Stratégie du chaos : quand les partisans de Collon sèment le brun dans la CGT

Le numéro de novembre-décembre 2012 du journal la Fédération (publication destinée aux syndiqués de la Fédération CGT des salariés des activités postales et de télécommunications) faisait la promotion, en « 4e de couverture », du livre La stratégie du chaos, de Michel Collon et Grégoire Lalieu, aux éditions Investig’action et Couleurs Livres.

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Le propos de Michel Collon est classique, classique d’une certaine extrême-droite, qui s’est illustrée ces dernières années dans la défense des dictatures ou le soutien à la liberté d’expression des négationnistes, sous couvert de rébellion contre « la pensée unique » ou d’« anti-impérialisme ». Collon s’auto-proclame journaliste, mais a surtout joué ces derniers temps les supplétifs des propagandistes du régime d’Assad ou de Kadhafi. On l’a trouvé dans des manifs prétendûment anti-guerre, aux côtés de négationnistes notoires comme les membres de l’association Entre La Plume et l’Enclume.

Évidemment nous avons été quelques-uns à tomber des nues et à chercher pendant plusieurs semaines comment la promotion d’un auteur tel que Collon avait pu se retrouver dans un journal syndical diffusé à des dizaines de milliers d’exemplaires.

La réponse est venue dans un compte-rendu de la dernière Commission exécutive de la Fédé en question, où l’on trouve l’intervention suivante de Christian Mathorel, responsable CGT à France Telecom, intervention qui n’a manifestement donné lieu à aucune réaction.

« Sur la guerre au Mali, je partage ce qui a été dit et je pense que l’on a besoin d’un éclairage pour nous et pour les salariés sur la réalité de la situation.
Il y a par exemple un livre que l’on a proposé dans le journal fédéral du mois dernier qu’il faut absolument que vous lisiez et qui peut aider à comprendre ce qui se passe. C’est La Stratégie du chaos de Michel Collon (qui anime également un site internet très instructif “investig action”) et qui explique  toute l’histoire et l’actualité de l’impérialisme, sa stratégie et sa logique au Moyen Orient et en Afrique, le renforcement des tensions et des enjeux avec l’arrivée dans le jeu des acteurs (USA, France, Grande-Bretagne) de la Chine… Je pense qu’il faut lire ce livre qui commence d’ailleurs par : “Ce n’est pas à la télé que vous aurez les vrais informations qui vous permettrons de vous faire votre propre idée sur ce qui se passe réellement au Moyen Orient et en Afrique”. »

Si la promotion du livre de Collon dans le journal de la Fédération est sans doute l’initiative donnant le plus large écho à un « homme passerelle » entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite, la CGT en a connu d’autres. Pierre Cassen, fondateur de Riposte Laïque était ainsi syndiqué de la Filpac, la Fédération du livre, jusqu’à son exclusion en juin 2011, soit plusieurs années après la dérive fasciste de Riposte Laïque, et même plus d’un an après sa participation officielle à l’Apéro Saucisson Pinard avec des organisations violentes d’extrême-droite comme le Bloc Identitaire.

La réaction de la direction de la CGT à l’époque aura été si lente que Pierre Cassen, aura pu, en janvier 2011, en mettant en avant son propre statut de militant de la CGT, donner la parole à Fabien Engelmann, secrétaire d’un syndicat d’employés de la fonction publique territoriale, candidat du FN et finalement exclu par sa fédération syndicale.

Faudra-t-il attendre que les militants diffusant la propagande de Collon au sein de leur syndicat s’affilient nommément à un parti fasciste pour que la CGT réagisse ? Faire la promotion d’un auteur qui défend Dieudonné, qui a participé avec des fascistes notoires comme Meyssan à l’Axis for Peace, qui a co-signé un livre (Israël, parlons-en) avec le biographe hagiographe de Faurisson, Paul-Éric Blanrue ne suffit-il pas ?

En tout cas, Christian Mathoret, figure médiatisée de la CGT du secteur Telecoms et candidat à la commission exécutive confédérale au prochain congrès de Toulouse, n’est pas le premier à mettre Michel Collon en avant.

