[Toulouse] Soirée de soutien avec le mouvement anarchiste tunisien
La Caillasserie, 187 rue du faubourg Bonnefoy
Mailing Squat!net, 27 mai 2013
[Montpellier] Révolution en Tunisie : situation, analyse et perspectives
Le vendredi 31 mai à 19h30, le groupe de la Coordination des Groupes Anarchistes de Montpellier organise un débat sur la révolution en Tunisie.
Nous avons invité Mohamed Amami, révolutionnaire tunisien. Il nous fera par de la situation actuelle, de son analyse sur le processus révolutionnaire tunisien, de ses limites et des possibles perspectives. Questions et débats suivront ensuite.
Rendez-vous donc à la librairie La Mauvaise Réputation au 20 rue Terral (quartier Saint-Anne) le 31 mai.
Coordination des groupes anarchistes
Où en est le processus révolutionnaire en Tunisie ?
Pour essayer de répondre à cette question, six semaines après l’assassinat de Chokri Belaïd [Un des fondateurs du Parti unifié des patriotes démocrates qui participera à la création du Front populaire, une coalition de partis de gauche. Chokri Belaïd critiquait vivement la poussée de l’islam intégriste en Tunisie, s’en prenant aux promoteurs de ce qu’il désignait comme un « projet salafiste servant un plan de déstabilisation américano-qatari-sioniste » et reprochant au parti Ennahda au pouvoir sa complaisance à l’égard de ces mouvements extrémistes.], je me suis entretenu avec Habib le copain qui en 2011 avait fourni à Courant Alternatif deux articles sur la Tunisie. Le terme révolution ici employé n’a pas le sens que lui donne les anarcho-communistes, mais il est néanmoins utilisé car c’est ainsi que les Tunisiens désignent ce qu’ils ont fait. D’ailleurs, il s’agit bien là du seul point qui fait quasi unanimement consensus car les divergences apparaissent dès que se pose la question de savoir à quel moment a commencé cette révolution et si elle est terminée ou encore en cours.
Le 16 mars 2013 Chokri Belaïd était assassiné. Peut-on aujourd’hui préciser les conséquences de cet acte ?
L’assassinat de Chokri Belaïd ça été un choc énorme, terrible. Personne ne s’attendait à ça. L’assassinat ne fait pas partie des traditions politiques du pays. Des gens morts en prison, oui, et je considère que ce sont des assassinats, mais c’est d’une autre nature. Cela a renforcé les 3 clivages qui fracturent la société tunisienne. Ces trois clivages se superposent. Le premier, c’est celui entre la Tunisie urbaine et la Tunisie rurale. Le deuxième est entre la Tunisie des riches (celle du nord et de l’est : le Sahel [Le Sahel tunisien est une région de l’est de la Tunisie s’étendant du golfe d’Hammamet au nord à Chebba au sud] ainsi que la ville de Tunis et autour) et celle des richesses (l’Ouest, le centre et le sud) qui est en réalité la plus pauvre. Elle est bourrée de richesses, mais n’en profite pas puisque tout est exploité par l’autre Tunisie. C’est cette Tunisie qui est à l’origine de la révolution, mais à qui ça n’a rien rapporté. Le troisième clivage c’est celui entre modernistes (qui va des islamistes éclairés dit modérés jusqu’à l’extrême gauche en passant par la gauche et les libéraux) dont faisait partie Chokri Belaïd qui était avocat (mais pas sa famille qui vient d’une région plutôt pauvre) et non-modernistes (qui comprend des conservateurs ou non, aussi bien que des religieux ou non).
Dans CA de mai 2011, tu distinguais deux types de mobilisations, une d’ordre politique et l’autre d’ordre social. Où en sont-elles ?
Là encore, l’assassinat de Chokri Belaïd renforce et éloigne encore un peu plus ces deux processus. D’une part, le processus politique, qui se déroule à Tunis, là où sont les partis politiques, où se préparent les élections, l’écriture de la Constitution, là où il y a des manifs de rue, des pressions, le gouvernement et ses remaniements. Tout le jeu politique se fait à Tunis, cela va des revendications pour les libertés individuelles jusqu’aux magouilles des politiciens pour bien asseoir leur pouvoir.
