Depuis quelques temps, la situation à Lesbos est alarmante. Les Syriens, les Afghans, les Somaliens et les immigrés de nombreux autres pays ont supplié en vain la police et la gendarmerie du port de les arrêter. Étrange ? Pas tant que ça, quand on sait que leur arrestation est nécessaire pour qu’ils puissent s’enregistrer et déclencher la procédure administrative d’expulsion, ce qui leur permet de rester légalement dans le pays pendant un mois (six mois pour les Syriens suite à une très récente décision ministérielle). C’est pour eux le seul moyen légal de se rendre à Athènes et de poursuivre leur voyage, avant de trouver d’autres moyens pour atteindre la destination envisagée au départ (en dehors de la Grèce généralement, et dans les pays d’Europe du nord de préférence).
Pourtant, la gendarmerie du port et la police refusent de les arrêter, sous prétexte de « ne pas savoir quoi faire d’eux ». D’après eux, les cellules de détention de la police sont totalement inadaptées pour accueillir en nombre et n’ont même pas l’infrastructure sanitaire la plus rudimentaire. Il faudrait nourrir les immigrés, les soigner et les cellules sont déjà pleines à craquer. Les policiers préfèrent donc rester indifférents à ces flopées de migrants, tous les jours plus nombreux, qui défilent devant eux. Les gendarmes du port et les policiers se les renvoient tour à tour (et la distance entre le bureau de police et la gendarmerie du port n’est pas moindre à Mytilène), aucun ne voulant faire usage de son autorité pour les arrêter. Et s’ils ne les renvoient pas à leurs collègues, ils se dédouanent du devoir de les arrêter en leur servant des excuses fallacieuses.
Suite à toutes ces marques de mépris et d’indifférence, le ras-le-bol des immigrés s’est radicalisé : depuis mercredi 24 avril, 12 Afghans et 4 Syriens ont commencé une grève de la faim, refusant la nourriture apportée par des bénévoles locaux, qui avaient pris l’habitude de s’occuper des immigrés bloqués au port. Il est indubitable que leurs conditions de vie sont plus que déplorables : pas la moindre trace d’installation d’hébergement, pas même de quoi s’abriter, ils dorment là où ils peuvent, dans les limites des grilles du port, sur le quai. Étant empêchés de fabriquer ne serait-ce qu’une installation rudimentaire, les immigrés tentent de faire face à l’absence d’emplacements en dormant dans des barques abandonnées ou directement sur le ciment, dans les sacs de couchages que leur a distribué Médecins du monde, tout ça sans la moindre aide de l’État grec.
Même pour les actes les plus élémentaires du quotidien, il leur faut improviser : Les toilettes, par exemple… ils sont contraints d’utiliser celles, communes et mal entretenues, de la douane. Ne parlons même pas de l’eau, qui leur faut boire à même les robinets extérieurs du port ; quant à la douche, au vu de leurs conditions de vie, ce serait du luxe !
Pourtant, à la gendarmerie du port, rien n’est prévu pour l’alimentation ou l’hébergement des immigrés et des réfugiés, bien que la loi donne la possibilité de le faire. Si on pose aux gendarmes la question pourtant simple « Qu’est-ce que vous allez faire d’eux si vous les arrêtez ? », la réponse reste évasive et personne ne pense aux centres d’Athènes, qui seraient pourtant une solution viable. À croire que les immigrés sont délibérément retenus loin de la capitale, dans des conditions honteuses…
Il faut dire que curieusement, on n’a pas pu compter sur l’État grec dans cette histoire, et s’il n’y avait pas eu les bénévoles et certains membres très actifs de l’église pour nourrir les immigrés, ils seraient probablement morts de faim. De même, s’il n’y avait pas l’équipe de Médecins du Monde pour donner les premiers soins, en collaboration avec les hôpitaux et les médecins bénévoles de Votsaneiou, les personnes souffrant de problèmes chroniques, les handicapés, les femmes enceintes et les bébés seraient restés sans les soins les plus élémentaires.
Hier, suite à la pression exercée par les immigrés sur l’État, une famille avec 2 enfants de 8 et 10 ans, une femme avec un handicap au pied, un cardiaque et un enfant de 18 mois diagnostiqué épileptique ont pu obtenir le papier leur donnant le droit de se déplacer en Grèce. Cela faisait pourtant 3 jours que tous ces gens avec des problèmes de santé sérieux appartenant à la catégorie des êtres vulnérables et bénéficiant de ce fait d’un traitement spécial censé être garanti par les traités internationaux, cela faisait pourtant trois jours que tous ces gens avaient été abandonné à leur triste sort, sur le port, sans aucun intervention de la part de l’État. Une fois de plus, ils n’ont pu compter que sur l’équipe de Médecins du Monde et sur les bénévoles.
« Nous ne sommes pas venus pour manger ! » s’indignent les Afghans qui ont entamé une grève de la faim. « La Grèce n’est qu’un lieu de transition pour notre périple ». En refusant de s’alimenter, ils protestent contre ce blocage inexplicable de maintenant 35 jours dans le port de Mytilène.
Heureusement, et une fois plus grâce à l’initiative courageuse des bénévoles, ils ont pu passer une semaine dans le centre d’accueil pour immigrés PIKPA improvisé par les bénévoles de l’association locale « Tout le village ensemble ». Ces derniers 12 jours, ils se trouvent à la gendarmerie du port de Mytilène en attendant en vain le papier tant espéré de l’expulsion administrative, regardant avec impuissance ceux qui s’en vont, alors qu’eux-mêmes restent coincés au même endroit.
Récemment, 4 Syriens se sont joints à la grève de la faim pour soutenir les Afghans et protester eux aussi contre ces conditions indignes.
Cette situation n’a en fait qu’un responsable : le gouvernement grec, qui mène une politique de dissuasion aveugle, qui ne tient aucun compte de l’humain, allant jusqu’à se permettre de ne pas respecter les traités internationaux, prétextant son incapacité à accueillir dignement les immigrés sur son sol. Or, il existe des centres à Athènes, et l’ouverture du centre PIPKA prouve qu’il est possible de les accueillir dans des conditions décentes, avec humanité.
Il y a maintenant longtemps que ce qui devrait être de la responsabilité de l’État retombe sur le dos des associations. Or, au rythme où vont les choses, elles ne pourront pas éternellement faire face à la demande. Pour l’instant, nous sommes au printemps, mais qu’adviendra-t-il des arrivées massives d’immigrés et de réfugiés prévues pour l’été ?
Traduit et adapté du grec (Stelios Kraounaki, aplotaria.gr) par Okeanews, 30 avril 2013