Les manifestations ouvrières ne cessent de prendre de l’ampleur. Au lieu de répondre à leurs revendications, dont la plupart sont légitimes, le gouvernement tombe dans la répression.
« Le début de l’année 2013 a été marqué par une vague de manifestations ouvrières de masse », affirme le Centre Égyptien pour les Droits Économiques et Sociaux (CEDES). Dans son rapport, intitulé La Colère ouvrière, le centre dénombre 2423 protestations, grèves et sit-in ouvriers pendant le premier trimestre 2013. En 2012, le nombre total de grèves et sit-in s’élevait à 3817. Il est fort à parier que fin 2013 le record de 2012 sera battu.
Ces protestations ont eu lieu dans presque toutes les régions du pays et ont pris toutes les formes dont notamment 22 % de sit-in, 18 % de marches et manifestations, 15 % de blocage de routes, 4 % de rassemblements divers et 1,3 % de cas de fermeture d’institutions.
70 % proviennent de contestations au sein du secteur public contre 10 % dans le secteur privé. Le reste ayant des motivations diverses : politique, économique ou sociale. Ces grèves ont, selon les spécialistes, aggravé considérablement la crise économique actuelle.
C’est en 2006 que le nombre de grèves a commencé à augmenter fortement. Cette série débute avec la grève historique de Mahallah lorsque 27’000 travailleurs du secteur du textile lancent un mouvement considéré par beaucoup comme un prélude à la révolution.
À l’époque, la direction des entreprises textiles avait promis de répartir les bénéfices entre les travailleurs si le comité syndical en place était réélu. Cette promesse n’ayant pas été tenue, les ouvriers se sont mis en grève. Dès lors, les travailleurs de tous les secteurs de l’industrie et des services (ciment, hôpitaux, transports, enseignement, impôts…) sont entrés en action, protestant contre les politiques néolibérales adoptées par Moubarak. Ces politiques avaient abouti à des conséquences négatives, notamment une hausse des prix et une propagation de la corruption.
La grève de Mahallah constituait la plus importante mobilisation ouvrière depuis 60 ans. Pour la première fois, les ouvriers organisaient des sit-in devant les ministères.
En 2011, selon l’association de défense des droits de l’homme, Les Fils de la Terre, plus de 1400 protestations ont eu lieu impliquant au moins 60’000 travailleurs. Depuis, le mouvement ne cesse de croître.
Depuis la révolution, les demandes s’élargissent
Une évolution importante des exigences des ouvriers a lieu avec la révolution du 25 janvier. Il n’est plus simplement question de revendications financières (augmentation des salaires, versements des primes impayées…) mais de revendications élargies avec des exigences d’ordre politique et social.
Les ouvriers demandent notamment un droit à l’emploi ou une indemnité chômage et un salaire minimum de 1200 L.E. indexé sur la hausse des prix. Ils souhaitent aussi l’instauration d’un salaire maximum pour les dirigeants, un accès gratuit aux soins, le droit à une pension de retraite, l’amélioration des conditions de travail — notamment à travers la sécurité des travailleurs, la liberté syndicale, l’abolition de la loi restrictive 35/1976 des syndicats ouvriers, la réintégration des ouvriers licenciés et la nationalisation des sociétés privatisées.
La classe ouvrière attendait avec espoir un changement radical mais même les plus légitimes de leurs demandes n’ont pas été prises en compte. Elle réclame aujourd’hui la chute du régime. « Morsi a été élu sur la base de ses promesses de démocratie et de justice sociale. Mais il ne veut pas mettre en place la moindre amélioration. Aucune des revendications des ouvriers n’a été exaucée », dénonce Khaled Ali, ancien candidat à la présidentielle et avocat spécialisé dans la défense des ouvriers.
Résultat : la vague de protestations ne cesse de s’amplifier depuis l’investiture de Mohamad Morsi en juin 2012. Seulement 34 jours après la prise de fonction de Morsi, le CEDES a recensé 271 sit-in et grèves. 2 000 manifestations ont eu lieu dans les mois qui ont suivi son élection, contre 1 400 lors de la même période en 2011.
« Cette augmentation significative démontre que, plus de deux ans après la révolution, la classe ouvrière lutte toujours pour l’obtention de ses droits fondamentaux », souligne Dalia Moussa, coordinatrice du dossier des ouvriers au CEDES.
Selon les observateurs, ces grèves prouvent que la classe ouvrière est une force de poids dans la société et qu’une simple coordination de ses actions et demandes représenterait une réelle menace pour le régime en place. « Conscient de ce poids, le nouveau régime cherche à briser la classe ouvrière et à l’affaiblir sans aucune réelle volonté de résoudre ses problèmes », commente Khaled Ali.
Dans ce contexte, de nombreuses violations des droits des travailleurs sont commises : la publication d’une loi criminalisant les grèves, la dispersion violente des grèves par des voyous ou la police antiémeutes, le recours à l’armée pour briser les grèves, comme celle des travailleurs du transport ferroviaire en avril dernier, et l’arrestation des grévistes. Sans compter le licenciement arbitraire de 650 travailleurs en 6 mois contre 35 cas recensés lors des 5 dernières années de l’ancien régime. La situation n’a jamais été aussi dramatique.
La première grève de l’Égypte
En mars 1882, les ouvriers du déchargement du charbon à Port-Saïd ont lancé la première grève de l’histoire de l’Égypte. Ils avaient deux revendications : le droit d’être payés directement par les entreprises où ils travaillent, au lieu des bureaux d’entrepreneurs qui les exploitent, et l’augmentation de salaires payés par les entreprises étrangères. C’était une grève massive qui a eu des effets importants dans la société. Résultat : le gouvernement a formé une commission de conciliation pour examiner le système en place. De plus, les entreprises étrangères ont assoupli le système d’exploitation des travailleurs et ont décidé de les payer directement, mais elles ont refusé d’augmenter leurs salaires. Ainsi, la première grève d’Égypte a permis aux travailleurs d’obtenir de nouveaux droits.
Presse esclavagiste (Al-Ahram, 19 juin 2013) via Solidarité ouvrière