la certification ; l’effort de R&D. Dans ce dernier domaine, le ministère de la Recherche, la DGA, les pôles de compétitivité seront associés. Il faut transformer les feuilles de route technologiques pour développer de véritables démonstrateurs et lancer des programmes d’investissements technologiques au service des opérateurs publiques et privés.
Avec la multiplicité des intervenants et des technologies, n’y a t-il pas un risque de créer une usine à gaz ?
Pour éviter cela, nous avons été très attentifs du côté des industriels à avoir les mêmes intervenants dans toute la chaîne de management de la filière. Les responsables du CICS chargés du dialogue avec les pouvoirs publics seront aussi les présidents des commissions internes : Philippe Dejean de Morpho (R&D), Jean-Pierre Quémard (export et normes), Lionel Le Cleï de Thales (expression des besoins), Stéphane Schmoll de Deveryware (stratégie). Moi-même, je représenterai les industriels au comité de pilotage et de filière. Nous faisons très attention à la cohérence et à simplifier les interfaces. Par ailleurs, nous allons nous appuyer sur des exemples de filières réussies comme la filière aéronautique avec le CORAC. C’est ainsi que l’aéronautique a raflé la mise il y a deux ans lors du Grand Emprunt. Il y a d’autres modèles comme la filière du pétrole qui a abouti au succès mondial d’un acteur comme Technip.
Dans tous les cas, il faut toujours un triangle magique : une industrie bien organisée, un service de l’État comme la DGAC pour l’aéronautique civil ou la DGA pour la défense, et une vision politique. Avec la création de la filière sécurité, on veut récréer ce triangle. Beaucoup reste à faire mais on a le chaudron pour verser tous les ingrédients.
Quel soutien financier espérez-vous des pouvoirs publics ?
Ce sera difficile de trouver de l’argent nouveau. Par contre si on est organisé, la filière pourra mieux canaliser l’argent disponible. À ce moment-là, le CICS peut envisager de proposer des projets d’envergure au lieu de se disperser. Aujourd’hui, nous nous sommes déjà entendus avec les services de l’État pour sélectionner près d’une dizaine de démonstrateurs dans le secteur naval, la protection du trafic aérien, la cybersécurité des systèmes industriels, le bâtiment intelligent… Nous serons ainsi prêts à postuler pour le second volet du PIA 2 [deuxième volet du Programme d’investissements d’avenir, ndlr]. L’équipe de France pourra ainsi mobiliser de façon plus efficace de l’argent à Bruxelles, comme le programme R&D horizon 2020 qui consacre 3 milliards à la sécurité sur dix ans.
Leur presse (propos recueillis par Hassan Meddah, UsineNouvelle.com, 23 octobre 2013)