Banlieues : le mal-logement s’étend aux zones pavillonnaires
C’est parfois un petit signe de rien, plusieurs boîtes aux lettres sur une même grille quand les maisons voisines n’en possèdent qu’une. Des allées et venues plus nombreuses aussi dans ces quartiers tranquilles. Mais la plupart du temps, rien ne distingue ces pavillons de leurs semblables. Et pourtant, depuis deux ans, les villes de banlieue voient se développer un nouveau phénomène du mal-logement : la location à la découpe dans les zones pavillonnaires.
Au milieu des pseudo-villas « Sans souci » aux prétentieuses colonnes doriques, des petites maisons ouvrières « Marceline » ou « Ginette » avec leurs nains de jardin ou encore les belles meulières des années 1930 derrière leurs troènes, se nichent de nouveaux taudis : un pavillon, divisé en quatre ou cinq appartements, loués chacun entre 600 et 800 euros selon les communes, sans déclaration à la mairie ni respect des normes sanitaires. La cible ? Une population pauvre qui ne trouve pas à se loger ailleurs et ne se plaint pas, vivant dans la peur de perdre son toit.
« Ce processus de densification spontanée, accompagné d’une « taudification » de l’habitat dans les tissus pavillonnaires est avéré dans plusieurs communes qui accueillent des populations défavorisées », explique Anastasia Touati, doctorante à l’École nationale des ponts et chaussées.
Ainsi, en Seine-Saint-Denis, les communes d’Aulnay-sous-Bois, Tremblay-en-France, Sevran, Romainville, Montfermeil, Pavillons-sous-Bois seraient touchées. Dans l’Essonne, le phénomène émerge à Grigny et, dans les Yvelines, à Trappes et à Saint-Quentin. On le retrouve à Goussainville, Gonesse, Villiers-le-Bel, dans le Val-d’Oise, à Chelles et Villeparisis, en Seine-et-Marne, ou encore à Orly, Choisy-le-Roi et Villeneuve-le-Roi, dans le Val-de-Marne.
C’est une partie significative de la moyenne couronne qui est ainsi concernée, dans cette banlieue pavillonnaire modeste qui s’est développée successivement dans les années 1940, au lendemain de la guerre et dans les années 1970. Contrairement à la proche banlieue, on y trouvait des grandes parcelles, peu chères, sur lesquelles les ménages, « sortis des cités » ou fuyant la grande ville, pouvaient s’offrir leur maison. Le pavillon avec son bout de jardin et sa balançoire pour les enfants était alors une valeur de standing pour cette France des « petits-moyens », titre de l’ouvrage collectif des sociologues Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet et Yasmine Siblot (La Découverte, 2008).
Avec l’extension des gares, la création de zones d’activités économiques autour des aéroports parisiens, ces zones pavillonnaires sont devenues plus accessibles et proches de l’emploi. Les pavillons y ont souvent vieilli avec leurs habitants et, quand ils sont mis en vente, ils constituent désormais un bon placement pour qui veut faire de l’argent rapidement : « Certains marchands l’ont bien compris : avec une maison de 140 m², ils arrivent à faire quatre F2 en utilisant les combles. C’est très rentable et les opérations se succèdent, car il y a de la demande », explique Benoît Le Foll, pilote du Centre d’études techniques de l’équipement de Normandie.
On ne parle pas ici de la sous-location que peut faire un couple de retraités pour arrondir ses fins de mois. Mais d’acquéreurs qui veulent faire de l’argent rapidement. Leur profil semble un peu partout le même : des petits commerçants, des petites entreprises de BTP ayant un peu de cash, qui obtiennent très vite des prêts bancaires qu’ils remboursent avec les loyers perçus et qui repèrent les maisons à acheter par les agents immobiliers de leur réseau professionnel.