D’autre part, le processus social (les revendications sociales) qu’il faut faire remonter au moins à 2008 (avec les grèves des régions minières) et qui continue encore aujourd’hui. Un processus social qui s’inscrit bien dans la répartition géographique que j’évoquais plus haut. Avant l’assassinat de Chokri Belaïd il y avait des rapprochements entre les deux processus. Il pouvaient se croiser disons matériellement dans la rue, aux manifs, aux sit-in. Au début les deux sit-in de Casbah étaient le fait de gens venus de l’ouest du centre et du sud qui ont occupé la place (le lieu géographique) du pouvoir.
Chokri Belaïd était quelqu’un de très important sur la scène politique. Lui-même et son parti étaient fortement présents dans l’UGTT (le grand syndicat majoritaire avec ses quelques 750’000 adhérents). L’UGTT était l’espace commun entre les deux processus. Maintenant, j’ai l’impression qu’entre eux le fossé s’est agrandi. L’assassinat de Chokri Belaïd a créé un fort bouillonnement au sein de l’UGTT qui n’est pas encore terminé. On ne sait pas encore quel processus l’emportera au sein de l’UGTT. Est-ce que ça va rester un espace commun, un pont entre le politique et le social, est-ce que ça va se scinder, comment ça va s’organiser ? On le saura sans doute bientôt, mais pour l’instant rien n’est joué.
Quoi qu’en disent certains, la révolution n’est pas finie.
Non, non, non, elle n’est pas finie, elle n’a pas gagné, elle n’est pas morte. On est dedans, voilà pourquoi je parle de processus. Quand on dit qu’on a fait la révolution c’est une manière d’écrire l’histoire, de s’approprier le processus. Surtout quand on dit ça à Tunis qui n’a commencé à descendre dans la rue qu’en janvier 2011, soit bien après le reste du pays. Les « on a fait la révolution, » « la révolution du jasmin », « le printemps arabe », sont des expressions qui s’inscrivent dans la même logique de récupération du processus révolutionnaire. On le déclare rapidement, pour que ça devienne en quelque sorte irréversible, que ça s’inscrive dans la tête des gens, en particulier des jeunes et des étrangers afin d’accréditer l’idée que c’est la classe moyenne qui a fait la révolution en Tunisie (classe moyenne, qui par définition est dans la région des riches). Si on accepte cette idée, alors la révolution a commencé le 8 janvier 2011.
En réalité la classe moyenne a rejoint le mouvement car elle y a vu une opportunité, celle d’acquérir plus de liberté et d’espace d’action politique. Et tant mieux si elle l’a fait, car sinon l’étape de la fin de la dictature n’aurait pas réussi. Du moins ça se serait passé autrement. Je pense que Ben Ali aurait réussi à écraser complètement le mouvement. Il serait resté. Il est parti parce que ça a commencé à brûler à côté de sa maison. Si c’était resté à Sidi Bouzid et autour, il se serait maintenu, quitte à éliminer la moitié de la population. Il y a un problème mental : la classe moyenne a toujours soutenu Ben Ali car il lui donnait plein d’avantages. Dans la Tunisie de Ben Ali, il suffisait d’être un fonctionnaire moyen pour vivre de son salaire. Il était même possible d’avoir un peu plus avec les facilités de crédits, de paiement accordés par les banques. Il était facile par exemple d’acheter une petite voiture pour pas cher [La « voiture populaire » selon l’appellation officielle, est une voiture, style Clio, importée ou montée sur place et revendue à des prix très corrects] et en plus les facilités bancaires permettaient l’achat sur plusieurs années. Même chose pour l’achat d’un petit logement. Quand tu appartenais à la classe moyenne à partir du moment où tu ne faisais pas de politique tu pouvais faire absolument tout ce que tu voulais. Aucune limitation des libertés individuelles non politiques. Tu pouvais prier ou pas, boire ou pas, porter une mini-jupe, avoir des copines ou des copains, habiter ensemble sans être mariés, être homo, co-habiter dans un appart à deux filles ou deux garçons sans que ça pose aucun problème. Après si ça se faisait ou non c’était une question de pression sociale, mais ça pouvait se faire et ça se faisait, pas dans tous les quartiers certes, mais ça se faisait.
