L’ADN d’un Français sur six est fiché
Avec deux parents, deux enfants en moyenne, donc un frère ou une sœur, il n’est plus question de deux millions de patrimoines génétiques fichés, mais de cinq fois plus.
L’ADN de millions de Français est-il fiché sans que leurs heureux propriétaires en soient informés ? L’hypothèse fait froid dans le dos. Elle est un peu moins farfelue à la lumière de plusieurs affaires récentes, dans lesquelles les restrictions au fichage ADN y sont (plus ou moins) habilement contournées.
Le précieux ADN est du ressort du fichier national automatisé des empreintes génétiques (le Fnaeg). Tel un nénuphar sur une mare, il n’a cessé de grossir depuis sa création en 1998. Quelques milliers de personnes y étaient inscrites au début des années 2000, elles seraient maintenant près de deux millions (la Cnil, gardienne de la vie privée entre autres, n’était pas en mesure de nous donner une estimation, renvoyant vers le ministère de l’Intérieur en attendant le prochain rapport qui lui sera remis).
Cause de cette hyper-croissance : l’élargissement des crimes et délits concernés. Conçu spécifiquement pour ficher les criminels sexuels, le fichier regroupe aujourd’hui les auteurs de nombreuses infractions, et il balaie très large, puisqu’il va des crimes contre l’humanité aux vols simples par exemple, ou aux arracheurs d’OGM. Un nouveau fichier, uniquement pour les criminels sexuels, a d’ailleurs été créé depuis (le Fijais).
Prélèvement par surprise
Le Fnaeg est autant connu pour ce qu’il renferme que pour ce qu’il ne renferme pas : les ADN de personnes qui ont refusé les prélèvements. « Refuser de se soumettre au prélèvement [ADN] est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende », dit le code de procédure pénale.
Charles Torres le savait quand il l’a refusé pendant sa garde à vue en février 2012. Forgeron de métier, il était soupçonné d’être le sculpteur des crochets retrouvés sur les voies ferrées dans l’affaire dite de Tarnac, mais n’a finalement pas été poursuivi après sa garde à vue. Mais c’est ce refus qui l’a envoyé devant la justice.
« Dans refus de se soumettre à un prélèvement d’ADN, il y a refus de se soumettre », a-t-il lancé au tribunal de grande instance (TGI) de Rouen, lors de son audience, début février. Comme l’a raconté Le Monde, son ADN a bien été prélevé. À son insu et sans l’en informer après coup. Avec force de détails, les policiers de la sous-direction antiterroriste (Sdat) racontent dans un procès-verbal comment « à l’aplomb du siège où [il] s’est assis, des cheveux jonchent le sol », cheveux dont « la présence au sol résulte de la propension qu’a manifestée Charles Torres à se passer (nerveusement) les mains dans les cheveux ».
Sans un heureux concours de circonstances, jamais Charles Torres n’aurait appris que ses quelques cheveux tombés pendant sa garde à vue avaient été récupérés pour comparer l’ADN du suspect avec celui retrouvé sur les crochets.
Rien n’oblige les officiers de police judiciaire à prévenir du fichage ADN lors d’un prélèvement clandestin. « Un individu est informé de son fichage quand il se soumet au prélèvement : déposer de la salive sur un buvard suffit généralement pour comprendre de quoi il s’agit », explique la magistrate Évelyne Sire-Marin, vice-présente du TGI de Paris et auteure d’un chapitre sur le fichage dans l’ouvrage Contre l’arbitraire du pouvoir.
« Et s’il ne veut pas cracher sur le buvard, les officiers de police l’informent des risques encourus pour refus de prélèvement. »
CQFD.
Les avocats du forgeron ont contesté ces pratiques policières en déposant une question prioritaire de constitutionnalité. Non-recevable, a estimé le tribunal pour qui le Conseil constitutionnel s’était déjà prononcé.
Reste que l’absence de notification interdit toute contestation de son inscription au Fnaeg. Évelyne Sire-Marin précise :
« Il existe une procédure dans le Code de procédure pénale pour faire appel de son inscription au Fnaeg : il faut écrire par recommandé au procureur de la République qui a un délai de trois mois pour répondre. Passé ce délai, il est possible de saisir le juge de la détention et de la liberté. »
Les deux traces d’ADN trouvées sur les crochets étaient celles de gendarmes.
