[Valls Kyste My Ass] Valls Manuel ou la mafia d’État

http://juralib.noblogs.org/files/2012/12/122.jpgMais qui est donc notre chef de la police (sur un certain Valls) ?

Cela fait un moment que je souhaite dire trois mots — finalement, ce sera bien plus — sur notre ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Avant même l’intervention de ses flics à Notre-Dame-des-Landes, qui a fait des blessés par dizaines. Mais bien entendu, je n’aurais pas écrit ce qui suit sans cette déclaration à propos de l’aéroport de M. Ayrault : « Il est hors de question de laisser un kyste s’organiser, se mettre en place, de façon durable, avec la volonté de nuire avec des moyens parfois dangereux (…). Nous mettrons tout en œuvre pour que la loi soit respectée (…) pour que les travaux puissent avoir lieu ». Valls est un personnage digne d’un certain intérêt, et je vous renvoie pour commencer à un long article de la journaliste du Monde Ariane Chemin. Vous le trouverez au bas de mon papier, en intégralité, et je vous recommande vivement de le lire.

Laurent Mucchielli et le livre controuvé

Que dit-il ? En 1980, quand Valls n’avait que 18 ans, il était membre des Jeunes rocardiens. Bon, je sais que cela paraît incroyable. 18 ans, et rocardien : ce seul rapprochement me fait penser à une corde, au bout de laquelle se balancerait un pendu. Passons. À cette époque, Valls étudie à l’université parisienne de Tolbiac, où il rencontre deux jeunes très vieux qui deviendront des amis définitifs : Alain Bauer et Stéphane Fouks. Il me faut les présenter pour mieux comprendre ce qui n’est nullement une affaire personnelle.

Alain Bauer se présente et gagne aujourd’hui sa vie comme « consultant en sécurité ». Mais ce titre falot ne lui rend pas justice. Il a donc noué une amitié inébranlable avec Valls au début des années 80, et milité avec lui chez les Jeunes rocardiens. Est-il de gauche ? La certitude, c’est qu’il signe avec Xavier Raufer, en 1998, un Que sais-je ? (PUF) dont le titre est : Violences et insécurité urbaines. Non, je ne l’ai pas lu. Mais le sociologue Laurent Mucchielli, dont je sais le sérieux, a décortiqué ce texte. Ma foi, cette critique glace le sang. Car de deux choses l’une : ou Mucchielli est un escroc, ou ce livre est un ramassis d’analyses controuvées, établies pour tenter de prouver que la gauche au pouvoir à partir de 1981 est la responsable d’une explosion de la délinquance.

Xavier Raufer et le 11 septembre 2001

Je précise que Xavier Raufer, grand expert devant l’Éternel, et toujours ami, en 2012, de Bauer, a marqué, si peu que ce soit, ma vie. Ancien militant de la droite fasciste, passé à la droite classique via les réseaux patronaux de la métallurgie (UIMM), il est depuis quinze ans l’un des spécialistes du terrorisme les plus invités. Et j’en  viens à moi. Nous sommes le 11 septembre 2001, chez moi, je viens de récupérer dans ma cave un poste de télévision antédiluvien, afin de voir comme tout le monde les tours du World Trade Center s’effondrer.

Je me branche sur France 2, et je découvre, parlant de l’événement, Xavier Raufer. Un pro. Un fin connaisseur. Ce qu’il dit est resté gravé : les attentats porteraient la marque du FPLP palestinien. Moi qui suis loin de valoir M. Raufer, je sursaute aussitôt. Car je sais cette hypothèse totalement absurde. Si le FPLP a bien détourné et cramé des avions, c’était vers 1970, dans un contexte qui n’a rien à voir. Puis, ce groupe laïc a une tradition d’extrême-gauche qui exclut radicalement des méthodes comme celle du 11 septembre. Enfin, il est sur le déclin et il est évident, je dis bien évident qu’il n’aurait pas eu la force et la logistique d’une telle opération. La seule conclusion, concernant Raufer, est qu’il est un bien curieux expert.