On trouve des liens vers le blog de Michel Collon sur le site de l’Union syndicale de l’intérim, celui de l’UL de Tourcoing. Plusieurs UL du Pas de Calais invitaient fin 2011 à une conférence de Michel Collon à Isbergues, on trouve des reprises de texte de Michel Collon sur le site du syndicat CGT de l’Hôpital de Vienne ou de la CGT Randstad…

On trouve des militants CGT partageant ouvertement les positions de Michel Collon, c’est par exemple le cas de Jacques Lacaze, secrétaire de l’UL de Liévin, ex PCF et PRCF.

Comment est-il possible que dans une confédération comme la CGT le journal officiel d’une fédération ou le site internet d’une union locale fasse la pub de ce type d’ouvrages ?

Poser cette question revient à s’interroger sur les pratiques syndicales et les analyses qui les sous-tendent. Nul doute que des salariés, et parmi eux de nombreux syndiqués, trouveront matière à travailler aux réponses de manière plus précise et concrète.

Cela dit, nous pouvons risquer quelques pistes, sans nier la complexité des racines d’un tel phénomène ou l’existence de plusieurs niveaux ou réseaux d’explications.

Il y a d’abord  la manière dont fonctionne la CGT et nombre de ses structures.

Les décisions et informations restent très centralisées, en particulier dans les structures fédérales. Comme cette centralisation alourdit la charge de travail des dirigeants syndicaux, il y a une tendance à faire confiance sur certaines questions et tâches, souvent jugées moins importantes, à des militants sans forcément en savoir très long sur leurs convictions réelles, leurs pratiques, leurs engagements. Idem sur les candidatures à de hautes responsabilités : les délégués votent dans la majeure partie des cas pour des camarades dont ils ne connaissent rien ou pas grand-chose. On peut donc tomber sur le meilleur comme sur le pire.
Les sites d’une union locale ou d’un syndicat ou sa page facebook d’ailleurs sont souvent animés par une seule personne, et personne d’autre n’a le temps ou ne voit l’importance d’une réflexion collective sur le contenu…

Bref, quelques militants bien formés et organisés en réseau n’auront guère de difficultés à imposer leurs thématiques et à faire la promotion d’une tendance politique ou d’une autre, surtout lorsqu’il s’agit du champ para-syndical, des questions sociétales ou internationales, que le salarié investi à fond sur les luttes de classe n’aura pas le temps de creuser. Et aujourd’hui, avec la montée en puissance d’une mouvance politique rouge-brune, il n’est au fond pas étonnant qu’une offensive de leur part touche la CGT.

Pourquoi ce discours rouge-brun passe ? On peut trouver des éléments de réponse dans la manière dont le fascisme est appréhendé par la CGT. Il est indéniable que la volonté existe de combattre l’extrême-droite, le racisme, les discriminations…

Mais les impulsions données sont souvent très vagues, peu concrètes. Et autant la lutte contre le racisme, le sexisme et l’homophobie existe, du moins pour l’affichage de façade confédéral, autant la CGT est relativement muette sur l’antisémitisme, et peut publier dans son bimensuel un article sur Auschwitz sans écrire une seule fois les mots « Juifs » ou « antisémitisme »…

Sur l’histoire et la mémoire, du travail est fait, en particulier dans les instituts d’histoire sociale, mais les périodes peu glorieuses de la CGT ont tendance à ne pas être creusées. On met en avant la partie de la direction confédérale qui a résisté sous le régime de Vichy et l’Occupation, mais on se pose nettement moins la question de savoir comment un dirigeant CGT de premier plan est devenu Ministre du Travail de Pétain. On informe sur le 17 octobre 1961 ces dernières années (ce qui est une bonne chose), mais en passant plus que vite sur la faiblesse des réactions syndicales au lendemain de l’évènement.

On trouve des responsables syndicaux démunis face à des militants faisant part d’opinions racistes, nationalistes, xénophobes ou antisémites… Ce n’est pas une généralité, ça dépend vraiment « sur qui on tombe », et de nombreux militants combattent au quotidien les manifestations du phénomène, mais souvent individuellement, sans vision d’ensemble ou sans pouvoir en débattre collectivement dans leurs structures.