Si ce n’est toi, c’est donc ton frère
« C’est très rare », indique le service des greffes du tribunal de grande instance de Paris à peine a-t-on précisé le motif de notre appel. En effet : une personne a suivi la procédure en 2011, aucune en 2012, précise le service. Une procédure si méconnue qu’elle en devient cosmétique. Même sans notification, ces cas peuvent être inclus dans les chiffres du Fnaeg, environ deux millions de personnes donc. Le nombre pourrait être beaucoup plus élevé, car depuis l’année dernière, jusqu’à cinq fois plus de personnes sont susceptibles d’être indirectement fichées.
L’année dernière en effet, des enquêteurs français ont pour la première fois utilisé la méthode appelée « familial search ». Dix ans après une macabre affaire de viol et d’assassinat, les policiers ont essayé de comparer une partie de l’ADN retrouvé sur place avec les empreintes inscrites dans le fichier. L’objectif n’est plus seulement de trouver l’identité du meurtrier supposé lui-même, mais éventuellement un de ses proches dont l’ADN pourrait être fiché. « Ils ont effectué un test de paternité », explique Catherine Bourgain, chercheure à l’Inserm.
Banco. Alors que l’enquête était bloquée, une nouvelle piste se dessine : le test d’ADN indique qu’un parent du principal suspect est fiché. Les gendarmes peuvent réorienter leur enquête sur cet homme. Celui-ci a été condamné quelques années auparavant (donc fiché au Fnaeg), il était incarcéré au moment des faits. Les soupçons se portent alors sur sa descendance, notamment l’un de ses fils, décédé quelques années plus tôt dans un accident de voiture. Corps exhumé, ADN comparés, son profil correspond avec celui laissé sur la scène du crime. C’est donc bien lui le meurtrier.
Habile exploitation d’un vide juridique ? Détournement des garde-fous au fichage ? Les gendarmes affirment que rien n’interdisait, ni n’autorisait le procédé. « C’est n’est pas un exploit technique, modère Catherine Bourgain, mais un nouvel usage du fichier. »
Un nouvel usage qui fait craindre un élargissement de fait des profils conservés dans le Fnaeg. Avec deux parents, deux enfants en moyenne, donc un frère ou une sœur, il n’est plus question de deux millions de patrimoines génétiques fichées, mais de cinq fois plus.
« Toute personne fichée enregistre avec elle une partie de l’empreinte génétique de ses parents, enfants et de sa fratrie », conclut Catherine Bourgain. Pour la magistrate Évelyne Sire-Marin, le « familial search » est « un détournement total de procédure ». Elle poursuit : « La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la Grande-Bretagne pour ses fichiers trop larges. Je serai curieuse de savoir ce qu’elle dirait dans ce cas. »
Leur presse (Pierre Alonso, Slate.fr, 21 février 2013)
Pour rappel, rdv ce lundi 17 juin place J. Jaurès,
– 12h30 pique-nique tiré du sac
– 13h30 rassemblement au moment de la convocation au Tribunal
correctionnel pour Refus de prélèvement Adn.
(voir tract en pièce-jointe)
Le Comité de soutien 37 contre le fichage ADN.
Ci-après, la lettre-ouverte jointe au dossier de F. (voir pièce-jointe) :
» Raison d’un refus de prélèvement biologique
Je tiens ici à exposer le faisceau de raisons m’ayant amenée à contribuer
concrètement au refus du fichage ADN. C’est ce positionnement qui me
conduit une nouvelle fois en audience correctionnelle, ce lundi 17 juin
2013.
– Comme le dit la loi, le prélèvement de matériel biologique doit se faire
avec mon consentement. Or je ne peux pas accepter une telle chose, pour
toutes les raisons qui peuvent suivre. Le fichage Adn apparaît comme une
peine s’ajoutant aux précédentes.
– C’est une des ambiguïtés de cette loi. Mon consentement est nécessaire
pour le prélèvement mais le refus est répréhensible. La mise en place du
fichage Adn constitue un cercle infernal pour qui y est confronté. Soit je
consens à la peine et me laisse ficher comme suspecte potentielle. Soit,
comme j’en ai pris la décision, je refuse et je me retrouve poursuivie
comme délinquante, et regardée comme suspecte ; suspecte de vouloir cacher
des choses, autrement dit de ne pas être une personne transparente pour
l’oeil des puissants.