PETITE MAFIA ARTISANALE
Les clients sont légion : étudiants, jeunes travailleurs, stewards ou personnels travaillant dans les aéroports, familles aux faibles revenus trop contentes de s’offrir aussi un logement en dehors des zones urbaines denses…
Une petite mafia artisanale, parfois en réseau communautaire faisant venir ses compatriotes, a su aussi prospérer sur la misère. « Dans certains cas, le business est porté par des familles ou des réseaux familiaux qui achètent ensemble le patrimoine et le rentabilisent avec des pavillons utilisés avec des familles entassées dans les moindres recoins », raconte Xavier Lemoine, maire UMP de Montfermeil. On trouve ainsi « à louer » des abris de jardin, des garages, des caves…
Certains poussent l’arnaque un cran plus loin : comme à Sevran, où un pavillon a été transformé en dortoirs, dans lequel le propriétaire loue des lits. « Ce sont les nouveaux marchands de sommeil. Comme il n’y a plus de construction de foyers de travailleurs migrants, la demande est forte. À 400 euros le lit, c’est le scandale absolu », assure Stéphane Gatignon, maire EELV de la commune.
« On est face à des gens sans scrupule qui profitent de la crise du logement en proposant un logement moins cher à des familles à la rue », remarque aussi Martine Bescou, adjointe au logement du maire Front de gauche de Tremblay-en-France.
« Dans ces réseaux, on a découvert que des agences immobilières s’étaient spécialisées, des notaires étaient impliqués ainsi que des banques qui font des prêts défiant toute concurrence », dénonce Cécile Madura, première adjointe PS à Goussainville.
Les maux de ces nouveaux taudis sont un peu partout les mêmes : humidité, isolation défaillante, installations électriques saturées, surcharge des réseaux sanitaires… jusqu’au stationnement de voitures sans parking qui rend la circulation difficile. « Les élus s’inquiètent, car pour le voisinage, c’est vécu comme une dégradation du quartier et l’arrivée de ces populations plus modestes, c’est aussi moins d’impôts et des dépenses publiques en plus », souligne Éric Charmes, directeur de recherche à l’École nationale des travaux publics de l’État. L’ensemble des acteurs s’accordent pour expliquer que lutter contre ces nouvelles locations à la découpe demeure compliqué, car la législation n’a pas prévu une telle utilisation du bâti individuel.
TENDANCE À FERMER LES YEUX
La division d’un pavillon en plusieurs logements, non accompagnée de travaux extérieurs, n’est pas soumise à autorisation préalable auprès des services d’urbanisme. Seule demeure l’obligation de respecter le plan local d’urbanisme qui impose, par logement, des contraintes de construction, de stationnement et d’espace vert disponible. Mais, parmi ces nouveaux marchands de sommeil, peu de propriétaires le font. Les services municipaux découvrent souvent l’existence de ces contrevenants lors des inscriptions à l’école, les rattachements demandés à ERDF ou les interventions des services d’hygiène. Les listes d’habitants fournies par l’Insee permettent aussi parfois de découvrir ces nouveaux logements collectifs.
Conscients de l’effet négatif que ces nouveaux taudis donnent à l’image de leur ville, certains élus préfèrent les ignorer. Une tendance à fermer les yeux, car les procédures judiciaires sont longues et difficiles et que ces maires n’ont souvent pas de solution de relogement.
D’autres ont décidé d’attaquer ces constructions non conformes. C’est le cas de la commune de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) qui a mis en place un groupe de travail pour croiser les données des différents services et repérer les infractions. À Aulnay-sous-Bois, la ville dresse des procès-verbaux d’infraction au plan local d’urbanisme en s’appuyant sur la liste des déclarations de logement aux impôts et saisit systématiquement le procureur.
Idem à Goussainville où quinze propriétaires ont été condamnés pour « changement d’affectation » ou « augmentation de la capacité d’habitation » du bien immobilier. Là, les services de la ville vérifient les déclarations d’achèvement de travaux pour traquer les contrevenants. « Dès qu’on voit un tas de sable devant une clôture, on s’inquiète », admet Mme Madura.
Presse (Sylvia Zappi, LeMonde.fr, 8 avril 2013)