Alain Bauer et Nicolas Sarkozy

Revenons à Bauer. Après avoir quitté Tolbiac, et bientôt les rocardiens, il deviendra franc-maçon et Grand maître du Grand Orient de France. Et de droite ? Les mots n’ont aucun sens. Il copine avec Alliot-Marie ou Sarkozy depuis des lustres, au point d’avoir confié au journaliste de Mediapart Éric Incyan, en 2008 : « Nicolas Sarkozy m’en a parlé une seule fois [d’un poste de ministre ] de manière explicite, il y a plus d’un an. Il m’a dit que s’il était élu à la présidence de la République, il me prendrait dans son équipe gouvernementale pour m’occuper des questions de sécurité. » Mais dès 2006, alors qu’il n’est encore que ministre de l’Intérieur, Sarkozy le décore de l’Ordre national du mérite. Bien entendu, il convie à la cérémonie Stéphane Fouks et … Manuel Valls.

Quoi d’autre ? Plein de choses, mais je n’ai pas le temps, ni la place. En décembre 2008, Bauer remet à sa copine Alliot-Marie, devenue ministre de l’Intérieur, le rapport sur les fichiers de police qu’elle lui avait commandé. Mais cette année 2008 était aussi celle du début de l’Affaire Tarnac, du nom de ce hameau habité par des jeunes très ressemblants à ceux de Notre-Dame-des-Landes. On le sait, la police encabana Julien Coupat et Yldune Lévy pour un sabotage supposé d’une ligne de la SNCF. Je ne reviens pas sur le montage policier lui-même, désormais certain. Ce qu’on sait (un peu) moins, c’est qu’Alain Bauer a joué un rôle important dans les prodromes de cette sombre histoire. L’essentiel est rapporté dans le livre de David Dufresne, Tarnac, magasin général (Calmann-Lévy). Bauer, qui se prenait en la circonstance pour son ami Raufer en 2001, avait acheté, dès 2007, 40 exemplaires du livre appelé L’insurrection qui vient (éditions Hazan), signé par un mystérieux Comité invisible.

Alain Bauer et Julien Coupat

Invisible, mais pas pour Bauer. Pour lui, ce texte d’ultragauche annonçait probablement la réapparition d’un terrorisme de gauche, dans la lignée d’Action Directe. Bauer distribue les 40 livres achetés, et pas à n’importe qui. À des politiques de droite, dont certainement Alliot-Marie. À des journalistes connus. À des flics, dont le directeur de la police nationale Frédéric Péchenard, pote de toujours de Sarkozy. Nul ne peut, nul ne pourra peut-être savoir quel rôle ce militantisme aura joué dans le montage de Tarnac. Le certain, c’est que les flics considèrent bien vite Coupat comme l’auteur de L’insurrection qui vient. Et s’il a écrit cela, n’est-il pas cohérent de penser qu’il a pu mener des opérations de sabotage ?

Voilà pour Bauer. Passons plus rapidement sur Stéphane Fouks, dont je vous rappelle qu’il fait partie du trio de départ, avec Bauer et Valls. Donc, en 1980, le jeune vieux Fouks est rocardien. Il reste socialo un moment, puisqu’on le retrouve conseiller de différents ministres, dont Rocard à l’Agriculture. Mais le destin de Fouks, c’est la pub, dont je rappelle qu’elle est pour moi — après bien d’autres — l’industrie du mensonge. Fouks rencontre Séguéla, l’homme pour qui ne pas avoir de Rolex à 50 ans marque le désastre d’une vie, et finit par se faire une place centrale dans la fameuse agence RSCG, où il crée une filiale. Il foire lamentablement la communication de Jospin à la présidentielle de 2002, mais dans ce métier, c’est à croire que seul le présent immédiat compte. Il sera également le conseiller de l’ancien président ivoirien Gbagbo, du couple Ockrent-Kouchner quand ce dernier était accusé de joliesses, et conquiert l’oreille des grands patrons, conseillant près de la moitié du CAC 40. Sans oublier ses solides accointances chez Sarkozy. Ajoutons pour faire bon poids qu’il a promu et défendu l’image de DSK, faisant davantage pour ce merveilleux personnage que pour tout autre. On ne gagne pas à chaque fois, non.