– Donner son ADN, au regard de l’acte de prélèvement, pourrait paraître
banal, mais c’est un acte définitif. Une fois l’empreinte effectuée et
informatisée, notre information génétique (quand bien même il s’agit d’une
combinaison d’extraits codés) se retrouve dans la grande banque de données
virtuelles, qui sont par nature volatiles (quand bien même celles-ci sont
sécurisées, accessibles sous condition, éventuellement retirables du
FNAEG).
– Malgré les précautions affichées dans les textes de loi et
positionnements du Conseil Constitutionnel, on ne peut que constater la
banalisation du fichage génétique. Ceci pour et grâce… »
[la suite en pièce-jointe « lettreouverte »]
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Raison d’un refus de prélèvement biologique
Je tiens ici à exposer le faisceau de raisons m’ayant amenée à contribuer
concrètement au refus du fichage ADN. C’est ce positionnement qui me
conduit une nouvelle fois en audience correctionnelle, ce lundi 17 juin
2013.
– Comme le dit la loi, le prélèvement de matériel biologique doit se faire
avec mon consentement. Or je ne peux pas accepter une telle chose, pour
toutes les raisons qui peuvent suivre. Le fichage Adn apparaît comme une
peine s’ajoutant aux précédentes.
– C’est une des ambiguïtés de cette loi. Mon consentement est nécessaire
pour le prélèvement mais le refus est répréhensible. La mise en place du
fichage Adn constitue un cercle infernal pour qui y est confronté. Soit je
consens à la peine et me laisse ficher comme suspecte potentielle. Soit,
comme j’en ai pris la décision, je refuse et je me retrouve poursuivie
comme délinquante, et regardée comme suspecte ; suspecte de vouloir cacher
des choses, autrement dit de ne pas être une personne transparente pour
l’oeil des puissants.
– Donner son ADN, au regard de l’acte de prélèvement, pourrait paraître
banal, mais c’est un acte définitif. Une fois l’empreinte effectuée et
informatisée, notre information génétique (quand bien même il s’agit d’une
combinaison d’extraits codés) se retrouve dans la grande banque de données
virtuelles, qui sont par nature volatiles (quand bien même celles-ci sont
sécurisées, accessibles sous condition, éventuellement retirables du
FNAEG).
– Malgré les précautions affichées dans les textes de loi et
positionnements du Conseil Constitutionnel, on ne peut que constater la
banalisation du fichage génétique. Ceci pour et grâce aux services de
police soumis aux directives (plans d’action de la Police Technique et
Scientifique) incitant à atteindre le fichage de 100% des mis en cause.
Avec actuellement plus de 2,2 millions de personnes fichées au FNAEG, ce
fichier est alimenté par plus de 25 000 prélèvements par mois en moyenne.
C’est bien à un processus de systématisation du fichage Adn auquel je
m’oppose avec d’autres.
Pour étayer, j’évoquerais les multiples extensions légales apportées au
FNAEG ; d’abord créé au motif qu’il permettrait de retrouver les criminels
sexuels récidivistes, il est aujourd’hui le fichier des condamnés et
suspects liés à 137 crimes et délits. L’exception du fichage devient la
norme. Il en est même, parmi les voix autorisées des milieux de la
Sécurité, des laboratoires d’analyse et des politiciens, pour appeler au
fichage de l’ensemble de la population (ainsi des propos de M. Estrosi,
rapporteur de la LSI qui a largement étendu le fichier en 2003). La
question posée à l’Assemblée Nationale par un député PCF en janvier 2013
va concrètement dans ce sens lorsqu’il demande l’extension du fichage au
FNAEG pour tous les délits au nom de la non-discrimination. Il est à
craindre qu’ensuite on envisage le fichage pour tout un chacun au nom de
cette même non-discrimination, entre personnes ayant un passif judiciaire
et celles qui n’en ont pas.
– Au regard des modifications déjà apportées au fichier FNAEG, on ne peut
garantir la finalité du fichier. Il est déjà passé de « fichier des
violeurs » à « fichier de délinquance de masse ». D’abord fichage
d’exception, le fichage au FNAEG devient une norme, et beaucoup de choses
(directives, recherche de résultat chiffrés, survalorisation de la « preuve
Adn », sollicitations et place prise par des laboratoires privés,
emballement sécuritaire, …) portent à ce que l’étendue du fichage ne
s’arrête pas là.
