[Chroniques de mitard publiées du 7 au 11 septembre 2012]
Promenade en enfer
Encerclé par des murs, bienvenue en enfer. T’as une heure pour tourner en rond, imagine le ciel vu à travers une passoire. Pas un bruit, tu marches sans savoir où aller et même si tu savais tu n’irais pas bien loin. Tu vois plus de ciment qu’un maçon. Décor de cimetière, le paradis des satanistes. Tu tournes comme un rat de laboratoire.
C’est mon septième jour de mitard, je ne m’y habitue pas et je ne m’y habituerai jamais. Plus que sept jours à tirer, mais bon après je resterai toujours en enfer, c’est juste les flammes qui brûleront moins fort. Les jours se ressemblent comme deux gouttes d’eau, douche un jour sur deux, eau chaude à des heures fixes, odeurs suicidaires, un cauchemar éveillé.
Déclaré cliniquement mort, pourtant je suis bel et bien vivant. Nourri à la ratatouille sans sel, c’est l’idéal pour un régime, ils ont trouvé la solution pour vaincre l’obésité. Plus de quatorze ans de ma vie passés dans ces toilettes. Tragédie d’un jeune de banlieue écorché vif.
Kamikaze de cité, suicide à l’argent sale pour finir pieds poings liés entre ces murs sales d’une autre époque, d’un autre temps. Mes journées se ponctuent de lecture, d’écriture et de ratures, de fautes d’orthographe.
Ça m’empêche de mourir, mon imagination me fait évader à chaque fois que je noircis la feuille. La patience est une vertu et ses fruits sont délicieux. Je prends sur moi, j’assume ce qui m’a mené jusqu’ici et j’en paye le prix.
Écrire, c’est hurler en silence. Vous devenez témoin de mon existence et de mon combat pour rester digne six pieds sous terre. Ta vie n’a de sens que si tu lui en donnes. Moi, j’ai donné un sens à ma vie, le jour où j’ai refusé de mourir.
Le jour de mon jugement inéquitable, cinq jeunes de banlieue affamés pire qu’à « KOH-LANTA », assis sur le banc des accusés, face à eux, l’élite bourgeoise, du caviar plein la bouche, c’était joué d’avance, les dés étaient jetés.
Essayer de sortir de sa condition sociale est devenu un crime, une offense à la République, qui nous a attribué des cases dans lesquelles il ne fallait surtout pas sortir. Moi, ma case est devenue cage. Voilà ce qui t’attend fils de prolétaire si tu t’en vas en guerre.
20 heures le 29 août 2012, rien n’a changé, une soirée de plus s’annonce pour moi au mitard. Mais je le prends bien, car tant qu’il y a de la vie, je garde de l’espoir.
[La Chronique de Youv derrière les barreaux est disponible en téléchargement gratuit sur le site des Éditions Antisociales. Elle est à suivre sur le compte Facebook dédié.]