Résumons : Manuel Valls, Alain Bauer, Stéphane Fouks sont comme frères. En 2010, sur le plateau de l’émission de Drucker Vivement Dimanche, consacrée à Valls, les trois apparaissent ensemble. Le 5 mai 2012, les mêmes fêtent leurs 150 ans — à eux trois — dans le restaurant parisien Drouant, dont les deux étages sont loués pour l’occasion. Se trouvent là des flics, de gauche et de droite, des chefs du renseignement, le patron de Veolia, tant d’autres. Peut-être est-il temps de parler de la Mnef, cette Mutuelle étudiante, vivier de copains et de coquins, tous en cheville avec notre grand, noble et valeureux parti socialiste.

Manuel Valls et la Mnef

Si vous voulez vous rafraîchir les idées sur les détournements de fric, les emplois fictifs, la crapulerie au détriment de la santé des étudiants, c’est ici. On retrouve dans cette arnaque massive deux courants, en réalité. Le PS, certes, mais aussi et d’abord la secte politique à laquelle a appartenu en secret Lionel Jospin, qui s’appelait jadis Organisation communiste internationaliste (OCI), menée par l’un des personnages les plus mystérieux de notre après-guerre, Pierre Lambert. Dans la Mnef, on retrouve un peu tout le monde. Spithakis, son patron, ancien lambertiste devenu socialiste, mais aussi les députés Cambadélis et Le Guen, et bien sûr DSK lui-même. Où se cache Valls dans le tableau ? Attention aux plaintes en diffamation, car Valls n’a pas, à la différence de 17 autres prévenus, été condamné. Il est donc innocent. Mais il n’est pas interdit de rappeler cette lettre de Manuel Valls envoyée le 21 décembre 1990 au président de la Mnef, Dominique Levêque.

Deux choses sont très intéressantes. Un, elle est à en-tête du Premier ministre de l’époque, Michel Rocard. Valls est alors son conseiller à Matignon. S’il utilise ce papier officiel, c’est évidemment pour montrer qu’il agit ès-qualités, en service commandé. Deux, Valls y menace la Mnef de représailles si elle refuse d’admettre dans son conseil d’administration un certain Emmanuel Couet. Les deux faits réunis suggèrent assurément qu’il existe un lien de subordination inconnu entre le parti socialiste au pouvoir, et cette Mnef où circule tant d’argent. Ah ! j’allais oublier. Dans sa lettre, Manuel Valls précise que « depuis des années, nos relations [entre lui et la Mnef] sont basées sur la confiance et le respect des dispositions arrêtées en commun avec moi-même et Alain Bauer. » Car Bauer est là, lui aussi, qui dirigera l’une des filiales de la Mnef.

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On notera à ce stade que Valls, qui n’est pas encore ministre des flics, n’a donc pas comparé les refusants de Notre-Dame-des-Landes à un « kyste » qu’il conviendrait par définition d’extirper. En cette année 1990, il ne juge pas déshonorant cette amitié qu’on qualifiera d’appuyée avec des ruffians qui se révèleront, devant la justice, d’authentiques délinquants, dûment condamnés ensuite. Et l’ayant noté, on reviendra à l’article du Monde dont je vous parlais au début de ce si long pensum.

Ce sera ma conclusion : en cette fin 2012, Valls, Fouks et Bauer sont toujours unis par des liens fraternels, ce qui ne peut que tirer une larme. Qu’importe à Valls que son cher vieux Bauer soit au centre politique et moral du dispositif sécuritaire de la droite ! Il aime, voyez-vous. Citation de Valls en 2008, tirée du Monde : « Si Alain pense qu’être sarkozyste est utile et cohérent, il en a le droit. L’amitié transcende les clivages politiques (…). On se retrouve sur la sécurité et, globalement, on est toujours en phase. » Ajout de 2012 : « Je lui ai dit que je regrettais qu’il ait travaillé pour Sarko, car je ne peux plus le prendre dans mon cabinet. » Ce qui veut dire sans détour que Valls-la-grenade aurait aimé travailler avec Bauer place Beauvau, mais qu’il ne le peut pas. Le chef des flics se faisant aider par Alain Bauer, conseiller-en-chef de Sarkozy.

J’espère que vous goûterez cette farce autant que moi. Voilà dans quelles mains nous sommes. Voilà l’arrière-plan des 100 blessés de Notre-Dame-des-Landes.