– La loi prévoit aussi de ne prendre en compte que des éléments d’ADN dits
« non-codants » hormis le sexe. Or plusieurs scientifiques attestent du
contraire, du fait notamment des avancées dans la recherche génétique ; je
renvoie à ce propos au témoignage en ma faveur de la généticienne
Catherine Bourgain. Les marqueurs utilisés (pris un à un et par
combinaison) pour le FNAEG renseignent sur les individus d’un point de vue
médical, physiologique, géo-génétique (donc sur son « origine ethnique »).
Il n’y a pas d’Adn non-codant, il n’y a pas d’Adn neutre ; la loi fonde
ses gardes-fous démocratiques sur un présupposé scientifique obsolète.
– Ce fichier ne garantit donc pas la préservation de nos vies privées. Un
seul magistrat est censé pouvoir le contrôler (alors que le fichier
augmente de 25 000 prélèvements par mois). La durée de conservation (40
ans) est inconsidérée ; on ne peut présumer des précautions de droit à
venir, ne serait-ce que du quart de siècle prochain, et on peut remarquer
sur 15 ans les évolutions du fichier déjà évoquée. De plus le nombre de
marqueurs utilisés (susceptibles d’être informatifs), déjà passés de 8 à
18, est porté à être augmenté, dans un souci de précision et du fait de la
baisse du coût des prélèvements. Face à ces incertitudes, la précaution
devrait prévaloir.
– Par ailleurs je me demande quelle menace importante présupposent les
autorités nationales pour justifier la mise en fiche d’extraits du
patrimoine génétique des individus. En l’occurrence, je considère que
cette mesure de fichage est disproportionnée par rapport aux faits
reprochés, en ce qui me concerne comme dans d’autres situations. Quelle
proportionnalité il y a à prélever tous les hommes d’un village
(Larmor-Baden début 2013) dans une enquête pour des feux de bâtiments ? De
même, dernièrement et localement, pour le fichage au FNAEG des jeunes pris
sur le festival Aucard de Tours avec des substances illicites type
cannabis sur eux ? Il en va de même pour ce qui me concerne.
– J’invoque donc la prise en compte de la proportionnalité des mesures de
fichage. Et je vis la demande de prélèvement ainsi que ces nouvelles
poursuites, comme un alourdissement des premières poursuites pour
violences sur agents. La première condamnation ne suffirait pas, il
faudrait encore, alors que les mois voire les années passent, soit subir
l’aliénation de mon patrimoine génétique en acceptant d’être fichée au
FNAEG ; soit comme c’est le cas, m’accuser d’une nouvelle délinquance, et
prendre encore une peine judiciaire pour cela. Ceci est une surenchère
dans la répression.
– Le fichage au FNAEG a cela de magique, ne pouvant être théoriquement ni
contraint ni systématique, de transformer tout individu qui y est
confronté, de présumé innocent en présumé coupable. Présumé coupable
faisant partie des fichés, donc suspects privilégiés pour toute enquête où
le FNAEG est sollicité. Ou présumé coupable de vouloir cacher quelque
chose, en tous cas coupable d’insoumission, donc potentiellement
justiciable, pour tous ceux qui refusent le prélèvement.
– La mise en oeuvre du fichage au FNAEG développe ainsi une logique
sécuritaire que je tiens particulièrement à dénoncer. Le fichage au FNAEG,
à grands coûts budgétaires que les autorités préfèrent attribuer à ce
genre de dispositif, participe d’un climat de suspicion généralisé néfaste
pour le vivre-ensemble.
– Au regard de l’affaire précédente qui me conduit pour une 2e fois devant
les tribunaux, je me demande bien à quoi pourrait servir le fichage de mon
Adn dans le FNAEG. La police a su même me trouver sans avoir à me faire le
moindre contrôle d’identité le jour même des faits reprochés. Et la prise
de mon Adn pour l’enquête, n’aurait sans doute rien apporté par rapport
aux accusations de coups de tête.
– De plus je ne peux avoir confiance quant à la bonne utilisation de mon
Adn quand je vois de quelle manière l’affaire pour laquelle j’ai été
condamnée a été traitée. Alors que le policier en civil qui m’avait
matraqué (lui-même le dit) n’avait aucun jour d’ITT (quand moi-même
j’avais eu 8 jours d’ITT), qu’il n’y a avait que son témoignage (pas même
celui d’un de ses collègues et aucun des nombreux témoignages en ma faveur
n’a été pris en compte), que la vidéo journalistique, malgré ce qui était
dit, ne démontrait rien concernant ses accusations, c’est quand même moi
que l’on juge coupable. Permettez moi d’imaginer alors que mon Adn puisse
être utilisé à mes dépens de la même manière.