La formation politique, autrefois bien souvent assurée, avec tous les défauts qu’on peut y trouver, par le PCF, est largement insuffisante aujourd’hui, pour ne pas dire parfois inexistante (manque de temps ou de moyens d’un côté, volonté de contrôle des bureaucraties à qui ça convient…). En conséquence, nombre d’infos et de débats n’atteignent pas l’ensemble des syndiqués ni mêmes des syndicats ou sections syndicales.

Par ailleurs, la réflexion confédérale de la CGT (et la plupart des syndicats ne sont pas allés plus loin non plus) n’a porté que sur le FN, au moment de l’affaire Engelmann ou au moment d’élections politiques.

L’exclusion du leader de Riposte Laïque est restée confidentielle et n’a été rendue publique par son syndicat qu’un an après, parce que Cassen se vantait (comme un syndicaliste de FO également militant de Riposte Laïque) d’avoir claqué la porte de lui-même.

Et sur l’affaire Engelmann, l’analyse courante, c’est de voir ça comme un « noyautage » par le FN, donc comme la stratégie d’éléments extérieurs au syndicalisme, quand il s’agit au contraire du glissement de syndicalistes vers l’extrême-droite, glissement facilité par le nationalisme économique que portent une partie des dirigeants CGT (et de l’extrême-gauche en général) et par des visions et pratiques syndicales fréquemment en décalage avec les réalités sociales et économiques des dernières décennies.

Il existe donc des syndiqués de base tout comme des dirigeants qui adhèrent à des thèses d’extrême-droite. On le dit peu mais il n’y a pas que la section syndicale de Fabien Engelmann qui penchait ou penche toujours pour le FN.

De plus, il ne suffit pas d’afficher son opposition au FN ou aux fascistes en général, encore faut-il aussi combattre les idées de cette extrême-droite MÊME quand elles n’émanent pas de ce qui est déjà étiqueté extrême-droite officielle.

Car des militants comme Collon savent bien utiliser les failles du corpus idéologique de la gauche et de l’extrême-gauche.

Malheureusement, il suffit souvent de mettre en avant quelques concepts bien vus et jamais questionnés pour faire passer la pire propagande fasciste.

Ainsi, il suffit d’en appeler à l’« anti-impérialisme » et à la lutte « contre les guerres occidentales », pour faire passer un appel à une manifestation où seront présents les soutiens des dictatures et des négationnistes. Or l’anti-impérialisme en France, depuis des années n’est le plus souvent que l’autre nom du soutien aux pires régimes autoritaires.

Ainsi, il suffit de taper sur Israël et de se déclarer « antisioniste » pour avoir un succès fou chez les lecteurs de gauche avec un bouquin où l’on a va entre autres donner de la place à un Paul-Éric Blanrue, hagiographe du négationniste Faurisson et par ailleurs lié à l’extrême-droite depuis sa prime jeunesse. Or l’« antisionisme » en France depuis des années n’est que l’autre nom de l’antisémitisme, utilisé par des tendances politiques qui n’ont jamais aucun problème avec les autres nationalismes, bien au contraire.

Ainsi il n’est pas très compliqué de faire passer les pires discours nationalistes et chauvins sous couvert de la défense de « nos » emplois et de « nos » entreprises face à la vilaine mondialisation.

Ainsi, le corporatisme, au sens d’identité des intérêts du patronat et des salariés, se fraye un chemin au travers du discours sur les petites entreprises, où le patron « travaillerait » autant que ses employés et serait lui aussi victime des grosses entreprises.

L’égalité est une valeur progressiste de base, on le voit a contrario à la vigueur des mobilisations réactionnaires ou fascistes contre le mariage pour tous ou le droit de vote des étrangers. Mais l’égalité et la solidarité de classe sont une bataille exigeante au quotidien, et elle n’est pas toujours menée : des syndicats refusent l’adhésion de sous-traitants ou ignorent les précaires présents en nombre conséquent, depuis des années et de manière permanente dans l’entreprise. Les « blagues » ou lieux communs à fond raciste, antisémite, sexiste ou homophobe sont loin d’être relevés systématiquement.

