[Copwatch, Les flics dans le viseur] À la télé ce soir

Télé-gyrophare
Le documentaire-choc sur le « copwatching », flicage citoyen qui énerve tant les flics

N’espérez pas revivre les reportages à sensation diffusés sur la TNT, où les équipes de police coursent des braqueurs et cassent les portes de bandits à 6 heures du matin. Mais promis, il y a de l’action quand même.

Le film diffusé ce lundi par Canal+, « Copwatch, la police dans le viseur », d’Alexandre Dereims et Alexandre Spalaïkovitch, a nécessité un an de tournage à Paris (au marché des biffins de Barbès), Lille, Calais et New York, aux côtés d’adeptes du « copwatching », ces « surveilleurs de flics » qui filment caméra au poing les interventions policières.

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Ce documentaire montre l’envers du travail policier : une chasse aux pauvres et aux migrants somme toute assez médiocre. Il témoigne aussi de l’agressivité des fonctionnaires envers les militants qui ont l’ambition de contrôler les travaux finis.

Une pratique énervante mais légale

« Tu commences à nous casser les couilles avec ta caméra », lance par exemple un agent à celui qui le filme. Un commissaire promet, lui, de la casser contre le mur la prochaine fois. À travers leurs syndicats, les policiers ont plusieurs fois exprimé publiquement leur ras-le-bol de se voir filmés en intervention et parfois épinglés sur Internet.

Le site Copwatch Nord-Ile-de-France accède à la notoriété en novembre 2011 à la faveur d’un surprenant effet Streisand. À la demande du ministère de l’Intérieur qui a saisi la justice, le site est bloqué par les fournisseurs d’accès. Le tribunal a estimé qu’il contenait des propos diffamatoires sur la violence supposée de tel ou tel fonctionnaire, et que certaines données n’y avaient pas leur place.

Malgré le dépit des policiers concernés, rien n’interdit de pratiquer le « copwatching » si l’on prend garde ensuite à la manière de présenter les images. Comme le rappelait en 2006 une note du ministère de l’Intérieur, « les policiers ne peuvent donc pas s’opposer à ce que leurs interventions soient photographiées ou filmées. »

Cela « ne peut constituer aucune gêne pour des policiers soucieux des règles déontologiques », écrivait même la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) en 2005. Finalement, la CNDS inverse le slogan des partisans de la vidéosurveillance : si vous n’avez rien à vous reprocher… souriez.

Pierre, un « copwatcheur » interviewé dans le documentaire, se montre sûr de son bon droit :

« On veut que les policiers sachent que toute personne dans la population peut être témoin de ce qu’ils font et peut aussi exercer un contrôle. »

Pour la première fois, lui et ses amis, « des étudiants ou salariés proches de la gauche radicale », ont accepté d’être suivis par une équipe de télé.

« Un vrai boulot de documentation »

Comme l’expliquent les réalisateurs, la confiance s’est consolidée à petit feu. « On leur a présenté nos précédents travaux », dit Alexandre Dereims. Les collectifs Copwatch et No Border ont mis à leur disposition trois ans d’archives, « des dizaines d’heures » de vidéos et des compte-rendus écrits. Le réalisateur poursuit :

« Ils font un vrai boulot de documentation, sur des choses précises. Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il fasse froid, ils sont là. »

Son collègue Alexandre Spalaïkovitch les juge aussi « crédibles dans leur manière de travailler ». « Ce qu’ils nous ont montré correspondait à ce qu’on a vu par la suite. »

Intimidation, destruction de matériel

Les deux journalistes, habitués de terrains difficiles (Niger, Corée du Nord) ont tourné en caméra cachée sur la voie publique, sans demander l’autorisation de suivre les fonctionnaires au travail. « Ce n’était pas pour les piéger, mais pour avoir une version authentique des faits », soutient Alexandre Spalaïkovitch.

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VOIR LA VIDÉO

Le résultat, sévère compilation d’images tournées par les journalistes et par les militants, n’est pas flatteur pour les forces de l’ordre. Il révèle des pratiques répétées d’intimidation envers des marchands ambulants et des vidéastes, la destruction d’effets personnels des migrants à Calais, et plus généralement un comportement grossier et inapproprié des policiers filmés.

Certaines images prises à Calais avaient déjà été diffusées sur Rue89 en avril 2011. On y voyait notamment des fonctionnaires entrer, de nuit, dans un squat de Calais avec de la musique à fond dans les camions. Ils repartaient après avoir réveillé les migrants, en esquissant une petite danse.

Nous étions revenus sur cet épisode en novembre 2012, quand les policiers concernés avaient justifié cette pratique auprès du Défenseur des droits par la recherche d’un « moment de convivialité ». Alexandre Spalaïkovitch évoque plutôt « une pression continue » et « une chasse aux pauvres » :

« Les migrants et les biffins viennent souvent de pays où la police est très dure, et ils constatent qu’en France elle est presque aussi dure que chez eux. »

Pour lui, c’est en partie parce que « les policiers ne connaissent pas toujours la loi » ou connaissent « des problèmes d’encadrement ». Il précise que son film « ne cherche pas à dénigrer la police ». D’ailleurs, le visage des fonctionnaires a été flouté. Alexandre Dereims renchérit :

« Nous savons qu’il existe une grosse frustration de la part des policiers, pour lesquels c’est un éternel recommencement. On leur demande de résoudre la pauvreté [sic – NdJL], ce qui est impossible. »

Une caméra payée par des procès à la police

Aux États-Unis, les réalisateurs sont remontés aux sources du mouvement « copwatch ». Depuis l’affaire Rodney King en 1991 (un jeune Noir tabassé par la police de Los Angeles, sous les yeux d’un vidéaste amateur), filmer les interventions policières est une pratique plus fréquente qu’en France.