– D’autant plus que l’Adn, c’est un peu le « vu à la télé » des enquêtes.
Survalorisé, il tend, dès lors qu’il est identifié sur un élément
d’enquête, à jouer le rôle de preuve indiscutable de l’implication d’une
personne. Cette idée que la seule présence d’un Adn peut éluder le reste
d’un raisonnement d’enquête porte à une grande méfiance.
– D’ailleurs malgré l’augmentation du nombre de fichés, le nombre
d’enquête résolues imputées au FNAEG reste très faible. En 2009 au
Royaume-Unis, où le fichage fonctionne un peu comme en France, et où il y
a déjà plus de 6 millions de fichés, le pourcentage d’enquêtes résolues
imputées au fichier ADN est de 1% (d’après l’Association des officiers de
police britanniques), et si l’on considère le fait qu’il n’y a pas d’autre
élément d’enquête que le fichier centralisé d’ADN ayant permis la
résolution, on tombe à 0,03% (d’après l’association britannique GeneWatch
se basant sur les même données). Pourquoi alors prendre cette mesure grave
de ficher autant de gens pour si peu de résultats dans les enquêtes ? A
l’inverse, nombre de gens se trouvent inquiétés, accusés à tort à cause de
l’identification de leur Adn au cours d’une enquête.
– Au regard de toutes ces raisons et des dérives que présentent le
développement du fichage au FNAEG, je tiens à dénoncer avec quelle
facilité on obtient l’Adn de milliers de gens tous les mois, contraints
par la suspicion, la peur des poursuites pour refus, la pression du
contexte de la garde-à-vue… quand la loi spécifie que le prélèvement ne
peut être contraint.
– Mon patrimoine génétique m’est à la fois intime, constituant dans mes
tréfonds ma spécificité d’individu dont je n’ai pas conscience moi-même.
En même temps, il est cet élément de partage qui me lie mystérieusement et
organiquement à l’humanité et même au vivant dans son ensemble. C’est
pourquoi je ne peux tolérer de me le voir extrait, accaparé, collectionné,
mis en fiche, exploité, par quelque autorité qui soit, policière ou
scientifique.
– La prise de mon ADN pour le ficher au FNAEG est aussi violente et
violatrice de mon intimité que si dans un autre registre, une autorité
pouvait obtenir un codage d’une compilation de mes rêves inconscients.
Bien que je ne les « possède » pas, ils m’appartiennent en propre, et ces
données relèvent de mon intimité profonde. En cela, l’ADN relève de la vie
privée quand bien même il pourrait être utilisé à des fins de contrôle.
– Mon ADN concerne aussi les membres de ma famille, les membres de ma
parenté connue et inconnue. En fichant mon Adn, c’est un nombre important
d’autres personnes qui sont concernées, indirectement fichées. Ceci n’est
pas qu’une possibilité, c’est une réalité. La FNAEG a déjà été utilisé,
par la méthode de la « family research », pour remonter des ramifications
généalogiques (ainsi de l’affaire Elodie Kullick, évoquée dans le
témoignage de C. Bourgain) ; et intégrer au passage l’ADN d’autres
personnes au fichier.
– Si le fichage au FNAEG est indiqué par la loi pour 137 crimes et délits,
cela ne constitue pas une obligation. C’est pourtant à un emballement du
fichage auquel on assiste. Cette logique me semble néfaste pour notre
société.
– J’estime qu’il est important d’enrayer la mise en fiche et l’encodage
informatique du vivant et des populations. J’aspire à ce que l’on revienne
à une considération des choses à taille humaine, où l’individu n’est pas
qu’un matricule à contrôler sans cesse habité par la peur de le voir
dévier. Le vivant est bien plus large que ce que les volontés de
toute-puissance de quelques autorités sécuritaires et industriels en
biotechnologie aspirent à en faire, et c’est bien du côté de cette vie à
partager que je veux me placer.
– Peut-être alors suis-je coupable de quelque chose que tout pouvoir
exorbitant ne tolère et qu’il ne pourra vraiment taire dans aucune
population. En effet, mes désirs, mes intérêts, mes aspirations et donc
mes actes ne font pas corps avec ceux qui détiennent ce pouvoir et leur
désir sans limite de toute puissance sur leur population.
Puisse le tribunal respecter ces objections.
F.
Juin 2013