Leur presse (Fabrice Nicolino, Planète sans visa, 30 novembre 2012)


Valls, Bauer, Fouks : le pacte de Tolbiac

Les deux étages de Drouant, le restaurant parisien des prix Goncourt, place Gaillon, ont été privatisés. Un e-mail – avec annonce d’une cagnotte pour un cadeau commun – est parvenu à la bonne centaine d’invités conviés ce 5 mai 2012. Manuel Valls, Alain Bauer et Stéphane Fouks fêtent leurs 150 ans. Prudemment – et pour cause –, les spécialistes d’intelligence économique et les fonctionnaires de police ont noté le rendez-vous, puis effacé l’e-mail : “On ne sait jamais.”

Il y a là des patrons, des pontes du renseignement, des politiques, autant de cercles qui s’emmêlent tandis que sur les tablées le bon vin abolit les frontières. L’aréopage d’initiés digresse sur le rituel qui accompagne chacun de ces anniversaires, où les couches d’invités prospèrent et se sédimentent au fil des ans: c’est toujours un fraisier qui clôt le déjeuner. Le dessert préféré de “Baubau”, comme le ministre de l’intérieur et le coprésident d’Havas Worldwide continuent aujourd’hui d’appeler le consultant et ancien conseiller pour la sécurité de Nicolas Sarkozy, Alain Bauer.

Cette année, pourtant, la fête ne ressemble pas tout à fait à celle de Reims, l’an passé, ni aux précédentes. Alain Ducasse a fini par arriver mais il manque “Manuel”. In extremis, le porte-parole de la campagne du candidat socialiste a séché. Le lendemain, en effet, François Hollande joue sa place à l’Élysée, et Julien Dray vient de manquer de tout gâcher en invitant Dominique Strauss-Kahn, mis en examen pour proxénétisme, à son anniversaire à lui.

ASSEMBLÉE HÉTÉROCLITE

Les trois hommes sont trop copains pour ne pas savoir pardonner cette absence prudente ; trop professionnels pour ne pas anticiper les risques d’une telle réunion. Que dirait-on d’agapes réunissant un futur ministre de gauche, le préfet de police de Paris, Michel Gaudin, homme lige de la droite, et … le porte-parole de l’UMP sur les questions de sécurité, Bruno Beschizza ?

Les strauss-kahniens Jean-Marie Le Guen, Jean-Christophe Cambadélis, François Kalfon, Anne Hommel et Jean-Jacques Urvoas se rendent donc sans l’ami Valls chez Drouant retrouver les PDG invités par Stéphane Fouks. Antoine Frérot, le patron de Veolia, est venu avec son communicant Laurent Obadia – un intime d’Alexandre Djouhri, le mystérieux intermédiaire en cour sous la Sarkozye. Autour des nappes blanches, on trouve aussi tout le réseau policier d’Alain Bauer – son “canal historique”, dit l’un d’eux : le criminologue Xavier Raufer, formé à la droite extrême, le commissaire André-Michel Ventre, le secrétaire général du syndicat Alliance Jean-Claude Delage…

Les “frères” se saluent d’une table à l’autre : avec Philippe Guglielmi, pas moins de deux anciens grands maîtres du Grand Orient de France, que Alain Bauer a présidé de 2000 à 2003, sont du happening de Drouant. On offre des livres rares, des alcools forts millésimés. Les “anciens” de Tolbiac, les “copains d’avant”, ont aussi préparé pour chacun des hôtes un reportage photo : des clichés sépia qui racontent la genèse d’une amitié “de plus de trente ans”.

HAUT LIEU DE LA CONTESTATION

Tolbiac. La fameuse fac de béton brut construite cinq ans après Mai 68, que personne n’a jamais réussi à appeler Centre Pierre-Mendès-France, et où un prof nommé Robert Badinter eut droit à vingt minutes d’applaudissements quand son amphi apprit sa nomination au ministère de la justice. En cette toute fin des années Giscard où la politique se fait encore dans les facs, Tolbiac est devenue le haut lieu de la contestation contre la politique économique de Raymond Barre et la circulaire Bonnet hostile aux étudiants étrangers. C’est l’époque où le service militaire est encore la règle – un étudiant vient de descendre en rappel la façade de la fac pour taguer le slogan “Service à six mois”.