À New York, une application iPhone permet désormais d’envoyer les images d’un seul clic, sans risquer de se les voir confisquer. Et les destructions de matériel débouchent souvent sur des procès. À la clé, l’argent tiré des caisses de la police sert à… racheter des caméras pour filmer la police.

Là-bas, les « copwatcheurs » ne se cachent pas. Même s’ils sont, comme en France, source de colère pour certains policiers, ils témoignent à visage découvert. Ils sont convaincus de mener une action à la fois légale et salutaire.

Infos pratiques
« Copwatch, la police dans le viseur »
Documentaire d’Alexandre Dereims et Alexandre Spalaïkovitch
Diffusion sur Canal + le 27 mai à 22h25, dans « Special Investigation ».

Presse paupérisée (Camille Polloni, Rue89, 27 mai 2013)

 

Spécial Investigation : « Copwatch : les flics dans le viseur »

Ils défient la police et pourtant ils ne sont pas des malfaiteurs. Vous les trouverez partout où les forces de l’ordre interviennent contre des personnes en situation de faiblesse. Ils appartiennent au mouvement « Copwatch » — qui signifie « surveillance de flics ». Reconnaissables à la petite caméra qui ne les quitte pas, ces jeunes hantent le marché des biffins à Barbès, où des vendeurs à la sauvette négocient vieilleries ou boîtes de conserve de l’aide alimentaire pour gagner trois sous. Un commerce interdit. Si une interpellation dégénère, elle est filmée et la scène se retrouve sur le site de Copwatch. Ses militants sont proches de la gauche radicale.

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En 2011, choqués par le comportement de certains policiers, des gens se regroupent dans le Pas-de-Calais et en Ile-de-France pour importer en France ce mouvement né en 1991 aux États-Unis. Après la bastonnade d’un ouvrier du bâtiment afro-américain nommé Rodney King par des « cops » de Los Angeles. Filmées par un vidéaste amateur, les images de l’homme battu à terre avaient alors fait le tour du monde. Vingt ans plus tard, les « copwatchers » américains sont partout. Grâce à internet, tout le monde peut voir des scènes de bavures postées des quatre coins de l’Amérique et connaître le nom et le visage de ceux qui se montrent violents. « L’objectif n’est pas seulement de faire peur aux policiers, dit anonymement un militant français. On veut qu’ils prennent conscience, à un moment donné, que toute personne dans la population peut être témoin de ce qu’ils font et exercer un contrôle sur ce qu’ils font. »

En France, comme aux États-Unis, filmer la police est autorisé. En 2006, face aux protestations indignées de syndicats de policiers, la commission nationale de déontologie de la sécurité avait dû le rappeler. Et Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, s’était vu contraint de reconnaître ce droit des citoyens. Au marché des biffins de Barbès, beaucoup de vendeurs sont des sans-papiers ne parlant pas français. C’est pourquoi les copwatchers veillent sur eux. « Ces personnes-là ne peuvent pas se plaindre, poursuit le militant anonyme. Dès qu’elles le font, elles ont des problèmes administratifs du fait de leur situation juridique et sociale. Filmer la police protège les victimes de la police. » Tout le monde se souvient des images de policiers délogeant brutalement des familles de sans-abri qui campaient sur une place de La Courneuve. De femmes hurlant, de bébés traînés au sol. Même si les forces de l’ordre ne font qu’obéir aux ordres, les caméras témoins de Copwatch sont là pour les inciter à plus de délicatesse.

C’est à Calais qu’ont été tournées, en 2011, les scènes les plus insoutenables. Depuis la fermeture en 2002 du centre de la Croix-Rouge de Sangatte, les migrants, en attente de traverser la Manche, survivent de squats en friches industrielles. Là-bas, les copwatchers se nomment entre eux « No Borders » (les « sansfrontières »). Le groupe est constitué de bon nombre d’Anglais et d’alter-mondialistes qui filment les exactions d’agents de la Police de l’Air et des Frontières (PAF) traquant quotidiennement les clandestins. Surtout de bonne heure le matin, en les surprenant dans leur sommeil pour un énième contrôle d’identité. Presque tous sont relâchés car il n’y a pas assez de places dans les centres de rétention. Mais cette chasse à l’homme frisant l’absurde perdure. Des images montrent un migrant se jetant à la mer pour échapper à un policier. D’autres, des CRS aspergeant de gaz lacrymogène l’intérieur de tentes installées par Médecins du Monde. Ou encore la destruction de ces tentes et la confiscation du misérable baluchon de leurs occupants. Le pire étant cette scène, terrible pour l’image de la police, où des agents en voiture, arrivant en pleine nuit devant un hangar où sommeillent des migrants, mettent de la musique à fond et se déhanchent à la lumière des gyrophares sur la chanson Un dimanche à Bamako !

Saisi en juin 2011 par les No Borders, Dominique Baudis, Défenseur des Droits, a rendu fin décembre, au nouveau gouvernement, un rapport condamnant fermement les provocations et les humiliations que font subir aux migrants des policiers de Calais. La mission des militants de Copwatch est donc loin d’être vaine. Fin 2011, Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur et désireux de plaire à ses troupes, avait obtenu de la justice le blocage du site de Copwatch. Les informaticiens du mouvement ont aussitôt créé 35 sites miroirs proposant le même contenu que l’original…

Presse aux ordres (Sylvie Veran, teleobs.nouvelobs.com, 24-27 mai 2013)

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