Le 25 avril au matin, à Madrid, jour de la manifestation « Assiège le Congrès », la police s’est répandue sur l’arrestation de quatre « membres » d’une « cellule anarchiste violente », qui avaient l’intention de brûler une banque.
Pour avoir une (petite) idée du contexte particulier de ces incarcérations, sur fond de restructuration capitaliste nommée « crise », bien sûr, il faut avoir à l’esprit que la presse a relancé ces derniers jours l’ »alerte terroriste » contre les anarchistes espagnols.
D’un côté, les journaux déblatèrent logiquement autour des deux dernières attaques de la FAI Informelle dans ce pays (une cafetière explosive dans la cathédrale Almudena de Madrid en février dernier, et l’envoi fin 2012 de godemichets piégés en forme de crucifix à l’archevêque de Pampelune et au directeur du collège des Légionnaires du Christ, qui a blessé une employée de la Poste dans ce dernier cas), mais ce n’est pas tout. Un rapport interne de la police espagnole, qui daterait d’avril, nous ressort ainsi en rab toutes les vieilles ficelles du siècle dernier (fin des années 90) sur le fantasmatique Triangle méditerranéen (Italie-Grèce-Espagne). Selon les journaflics qui citent leurs collègues spécialisés du ministère de l’Intérieur, des groupes de compagnons de ces trois pays entretiendraient des relations « non seulement au niveau idéologique mais également comme support stratégique », sous forme de petits groupes « au sein desquels chaque composante jouit d’une autonomie individuelle ». Un truc incroyable, non ? Les révolutionnaires anarchistes seraient internationalistes et se baseraient sur l’individu ! Enfin, leur « modus operandi de base » irait notamment du jet de molotovs à la fabrication d’engins artisanaux explosifs, qui répondraient à « des appels sur internet », outil qui leur servirait aussi pour « organiser des campagnes et diffuser leurs postulats idéologiques ». Oui, ça aussi il faut le savoir une bonne fois pour toutes, ces dangereux anars jouissent à la fois d’une réelle « autonomie individuelle » et obéissent tout de même comme de petits soldats à des « appels » virtuels ! Si après ça, vous n’êtes pas convaincus de la dangerosité sociale de ces schizophrènes…
Cette mise en scène méprisable ne prêterait finalement qu’à se moquer de ces larbins de l’autorité et de leurs porte-plumes, s’ils n’alignaient pas en sus, à l’appui de leurs calomnies qui sentent la préparation d’un mauvais coup répressif, des noms et des activités publiques dans différentes villes/régions (Palencia, Galicia, La Rioja, Cataluña, Madrid et Andalucía) pour les relier aux attaques anonymes qui se produisent régulièrement. Ainsi, les journaux glosent sur ces italiens qui passent faire des discussions en Espagne (citant des « insurectionnalistes » comme Bonanno qui a fait un tour de discussions en Espagne en juin 2012, ou trois autres « célèbres anarchistes italiens » lors de rencontres no-TAV), sur l’arrivée de Grecs, ou sur la présence d’un Finlandais/Russe « bien connu du groupe Action Autonome ». Le résultat de tout cela ? Les anarchistes espagnols se sont « infiltrés » dans des mouvements sociaux comme les manifestations de mineurs, la grève générale du 29-M ou les coordinations contre les coupes dans la santé, dans l’éducation ou la réforme du travail. Naan, tout ça pour ça, pour dire que les compagnons espagnols interviennent là où ça bouge pour foutre le bordel avec d’autres et apporter leur contribution spécifique ? Ou pour apporter leur solidarité avec des compagnons incarcérés (les activités de la Cruz Negra Anarquista et des prisonniers comme Tamara Hernández Heras, Amadeu Casellas ou Gabriel Pombo da Silva sont par exemple mentionnés) ?
En fait, il faut lire entre les lignes, et notamment se pencher sur l’étrange typologie établie par les services de renseignement d’outre-Pyrénées et rapportée par ses serviteurs. Ces lumières distinguent en effet trois courants anarchistes en Europe, histoire de dire qu’il ne faut tout de même pas mélanger les bons et les méchants : il y a « l’anarchisme autonome » qui « lutte pour les libertés individuelles [les droits] et opère dans différents champs d’activités comme l’antifascisme, l’anticapitalisme et l’antimilitarisme », « l’anarchisme solidaire » qui « appuie les campagnes en faveur des camarades nationaux et internationaux », et enfin « l’anarchisme insurrectionnaliste » qui « mène des actes de sabotage, place des engins explosifs et lance des attaques de niveau plus élevé ». Là, c’est déjà un peu plus corsé… et plus clair. Passent encore la théorie de salon, le folklore militant, les solidarités exotiques ou les luttes pour l’extension des droits démocratiques, mais faudrait quand même pas tirer quelque conséquence pratique de vos grandes idées. On comprend dès lors où souhaitent se porter les délicates attentions des chiens de garde de l’État, et tout l’enjeu de refuser le jeu des dissociations qui les aideraient à séparer le bon grain de l’ivraie.
Enfin, inutile d’ajouter que les titres de ces torchons parlent d’eux-mêmes : « Des anarchistes radicaux italiens visitent Madrid pour endoctriner les groupes antisystème » (Europa Press, 24 avril 2013), « Des groupes espagnols élaborent des stratégies communes avec des italiens et des grecs. La police en alerte face à l’augmentation de groupes anarchistes dans notre pays » (Ser, 29 avril 2013), ou encore une « Internationale noire qui menace toute l’Europe » (La Razón, 19 avril 2013).
Rien de nouveau sous le soleil, donc. Quand la tempête sociale risque à nouveau de gronder, l’État et les riches pointent les ennemis de tout pouvoir, ceux qui en défendent ouvertement la possibilité, s’en réjouissent et souhaitent l’alimenter… En langage policier, cela donne : « la situation de crise actuelle est le bouillon de culture idéal pour considérer que nous sommes dans une période d’expansion des activités anarchistes ». Chiche ?
Brèves du désordre, 30 avril 2013