« Stop aux crimes policiers »
Jeudi 8 novembre, le groupe de rap La Rumeur a fêté ses 15 ans à l’Olympia. Connu pour son engagement, ce groupe a invité, pour l’occasion, quelques familles ayant perdu un proche suite à des violences portées par des fonctionnaires tels que policiers et surveillants de prison.
Juste avant d’accéder à la mythique salle de l’Olympia, à l’entrée, des collectifs ont installé des tas de feuilles présentant chaque cas de mort. Des T-shirts portant le nom des victimes habillent le mur. De nombreuses personnes viennent au stand poser des questions et prennent le temps d’échanger.
Beaucoup de collectifs sont de la partie. Entre autres, Vérité et Justice pour Mahamadou Marega, Vérité & Justice pour Jamal, Vérité et Justice pour Ali Ziri, ou encore Urgence, notre police assassine. Omar Mahdi s’est joint à ces collectifs pour représenter son fils Youssef qui s’est noyé le 5 juin 2012 à Melun, alors qu’il essayait d’échapper aux policiers.
Ces victimes ont des points communs : elles proviennent de quartiers populaires et sont issues de l’immigration nord africaine et subsaharienne. La plupart des affaires s’étale sur plusieurs années et aboutit à des non-lieux…
Mariam Touré, tante de Mahamadou Marega, nous livre son désarroi suite au non-lieu ordonné par la justice : « J’attends que la justice fasse réellement son travail, que les policiers soient jugés comme n’importe quel citoyen. Pourquoi la justice française condamne un meurtrier et pas un policier meurtrier ? » La commémoration des deux ans de la mort de Mahamadou se déroulera samedi 1er décembre 2012.
Un non-lieu a aussi été prononcé dans l’affaire Ali Ziri. Omar Slaouti, ardent militant, trouve que « ces affaires de violences policières, c’est une responsabilité qui relève de l’État car ce n’est pas seulement des policiers qui font mal leur boulot, c’est aussi la justice qui les disculpe ! »
Comment expliquer toutes ces morts ? Pourquoi tant de crimes similaires restés impunis ? D’après les dires des familles, certaines preuves du dossier disparaissent… Comment remédier à cela ? N’est-il pas temps que le gouvernement s’attelle à la tâche pour éviter que d’autres victimes subissent le même sort ? N’y-en-a-t-il pas déjà assez eues ? Pourquoi ne pas tendre vers un « organisme indépendant » qui enquêterait sur la police, comme le gouvernement canadien souhaiterait créer ? Des peines exemplaires à l’encontre de policiers coupables d’homicides volontaires ne dissuaderaient-elles pas ces policiers se croyant tout permis ? Pourquoi l’usage d’une violence démesurée alors que la plupart du temps, les policiers sont largement en supériorité numérique face à la victime ? Certains policiers n’auraient donc pas de scrupules à donner la mort ? Tant de questions posées par les familles des victimes. La sonnette d’alarme a été tirée depuis des dizaines d’années déjà mais rien ne bouge…
Refusant la fatalité, tous ces collectifs travaillent ensemble afin de coordonner leurs actions car ils mènent le même combat : condamner l’impunité accordée aux policiers. Une réelle solidarité entre ces divers collectifs se fait ressentir dès le premier abord. Chacun prend le temps d’informer les gens avec cette âme volontaire que rien ne semble pouvoir décourager. Leurs paroles, leurs attitudes corporelles laissent transparaître cette envie d’obtenir gain de cause. Pour cela, ils ont besoin de l’aide de tous. En effet, les collectifs profitent du temps de parole sur scène pour s’adresser au public afin de l’informer, de le sensibiliser et de le mobiliser dans les divers rassemblements, ceci dans le but d’interpeller les politiques. En effet, les collectifs demandent des comptes au gouvernement et aimeraient que justice soit rendue à juste titre. Une pétition a été mise en ligne par Vies volées ainsi que par Urgence notre police assassine.