Pas un hasard si, une ou deux fois par semaine, les “grands frères” de ces jeunes gens qui tentent de jouer les prolongations de Mai 68 viennent faire un tour à Tolbiac. Il y a Julien Dray, pour quelques mois encore trotskiste de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), et Jean-Christophe Cambadélis, la tête d’affiche des lambertistes de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), qui couvent les étudiants d’un œil efficace. Il y a aussi Jean-Marie Le Guen, ancien chef de la Jeunesse socialiste. Face à eux, un trio de trois garçons déjà inséparables qui, à 18 ans, se sont trouvés et ne se lâcheront plus.

“Quand j’arrive à la fac en octobre 1980, je tombe sur un mec en cravate et un petit barbu”, se souvient Manuel Valls. Il est alors un jeune Catalan qui peste de ne pas pouvoir voter pour la présidentielle – il ne sera naturalisé français qu’en 1982 – et porte les mêmes cheveux drus et le même regard sombre qu’aujourd’hui. Le mec en cravate, c’est Alain Bauer. Il est le fils d’un marchand de textiles. Pour impressionner, il laisse dire qu’il est un descendant d’Otto Bauer, le grand marxiste autrichien du début du XXe siècle. Il porte déjà des costumes trois pièces qui enserrent des rondeurs de notable, et jette son loden vert sur ses épaules comme une cape. Il a adhéré au PS à 15 ans et fait partie des plus jeunes francs-maçons de France.

À Tolbiac, il retrouve le “petit barbu” déjà croisé au lycée Arago, à Paris: Stéphane Fouks. Ce fils d’un ancien communiste juif et résistant fut l’un des responsables d’une éphémère coordination lycéenne. Les trois garçons ont le même âge. Bauer potasse le droit constit’. Fouks veut s’orienter vers les sciences politiques. Valls a choisi l’histoire.

“BUVEURS DE CAMOMILLE”

Tous les trois, surtout, sont rocardiens. Rocardiens ? Le mot désigne une espèce rare à l’époque. “Des gens en costume, alors que nous on est en blousons de cuir, prêts à dégainer les manches de pioche de nos sacs marins achetés aux puces, se souvient le journaliste Serge Faubert, alors au service d’ordre de la LCR – l’homme qui a descendu la façade de la fac en rappel. Ils étaient comme des buveurs de camomille à une fête de la bière. Pour nous les socialistes étaient des sociaux-traîtres, alors l’aile droite du parti…” À l’époque, l’étiquette veut surtout dire qu’on se méfie de ce Mitterrand qu’adulent Le Guen et ses amis et – point commun avec les lambertistes – qu’on vomit les “cocos”.

“On était déjà très sociaux-démocrates, pas très refaiseurs de monde, se souvient Alain Bauer. L’autogestion, on n’y croyait pas nous-mêmes. Notre référence, c’était Mendès France, pas Lénine ou Trotski.” Pendant que L’Écho des cocos d’éco se félicite des nationalisations à 100% et de la rupture avec le capitalisme promises par François Mitterrand, “SF”, “MV” et “AB” s’indignent dans le Rosé de Tolbiac, une feuille ronéotypée qui sent bon l’alcool à brûler, du passé de travailleur volontaire en Allemagne de Georges Marchais ou de la destruction d’un foyer d’immigrés à Vitry.

“Nous étions les sabras du rocardisme”, sourit Fouks, le plus militant des trois. Pour le trio, Michel Rocard n’est pas seulement l’homme du “parler vrai”. “Pas encore ce type incompréhensible que les Guignols mettront en boîte”, comme dit Valls dans un excellent livre d’entretiens (Pour en finir avec le vieux socialisme … et être enfin de gauche !) menés en 2008 chez Robert Laffont par le journaliste Claude Askolovitch – un autre convive de Drouant. L’ex-leader du PSU est le champion qui doit les emmener au sommet.