Ça, ce sont des acquis absolument considérables. Le problème de cette classe moyenne actuellement, c’est que la révolution telle qu’elle a évoluée politiquement risque de mettre tout ça en question. Si elle a bougé c’est pas seulement pour gagner des libertés mais aussi pour “protéger” et consolider celles qu’elle avait.
C’est une défense des acquis.
Regarde la violence des réactions des modernistes et d’une partie de la gauche face à l’action d’Amina, cette jeune femme qui sur internet, à la manière des Femen, a montré sa poitrine nue porteuse d’un slogan peint. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit accepté, mais j’ai été surpris par la violence contre la fille elle-même et contre ceux qui l’ont défendue. L’argument c’était qu’elle provoquait les islamistes à qui ça allait donner une raison de plus de serrer la vis. L’autre argument beaucoup plus caricatural, faisait allusion à la mauvaise image que cela donnait de “notre pays”, de “notre identité arabo-musulmane” parce que lorsqu’on est arabo-musulman on ne montre pas ses seins. Comme si toutes les franco-chrétiennes montraient leurs seins. Mais une partie des gens qui disent ça, se revendique de gauche, laïc, athée. Je vais finir par refuser comme certains de parler de révolution dans la mesure ou une révolution ce n’est pas uniquement changer des structures politiques, c’est aussi, au moins, faire bouger, reculer, les normes, si on ne peut pas les changer définitivement dans un premier temps.
Ce que je constate, c’est un renforcement des normes. Maintenant qu’on est soit disant libres, il faut se situer. Ainsi pourquoi montre-t-elle ses seins puisqu’elle est libre ? Ça va avec ce qu’on pourrait appeler une forme de nationalisme qui se renforce. Des gens qui n’auraient jamais hissé le drapeau tunisien maintenant le mettent sur l’image de leur profil Facebook. Il y a la fierté d’être tunisien qui devient du nationalisme, dans le sens du rejet de l’autre. Quelque chose comme : nous on l’a faite la révolution, on est les meilleurs, on l’a faite assez vite, sans trop de morts, faites-la et après on verra. En outre, on réhabilite Bourguiba, on efface tout ce qu’il avait de dictatorial, on l’idéalise et on propage l’idée que c’est grâce à lui qu’on a fait la plus belle révolution. On entend dire : regarde ces sauvages d’Égyptiens qui s’entretuent, les Syriens c’est encore pire, les Yéménites, les Libyens n’en parlons même pas. La différence entre eux et nous c’est qu’on avait Bourguiba. Ça fait de nous un peuple élu, ce qui me rappelle des trucs.
Explique un peu pourquoi, après l’assassinat, le Premier ministre a déclaré qu’il ne resterait en poste que si on remplaçait le gouvernement actuel par un gouvernement de techniciens.
Si je veux être positif, je dirais que Jebali, connu pour être un modéré d’Ennahda, avait réalisé qu’il ne pouvait pas former un autre gouvernement qui ne soit pas dominé par Ennahda. Je pense qu’à titre personnel il a été très choqué par l’assassinat de Chokri Belaïd et qu’il soupçonne une partie d’Ennahda d’en être responsable. Jebali a passé 16 ans en prison à l’isolement et j’ai tendance à penser qu’il est empreint d’un certain humanisme et qu’après l’assassinat qui l’a choqué il a réalisé qu’il ne pouvait plus assumer le rôle qu’il considérait comme le sien jusque là, celui d’un Premier ministre d’un régime démocratique, dans une situation en train de se banaliser. La situation devenant explosive, à son avis un gouvernement politique n’était plus viable et sachant qu’il ne pouvait pas s’autonomiser par rapport à Ennahda, dont il est le secrétaire général, il a appelé à la sortie du pouvoir de tous les partis politiques et à la constitution d’un gouvernement de technocrates. Les partis politiques ont dit : “hors de question, on a pas gagné les élections pour mettre des experts à notre place”. Néanmoins une partie de la gauche a soutenu, car pour elle les experts modernistes qui font de la croissance économique en développant les grandes infrastructures, ça va dans le sens de ce qu’elle pense être bon pour le pays.
