« Si tu me vires de chez moi, je dormirai devant ta porte »
Une trentaine de fourgons de police, un hélicoptère de la garde civile et presque autant d’agents que de manifestants. Mardi 9 avril à 19 heures, la Plateforme des victimes des hypothèques (PAH) avait convoqué, devant le siège du Parti populaire (PP, conservateur), un « escrache », un rassemblement visant à identifier et à dénoncer les députés qui s’opposent au vote de l’initiative législative populaire contre les expulsions immobilières. Ce projet de loi, rédigé par la PAH et fort de 1,4 million de signatures, est en discussion au Parlement. Mais le PP, qui dispose de la majorité absolue, a présenté cinquante amendements. La PAH défend trois revendications : moratoire sur les expulsions immobilières, possibilité de rendre le bien hypothéqué pour effacer la totalité de la dette et création de logements sociaux destinés à la location.
Depuis mars, la PAH a organisé contre des députés du PP une quinzaine d' »escraches », terme emprunté aux militants des droits de l’homme argentins qui, dans les années 1990, identifiaient les anciens tortionnaires de la dictature et manifestaient devant leur domicile ou leur lieu de travail.
Le 7 avril, plusieurs dizaines de manifestants se sont postés devant le pavillon de la vice-présidente du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, aux cris de « Soraya, ta maison qui te la paie ? » ou « Ce ne sont pas des expulsions, ce sont des assassinats. »
« VICTIMES DES HYPOTHÈQUES »
Plusieurs personnes ont raconté leur histoire : un père de famille handicapé menacé d’expulsion avec sa fille de 6 ans, ou un professeur intérimaire au chômage à cause des mesures d’austérité, incapable de payer les traites de son logement. « Nous avions invité les députés à assister aux assemblées générales de la PAH pour qu’ils entendent ces témoignages, mais, comme aucun n’est venu, nous allons chez eux », explique Aida Quinatoa, porte-parole de la PAH à Madrid.
Mardi 9 avril, faute de pouvoir accéder au siège du PP, deux cents militants ont tenu une assemblée sur la place Alonso Martinez, à 200 mètres. Assis par terre, ils ont écouté de nombreux témoignages de »victimes des hypothèques » : chômeurs trompés par des clauses abusives, personnes âgées cautions de leurs enfants risquant de perdre leur logement. « Si tu me vires de chez moi, je dormirai devant ta porte », pouvait-on lire sur certaines pancartes.
Accusés d’actes « antidémocratiques » par le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, de « persécution » par le député Esteban Gonzalez Pons, qui a évoqué les intimidations autrefois pratiquées par le groupe séparatiste basque ETA, les « escraches » sont sur la sellette.
FORTE PRESSION SOCIALE
Fin mars, le ministère de l’intérieur a demandé à la police de procéder à l’identification et éventuellement à arrêter les manifestants qui « harcèlent » des députés. Mardi, le procureur général de l’État a dit étudier les moyens légaux pour empêcher ces rassemblements. La pression sociale autour de la question des expulsions, dans un pays où 83 % de la population est propriétaire, est forte, et menace de déborder le gouvernement. Près de 420’000 procédures de saisie immobilière ont été dictées par la justice depuis 2007. Plusieurs cas de suicide ont ému les Espagnols. Les « escraches » sont soutenus par 78 % de la population, selon un sondage d’El Pais.
En Andalousie, cette pression a conduit le gouvernement régional (coalition entre socialistes et écolo-communistes) à approuver, mardi, un décret-loi pour assurer le respect de la fonction sociale du logement. Ce texte prévoit l’expropriation des logements appartenant aux banques dans les cas d’expulsion de personnes en risque d’exclusion sociale, et des amendes pour les établissements bancaires qui ne mettent pas en location leurs immeubles vides.
Le PP se dit prêt à mener une réforme de la loi hypothécaire pour les cas extrêmes. Mais sans généraliser. Il subit la pression des banques, qui détiennent près de 640 milliards d’euros de crédits immobiliers à des particuliers et craignent qu’un relâchement ne fasse exploser les impayés.
Jeudi, la PAH organise un nouvel « escrache ». La cible ne sera connue qu’à la dernière minute.
Leur presse (Sandrine Morel à Madrid, LeMonde.fr, 10 avril 2013)