Manifestations au Brésil : « Mais négocier avec qui ? Qui est le leader ? »
Pour la presse brésilienne, la propagation de la révolte révèle la défiance de la population vis à vis des partis politiques et des institutions.
Une photo inattendue, à la une de O Globo résume l’extrême complexité de la révolte sociale au Brésil : au beau milieu du chaos causé par les manifestants, juste devant l’assemblée législative de l’État de Rio de Janeiro, une jeune femme enlace affectueusement un policier afin de mieux le désarmer. « Surpris par cette puissante arme de protestation, dans le meilleur style « flower power », le représentant de forces de l’ordre reste parfaitement immobile et perplexe », rapporte le principal quotidien de Rio de Janeiro. Il ne sait visiblement pas quoi faire avec cette femme pendu à son cou. »
Comme ce policier, c’est toute la classe politique brésilienne, au niveau régional et fédéral, qui semble particulièrement désemparée face au mouvement populaire et spontané qui a pris sa naissance à Sao Paulo avant de s’étendre à travers tout le Brésil.
La lecture de la presse brésilienne révèle à quel point la situation est hétéroclite dans ce pays de 200 millions d’habitants 17 fois plus grand que la France. Le magazine Veja rend compte de la montée en puissance de la contestation : « Hier, des manifestations ont eu lieu dans plus de 100 villes. À Brasilia, la capitale, des casseurs ont tenté d’envahir le ministère des Affaires étrangères avant d’allumer des feux sur l’esplanade des ministères [où sont concentrés tous les institutions gouvernemental] et de « caillasser » la cathédrale [conçue par l’architecte Oscar Niemeyer, il s’agit du monument le plus visité de la ville]. Des affrontements violents ont eu lieu à Rio, Belém, Porto Alegre, Salvador de Bahia. Le climat était également tendu à São Paulo. Un manifestant est mort à Ribeirão Preto [une grande ville proche de São Paulo]. «
Pour l’Estadão de São Paulo, premier quotidien du Brésil, d’autres événements marquent symboliquement la défiance du peuple face à ses élites et aux partis politiques : « La foule a brûlé des drapeaux du Parti des travailleurs [le PT fondé par l’ex-président Lula qui est également la formation de la présidente Dilma Rousseff]. À Fortaleza, dans le Nordeste, la tentative d’invasion du Palais de l’Abolition, siège du gouvernement de l’État du Ceara, est également significatif. Environ 200 manifestants ont jeté des bouteilles de verre en direction du cabinet du gouverneur dont ils ont détruit les vitres. »
Le désarroi de la classe politique
Une anecdote, rapportée par Veja, dit tout du désarroi de la classe politique. Interrogé par une chaine de télévision, qui lui demande s’il est prêt à négocier avec les manifestants, le sénateur Eduardo Braga, une figure de la vie politique brésilienne, s’écrie : « Négocier avec qui ? Qui est le leader ? » Pour le Correio braziliense, principal journal de la capitale, « le monstre est lâché et la vieille politique est dos au mur. » « La voix de la rue exprime clairement son insatisfaction vis à vis de la mauvaise qualité des services publics due au détournement d’argent public. »
Dans ce contexte, la situation personnelle de la présidente Dilma Rousseff parait délicate. « Une ancienne militante étudiante peut difficilement faire réprimer les manifestants par les forces de l’ordre qu’elle a autrefois combattu », suggère la Gazeta mercantil. D’un autre côté, elle ne dispose pas du charisme, de la roublardise ni des talents de négociateur de son prédécesseur Lula. En annulant son voyage officiel au Japon pour convoquer une réunion de crise, la présidente prouve en tout cas qu’elle prend la situation très, très au sérieux.
Leur presse (Axel Gyldén, LExpress.fr, 21 juin 2013)