Personnellement j’étais contre car cela représentait un retour au régime de Ben Ali qui en effet durant 23 ans était à la tête d’un gouvernement d’experts. Avec Jebali politicien islamiste on aurait eu un gouvernement certes d’experts, mais d’experts avec un islamiste à sa tête, donc une dictature islamiste à la façon de celle de Ben Ali qui aurait exercé son pouvoir en délégant toutes les parties techniques aux experts. Jebali n’a pas eu le courage d’expliquer sa démarche. Il n’a pas perçu combien son idée était minoritaire tant au sein d’Ennahda qu’au sein de la société. Il n’a donc pas réussi, a démissionné et ce sont les faucons d’Ennahda qui l’ont emporté.
Où en est la rédaction de la Constitution, ça a l’air de bien prendre du temps à s’écrire ?
Oui, d’autant plus qu’on a l’impression qu’elle s’écrit vraiment toute seule. Il y a deux raisons pour que ça n’avance pas. La première c’est qu’Ennahda dès le début s’est mis d’accord, bien entendu sans l’annoncer clairement, avec le parti du Président de la République et celui du Président de la Constituante pour l’adoption d’une tactique de maintien assez long au pouvoir pour montrer au peuple que quelque chose a été fait. Donc plus ça traînera, plus ce sera bien pour eux. Ils n’avaient pas prévu l’augmentation de la frustration ni bien entendu l’assassinat de Chokri Belaïd, ni vu les antagonismes réels qui pouvaient provoquer des formes de violences collectives ou individuelles très dangereuses. La seconde c’est que les membres de l’Assemblée ayant en charge la rédaction de la Constitution se sont dit qu’ils avaient le temps, même si la loi provisoire à partir de laquelle ont été organisé les élections stipulait que la Constituante avait un an pour effectuer son travail et si l’Assemblée avait été élu sur cette base. Ils se sont servis du fait que l’Assemblée est souveraine, pour décider dès leurs premières réunions de supprimer l’obligation de finir en une année.
D’autre part ils ont beaucoup plus fonctionné comme Parlement habituel qui fait des lois, vote le budget, etc, que comme rédacteurs la Constitution. Faut dire que leur tâche n’est pas aisée car il a de tels antagonismes entre eux que la discussion du moindre article ne finit jamais. Maintenant on s’aperçoit que ce fut une erreur stratégique de ceux qui ont poussé à la création de cette Assemblée constituante, car si elle fait en même temps Parlement, c’est pour le moins compliqué. Il y avait sans doute d’autres solutions, mais de toute façon il n’y a pas la volonté d’aboutir.
Scylla (OCL-Lyon)
A’ssyan
Faisant suite aux différents événements qu’a connus la « révolution tunisienne » et à partir de 2011, des militants n’appartenant à aucun parti politique et des libertaires se sont rassemblés pour appeler au boycott des élections pour la Constituante, puis ont décidé de lancer un mouvement libertaire, le mouvement A’ssyan ou Mouvement Désobéissance. J’ai eu le plaisir de rencontrer ceux du groupe de Tunis et de m’entretenir avec l’un d’entre eux.
Nous revenons d’une action musicale sur l’avenue Bourguiba. Est-ce la première fois que vous agissez ainsi ?
Non, nous avons lancé cet événement il y a presque 10 jours. C’est un groupe musical avec des militants anarchistes, mais pas uniquement. On s’est mis d’accord avec l’ensemble du groupe pour présenter des chansons traditionnelles du groupe musical tunisien « ANSAR ESSALAM » (les partisans de la paix) qui opte pour une musique spécifique très proche de celle du groupe musicale marocain « NASS EL GHIWAN ».
Les chansons parlent essentiellement du problème des chômeurs et des clandestins qui entrent en Europe. Comme tu as pu le constater la centaine de personnes qui s’est rassemblée autour des musiciens et des danseurs a accueilli positivement les chansons et c’est notre principal objectif. Il y a 3 jours, lors d’une action musicale nous avons distribué notre appel à boycotter le Forum Social Mondial (FSM) ce qui a entraîné des discussions fructueuses avec beaucoup de gens.
Il y a des discours entre les chansons. De quoi s’agit-il ?
Entre les chansons, il y a reprise à haute voix des paroles des chansons, qui sont en elles-même quasiment un discours politique autour du chômage, de la police, etc. Je ne sais pas si tu as remarqué la réaction chaleureuse du public vis à vis des chansons et en particulier de leurs paroles ce qui s’est traduit par la demande, à la fin de la séance, de rechanter la chanson qui parle des chômeurs, dont le nom « Battal » signifie le chômeur.