Trop souvent, l’activité syndicale se résume à deux champs complètement séparés : d’un côté la défense des droits au quotidien, et l’activité de lutte de classe qui absorbe évidemment le temps et l’énergie de beaucoup de militants. De l’autre côté, l’activité d’« élargissement » sur des questions de fond plus globales, qui se résume bien souvent au vote de motions de « soutien » à telle ou telle position politique sur tel ou tel sujet d’actualité, à l’investissement dans une publication syndicale ou dans telle association dépendant de l’organisation syndicale.

Bien souvent, ces activités-là sont squattées par des militants politiques dont l’investissement dans la CGT est avant tout conçu comme un moyen d’influencer le syndicat dans le sens des positions spécifiques de leurs organisations. Ils utilisent tous les outils possibles à cet effet (sites internet, journaux, listes mails), puisqu’ils ont le temps de le faire, ces militants étant rarement investis en même temps sur le champ des luttes dans sa boite ou son quartier.

Les militants du PRCF et de toutes les autres petites boutiques par ailleurs liées aux fascistes comme Collon ou Jean Bricmont sont bien dans cette logique mûrie et réfléchie depuis de longues années. Ils savent au mieux profiter des moyens de la CGT.

Mais leur exclusion, nécessaire si l’on a un minimum de cohérence politique, ne suffira pas à régler le problème.

À un moment donné, c’est à chaque syndicaliste, à chaque structure de base de comprendre que des luttes comme l’antifascisme ou la solidarité internationale, sont des points d’appui très forts pour aller vers cette « transformation sociale » que revendique officiellement la CGT.

Mais l’antifascisme et la solidarité internationale ne se font pas, dans le syndicat, par des déclarations de principe, mais par des actions concrètes et des discours clairs qui permettent à chacun de se saisir des enjeux et qui n’offrent pas de prise aux idées fascistes.

Ainsi sur le Mali, rien n’interdit aux syndicats qui se sentent concernés d’agir concrètement notamment en soutenant la lutte des travailleurs sans papiers présents ici,  en relayant les mouvements sociaux importants de ces derniers mois, notamment dans l’enseignement, ou en lançant des campagnes de pressions sur nos gouvernements pour obtenir que des fonds soient enfin débloqués pour faire barrage à la famine qui ravage le Sahel aussi gravement que les groupes intégristes.

Une dernière chose : nous savons d’emblée que des camarades nous reprocheront à la fois d’avoir mis ce débat sur la place publique et de rester anonymes.

Sur le premier point, les affaires Cassen et Engelmann et la manière dont elles ont été traitées nous a suffisamment instruits : nous savons bien qu’en vertu d’une certaine culture du consensus, jointe à la peur de « créer du conflit et d’affaiblir nos structures alors qu’il y a des priorités », la passivité reste malheureusement de rigueur tant qu’il n’y a pas le feu au lac, c’est à dire tant que les débats ne sortent pas du niveau interne.

Sur le second point, malheureusement, nous sommes aussi très réalistes sur le rapport de forces entre nous et la tendance rouge-brune au sein de la CGT : nous savons que nous nous attaquons à des militants organisés, avec des moyens de nuisance nombreux et bien installés dans la structure syndicale. Nous savons aussi que ces militants se moquent éperdument de la lutte des classes, du quotidien syndical et seront prêts à tout mettre en œuvre pour écraser les salariés syndiqués qui se mettent en face d’eux, sans évidemment tenir aucun compte de l’importance de leur activité de lutte quotidienne. Or nous ne sommes « que » cela, des militants syndicaux ayant fait le choix de rester des salariés comme les autres.

La CGT n’hésite pas à revendiquer les responsabilités particulières que lui confère sa place de première organisation syndicale. Nous verrons comment elle les assume face à la montée de l’extrême-droite et à la contamination et la propagande en son sein d’idéologies fascistes.

Des salariés syndiqués CGT

Opération Poulpe, 3 février 2013

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