Le public reste attentif durant toute l’intervention, le silence est surprenant. Les discours sont entrecoupés d’applaudissements. Les gens scandent même « Pas de justice, pas de paix. » Les gens sont touchés. Peut-être que naissent à ce moment là de nouveaux militants ? En tout cas, Yoris, s’investit déjà depuis un an au sein du collectif Vérité & Justice pour Jamal. Il nous explique son engagement : « Ayant vécu ce genre d’affaires dans ma ville, je me suis tout de suite senti concerné. J’ai voulu apporter ma chaleur et mon humanisme. À partir de l’expression de mon soutien à la famille Ghermaoui, je me suis senti responsable de la confiance qu’elle m’avait accordée. »
Les militants sont nombreux mais le noyau dur de cette lutte est les familles des victimes, d’où la création du collectif Vies volées composé de ces familles. Ramata Dieng, porte-parole du collectif, a, elle-même, perdu son frère Lamine, mort dans un fourgon de police le 17 juin 2007. Elle exprime les desseins du collectif : « Nous voulons dénoncer les crimes policiers et l’impunité de ces policiers criminels. Que ces crimes policiers cessent ! On veut que justice soit faite mais aussi que cela s’arrête. Vous pouvez d’ailleurs consulter la liste des nombreuses victimes dressée par le site Que fait la police ?, l’observatoire des libertés publiques de Maurice Rajsfus. »
De même, Amal, sœur d’Amine Bentounsi, a créé le collectif Urgence, notre police assassine : « nous voulons en finir avec cette omerta de la part du ministère de l’Intérieur et de la Justice qui vise à protéger ces policiers qui bénéficient d’une justice plus que charitable. Que les lois de la République française soient applicables pour tous sans exception ! »
D’autre part, Rafick Chekkat, très actif au sein du collectif État d’exception précise que suite au dépôt de la plainte de la famille Ghermaoui et aux mobilisations, une fenêtre médiatique s’est ouverte. « Nous comptons l’utiliser au mieux pour faire du meurtre de Jamal l’évènement catalyseur, qui cristallise tout ce qui peut se passer en prison et aussi dans nos quartiers. » Cette fenêtre médiatique est complétée par l’engagement de certains artistes, notamment La Rumeur qui ne manque pas de chanter Le chemin est long. Lorsque les paroles suivantes retentissent : « De quels genre de frissons peuvent-ils être emplis quand ils étouffent la mort de Hakim Ajimi, Wissam El Yamni, Duquenet Luigi ou Jamal Ghermaoui ? », l’émotion se lit dans les yeux des proches des victimes. Farid El Yamni, frère de Wissam, décédé le 9 janvier 2012 à Clermont-Ferrand, suite à une interpellation musclée de policiers confie : « C’est bien que des gens qui sont écoutés tels que les artistes portent nos voix. Il faut maintenant toucher d’autres publics car le public de La Rumeur est déjà convaincu. »
A la fin du concert, certains viennent serrer la main de Ramata Dieng ou la regardent avec le pouce levé en signe d’approbation de son combat. Une personne du public affirme : « Votre discours m’a serré le cœur car je connais aussi un petit jeune qui est mort en prison dans des conditions suspectes. »
Les têtes qui bougent, les mains en l’air ont bien montré que le show de La Rumeur a été très apprécié mais la particularité de ce concert s’est dessinée lors de l’intervention des collectifs où une véritable émotion s’est dégagée. De nombreuses personnes du public saluent l’initiative de La Rumeur qui a offert un temps de parole aux collectifs, mais le message va-t-il sortir au-delà des murs de l’Olympia ? Une prise de conscience et une mobilisation collectives suffiront-t-elles à alerter les politiques ? Mais surtout le gouvernement va-t-il enfin daigner mettre en place des solutions concrètes afin d’éviter que ses citoyens ne meurent sous les coups de la police ?
Ces 30 dernières années, plus de 200 morts ont été déplorés suite à des interpellations policières. Si Amnesty international a pointé du doigt la France au sujet des violences policières et de leur impunité, sur le terrain, aucun changement.
Rajae Belamhawal – BondyBlog, 20 novembre 2012