Nous évitons généralement les discours politiques directs qui font ressentir chez les présents une supériorité de l’intervenant. Les paroles des chansons sont vraiment un discours de détresse et un appel à la révolte.
En effet, j’ai constaté que le groupe de personnes, assez diverses, qui s’étaient rassemblées avaient l’air content. Avez-vous déjà été interrompu par la police ou d’autres ?
Par la police, pas pour le moment, mais avant hier par des salafistes qui refusaient le fait que des camarades filles dansent dans la rue. À part ça, quelques nardhaouis [Partisans d’Ennahda parti politique tunisien islamiste ayant obtenu 89 députés au sein de l’assemblée constituante de 2011, ce qui en fait la première force politique du pays] se sont présentés quand on a distribué l’Appel vis à vis du forum, qui contient des slogans appelant à la chute du système, car pour eux le système doit rester intact. On a donc presque toujours des perturbateurs : salafistes, nardhaouis et même de la part de quelques adhérents de parties de gauche électoralistes.
Les actions qui s’appuient sur l’intervention musicale se feront environ un jour sur deux avec déplacement surtout les nuits sur le campus là où il y a les tentes des participants au forum social. On compte en plus organiser une manif avec des mouvements camarades, antiautoritaires, jeunes indépendants, le 26 mars avenue Bourguiba lors de la manif officielle du Forum qui va emprunter le parcours traditionnel des manifs organisées par le dictateur Ben Ali (de la place du 24 janvier vers l’avenue Mohamed V, donc en s’éloignant de l’avenue Bourguiba). Notre cortège antiautoritaire et libertaire va se détacher et se diriger vers l’avenue Bourguiba dans l’intention de la descendre, pour affirmer qu’on a toujours le droit de manifester sur cette avenue, que c’est un droit acquis que personne ne peut nous contester [Tout s’est bien passé. Comme prévu un cortège dynamique et joyeux s’est détaché de la manif du FSM et a descendu l’avenue Bourguiba en scandant des slogans comme : « A, anti, anticapitaliste » ou « Forum social, forum du capital », puis a emprunté le parcours du tramway pour rejoindre le lieu d’arrivé de la manif. Les photos illustrant cet article ont été prises durant le parcours de ce cortège.].
Le mouvement Désobéissance a lancé un appel international au boycott du Forum Social Mondial.
Nous avons programmé le squat d’un espace sur le campus où sera mis en place un rassemblement libertaire et antiautoritaire contre l’approche bureaucratique et réformiste du FSM.
Un restaurant solidaire et des actions indépendantes sont prévues à cette occasion (manifs et A.G de sensibilisations autour des vrais revendications de la révolution…, des activités musicales et de solidarité avec les blessés de la révolution, les réfugiés de Chocha [Il s’agit des réfugiés du camp de Chocha situé à la frontière tuniso-libyenne] et autres…).
Est-ce que tu peux présenter votre mouvement qui s’appelle Mouvement Désobéissance ?
L’Instance d’action révolutionnaire « Mouvement Désobéissance » s’est constitué durant l’année 2011. Les militants proviennent d’horizons politiques et idéologiques divers. Des anarchistes n’appartenant pas à des organisations politiques, des militants de la gauche classique, des militants n’adhérant à aucun parti, qui ont en commun d’avoir compris que les bouleversements à l’échelle du capitalisme international nécessite une autre approche que celle du parti politique leader de la classe ouvrière et de l’approche marxiste orthodoxe. Beaucoup d’entre nous sont des militants qui ont quitté leurs organisations de gauche. Nous avons une vision critique des mouvements politiques marxistes qui existent en Tunisie.
On s’est trouvé sur le boycott des élections pour la Constituante en octobre 2011. On s’est rencontré dans un club où on a discuté profondément et on a décidé de lancer le courant libertaire, anarchiste, antiautoritaire tunisien. On a eu beaucoup de contacts avec des groupes, des organisations et des militants anarchistes du monde entier. On insiste toujours sur notre propre approche « tuniso-anarchiste » car après tout le bouleversement socio-économique et politique, après les « révolutions » dans le monde arabe, on ne peut plus accepter un eurocentrisme. Le mouvement révolutionnaire en Tunisie, les événements au niveau de la lutte sociale, la richesse de l’expérience des populations qui ont défié la dictature, permet aux Tunisiens d’être en mesure d’éclairer ceux qui dans le monde rêvent de révolution, sur la manière de faire et sur les lacunes dont peut souffrir une mouvance révolutionnaire.
