(…) [Vendredi 11 janvier], en fin d’après-midi, le jeune magistrat de permanence au service d’urgence du parquet reçoit un appel du commissariat du 3e arrondissement. Au téléphone, l’interlocuteur semble gêné. Il explique qu’un grave accident de la circulation vient de se produire, qu’une femme a été percutée violemment par un véhicule qui faisait des embardées. La victime vient d’être transférée aux urgences, son pronostic vital est engagé. Elle s’en sortira finalement avec de multiples fractures. Mais il y a un problème. Le chauffeur et les trois autres occupants du véhicule sont des policiers, membres de la prestigieuse brigade de répression du banditisme (BRB), qui expliquent qu’ils rentraient tout juste de mission et qu’ils étaient attendus en urgence à l’Évêché, le siège de la police marseillaise.
« Vous avez fait l’éthylotest ? », demande le procureur de permanence.
Malaise à l’autre bout du fil. Juste après l’accident, explique le policier au procureur, un certain nombre de membres de la BRB, dont le chef, sont venus sur place. Et, pendant que l’équipage de police-secours faisait les premières constatations sur l’accident, le chauffeur a été discrètement exfiltré. Lorsque l’agent l’a cherché pour le soumettre au dépistage, il avait disparu.
La hiérarchie du parquet est alertée. Terrain miné. La décision est aussitôt prise de confier l’enquête à l’inspection générale de la police. Lorsque l’un des enquêteurs se présente au domicile du chauffeur pour mesurer son taux d’alcoolémie, celui-ci est largement positif. Le chauffeur a une explication toute prête. En rentrant chez lui, il était « en état de choc » et il a bu « plusieurs verres de whisky ».
Mais, sur le bureau du procureur de permanence, les témoignages accablants s’accumulent, qui sont aussitôt transmis à la hiérarchie du parquet. Un témoin, qui roulait juste derrière la voiture des policiers avant l’accident, raconte que les quatre passagers semblaient « très excités », que l’un d’eux s’était déjà amusé à tirer le frein à main et que la voiture avait fait plusieurs embardées. « Une vraie conduite de voyous », résume-t-il sur procès-verbal.
Dans sa fiche, le premier agent de police-secours arrivé sur place avait noté, lui, les yeux « vitreux » et l’haleine « sentant fortement l’alcool » des quatre passagers. Un autre témoin, l’amie de la victime, qui était juste à côté d’elle quand elle a été percutée, confirme la grande excitation des occupants de la voiture. « En plus, elle est, euh, avocate ! », explique l’enquêteur au procureur de permanence.
Décision est prise au parquet de faire interpeller le chauffeur et de le placer en garde à vue pour le mettre en examen. L’interlocuteur policier renâcle, évoque l’activité surchargée du commissariat. Le procureur insiste. « On ne peut pas se permettre de laisser passer ça. Surtout à Marseille, vous le savez comme moi. »
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Pascale Robert-Diard, LeMonde.fr, 30 janvier-1er février 2013)