Donc dans le passé il n’y a pas eu de mouvement anarchiste en Tunisie ?
À ma connaissance, toujours relative, non. Il y a eu des individus anarchistes, des militants anars au sein de l’UGTT, mais pas de mouvement politique structuré. C’est donc la première expérience organisationnelle libertaire, anarchiste et anti autoritaire en Tunisie.
Quel est l’âge des membres de votre mouvement ? Quelle est la proportion hommes/femmes ? Quelle est leur situation économique ?
Pour la plupart ce sont des jeunes qui ne dépassent pas trente ans. Il y a presque un tiers de femmes. 20-25% sont des diplômés chômeurs ou des fonctionnaires. Les autres sont étudiants ou lycéens. En plus de Tunis, on a entre autres des groupes à Bizerte, Sousse, Sfax, Kef, Sidi Bouzid. On commence à s’implanter dans plusieurs grandes villes de Tunisie.
Une fédération de ces groupes est prévue pour bientôt je crois…
En 2012 nous avons tenu une grande assemblée générale pendant quatre jours en banlieue de Tunis. On a débattu essentiellement sur la déclaration de principe et l’aspect organisationnel. Cette année, le 1er mai, nous allons publier une déclaration qui sera issue du plus grand nombre possible de groupes des grandes villes c’est une démarche qui est en discussion et actuellement en délibération. On est en train de préparer notre grand meeting d’été, où j’espère le mouvement libertaire et antiautoritaire tunisien prendra un essor décisif sous la dénomination « Instance d’Action Révolutionnaire ».
Au-delà d’un accord programmatique, allez-vous déterminer des axes de lutte ou chaque groupe est-il déjà investi dans des luttes particulières ? Ou bien font-ils simplement de la propagande, de la diffusion d’idées ?
Nous sommes pour l’autonomie et l’indépendance des groupes, donc chaque groupe a la responsabilité d’agir en fonction de ses propres contraintes et des revendications de là où il est implanté. Par ailleurs, chaque groupe, au niveau de sa ville, non seulement prend part aux actions au niveau social, mais encore est tenu de propager l’idée d’autogestion et d’auto-organisation qui est d’ailleurs ce qui réellement nous réunit.
On partage nos expériences à l’aide d’une page Facebook commune. On essaie de faire passer l’idée d’auto-organisation dans notre discours politique, en tenant compte des contraintes de chacun dans la localité où il est. On a un journal qui permet de diffuser des idées, mais aussi des camarades qui font des assemblées générales sur leur lieu de travail, dans les cités, qui participent aux manifs, aux sit-in qui ont lieu partout en Tunisie. On est pas seulement un groupe de réflexion, mais de réflexion, d’action et de propagation d’idées d’autogestion, d’auto-organisation. Ce n’est pas uniquement la théorie qui nous obsède, c’est plutôt l’aspect pratique, le militantisme direct qui fait qu’on est présent lors de tous les affrontements, de toutes les manifs, de toutes les actions de rue et ce partout.
Y a-t-il des groupes investis dans des domaines particuliers ?
Nous avons déjà deux associations de camarades. « Alerta » une association de jeunes lycéens et l’association « Féminisme attaque », constituée pour l’essentielle de camarades féministes. Cette organisation de jeunes femmes milite pour la cause des femmes et pour l’autogestion et l’auto-organisation.
Ce sont deux associations indépendantes et autonomes. Le Mouvement Désobéissance n’intervient pas dans les prises de décision ni dans la mise en place des programmes d’action de ces deux associations.
Les militants syndicalistes du mouvement sont des adhérents de l’UGTT (le plus grande syndicat Tunisien avec quelques 750’000 adhérents) bien que le caractère bureaucratique de cette organisation syndicale est à dénoncer, ce que nous ne manquons pas de faire.
Une fois que vous que vous allez avoir fédéré les différents groupes du Mouvement Désobéissance, avez vous dans l’idée d’impulser un pôle anticapitaliste et antiautoritaire ?
C’est un de nos objectif à l’occasion du FSM. On vient de lancer un appel, pour la coalition des libertaires, des antiautoritaires, des forces révolutionnaires tunisiennes contre le régime et pour soutenir toute action révolutionnaire. On ne se considère pas comme les uniques révolutionnaires du pays, ni même comme les uniques représentants du courant libertaire et anarchiste du pays, et on veut agir avec les autres composantes pour fonder une approche antiautoritaire, anarchiste, qui soit décisive au niveau de la lutte directe (sit-in, manifs, affrontements), socio-économique et politique. Réellement les sit-in et les affrontements qui ont eu lieu dans toutes les régions de Tunisie étaient des luttes de militants indépendants jamais encartés dans des partis politiques. Et ce sont eux qui ont payé cher en étant blessés ou emprisonnés. Les militants politiques en général après un coup de sifflet prenaient la fuite. On veut donc rassembler ces militants indépendants libertaires qui ne sont pas liés aux calculs d’ordre politiciens.
Un mot pour finir.
Je dirais que le champ pour la création d’un mouvement libertaire anarchiste et antiautoritaire est très fertile, le mécontentement des jeunes, des ouvriers, de beaucoup de militants des partis de la gauche traditionnelle est palpable. C’est une réalité des événements révolutionnaires qu’a connue la Tunisie.
Comme mes camarades, j’insiste sur le principe de notre indépendance, de notre autonomie, vis-à-vis des mouvements internationaux bien que nous souffrions d’un manque de moyens logistiques alors que les politiciens de gauche comme de droite ont d’énormes moyens financiers, médiatiques et logistiques.
Tunis, le 26 mars 2013 – Scylla (OCL-Lyon)
Déclaration de principes du mouvement Désobéissance
Le mouvement Désobéissance est un mouvement libertaire et anti-autoritaire. Il lutte contre le capitalisme et ses appareils autoritaires. Il vise l’auto-organisatlon des peuples, et l’auto-gestion généralisée, directe, de la vie et des richesses produites. Le mouvement Désobéissance lutte pour :
• Appuyer la mobilisation révolutionnaire à travers toutes les formes de résistance.
• Impulser l’auto-organisation des masses exploitées en appuyant leur autonomie vis-à-vis des organisations centralisées et autoritaires.
• Abolir l’État (la répression, la bureaucratie … etc) et le Pouvoir central, pour son remplacement par l’autogestion directe, l’auto-administration des ressources et de la vie.
• Le dépassement de la représentation indirecte issue des rares scrutins électoraux, vers une démocratie directe, seule capable répondre aux besoins de la société et de gérer ses ressources dans la justice sociale.
• Unifier les forces libertaires en Tunisie et coordonner leur action pour l’accomplissement des tâches de la révolution.
• L’abolition de toute forme d’oppression et de discrimination pour une égalité réelle entre les femmes et les hommes, et entre toute autre minorité humaine.
• Résister à toutes les formes de colonialisme et d’exploitation capitaliste ; soutenir tous les mouvements de libération dans le monde, et celle du Peuple palestinien en particulier.
• Consacrer une culture libertaire, anti-autoritaire et critique, en rupture avec toute forme de pensée dogmatique et absolue.
• Consolider les tâches révolutionnaires et agir sur le terrain avec ceux qui les adoptent et se mobilisent à les réaliser.
• Rompre avec toute forme d’organisation hiérarchique et bureaucratique ; affirmer le principe du dialogue libre et de la décision collective dans tous les sujets en dépassant les systèmes autoritaires du centralisme démocratique et la passivité des spectacles du vote.
• Contre toutes les formes de patriarcat au nom de la compétence, de l’expérience, de l’âge ou d’un quelconque symbolisme, pour affirmation de l’alternance des responsabilités : le mandat impératif, et le droit à la différence.
Les militant-e-s de Désobéissance sont des individus libres et indépendants dans leurs initiatives, ils se veulent créateurs de nouvelles expériences collectives
Le mouvement Désobéissance est une composante du mouvement révolutionnaire. Il n’a ni pouvoir ni autorité sur les classes populaires qui mènent le mouvement. Le mouvement Désobéissance se place au sein du mouvement révolutionnaire, et il essaie de mettre à sa disposition des outils théoriques de compréhension, et d’action pratique. Il se dissout une fois que l’auto-organisation des masses exploitées prend forme.
Courant alternatif n°230, mai 2013