“NETTOYER LA FAC DES GAUCHISTES”

Curieuse ambiance et étranges alliances qui se nouent en ce début des années 1980. “On ne se méfie pas d’eux, alors que les rocardiens n’avaient qu’une mission : nettoyer la fac des gauchistes en faisant alliance avec les lambertistes, raconte Serge Faubert, imposer les socialistes à Tolbiac sous l’étiquette d’un nouveau syndicat, fondé en 1980, l’UNEF-ID”, “indépendante et démocratique”, chargée de concurrencer l’UNEF dirigée par le PC.

“Entre nous, les vieux rocardiens, nous disions en rigolant : “Ces trois-là, on a intérêt à bien les former, au moins, le jour où ils nous assassineront, ils feront ça proprement !” », raconte le constitutionnaliste Guy Carcassonne. “Nous étions idéologiquement des rocardiens, et politiquement des mitterrandistes”, confirme Fouks. Prêts à tout, y compris à accepter de devenir les paravents de ces lambertistes sulfureux.

UNEF-ID, conseil d’administration de la MNEF, la mutuelle étudiante qui finira par briser les socialistes qui l’ont approchée de trop près, clubs rocardiens : le trio est partout. Les lambertistes de l’UNEF-ID aident Alain Bauer – que “Camba” présentera ensuite à Pierre Lambert, le dirigeant de l’OCI et le pape caché de toute cette histoire – à devenir, en 1982, vice-président de Paris-I-Tolbiac.

“Quand on a vu Bauer arriver à la fac avec sa voiture et son chauffeur, on s’est dit que, là, il avait des réseaux qu’on n’aurait jamais, même à 50 ans”, soupire un adversaire d’alors. En remerciement du coup de pouce, Alain Bauer fait confier – discret hold-up – la gestion de la cafet’ de la fac (une mine d’or dans ce 13e arrondissement étudiant) à un homme tout de cuir noir vêtu : Bernard Rayard, autre lambertiste officiel, plus sûrement joueur de poker et homme d’affaires.

“CHACUN UNE TÂCHE”

Premiers coups politiques. Premier succès. Déjà, au sein du trio, les zones d’influence se dessinent. Julien Dray jure que l’anecdote est vraie. “J’arrive un jour à la cafet’ de Tolbiac, confie le conseiller régional socialiste. J’ai le triumvirat en face de moi. Je dis à Bauer qu’on va bosser ensemble dans l’UNEF-ID, que je vais coordonner tout ça. Bauer se lance dans les confidences : “Moi, je rêve un jour d’être grand maître.” Fouks prend la parole à son tour : “Moi, je ne veux pas forcément faire de la politique mon métier ; j’aime la communication.” Valls prend la parole le dernier : “Moi, j’aime la France, j’aimerais bien devenir président de la République. Mais pour ça, avant, il faut que je sois français.” » Le pacte secret…

“Chacun des trois avait déjà un morpho-type : communicant, agitateur politique, et, au choix, flic ou homme de réseaux”, résume “Camba”. “Aux Jeunesses socialistes, ils ont chacun une tâche, confirme Jean-Claude Petitdemange, le patron de l’appareil rocardien, qui couve le trio : Manuel, la politique et la vie publique ; Bauer, la tactique et les manœuvres d’appareil ; Stéphane, la communication. Stéphane pensait d’ailleurs à l’époque à créer sa petite boîte, mais je l’avais mis en contact avec Jacques Pilhan [gourou de la comm’ politique] qui cherchait quelqu’un…”

Dès 1985, aux Arcs, en Savoie, pour les journées des Jeunes rocardiens, l’étudiant déploie son savoir-faire. “Stéphane me remplissait les salles avec 500 ou 1000 personnes. Tout était fait au cordeau”, raconte Petitdemange. Lors du mouvement de l’hiver 1986 contre la loi Devaquet sur l’université, ils se partagent de nouveau le travail. À Bauer, les contacts avec la préfecture de police afin d’éviter les dérapages. “Alain était notre ministre de l’intérieur”, sourit Fouks. “Il était comme un poisson dans l’eau. C’est tout juste s’il ne faisait pas estafette lui-même”, ajoute “Camba”. Il noue ainsi des contacts avec les renseignements généraux, alors dirigés par Philippe Massoni, emballé par cet interlocuteur étudiant si respectueux de l’ordre. Ou avec Jean-Marc Berlioz, le nouveau “M. Sécurité” de Renault, ex-conseiller de Sarkozy et futur convive du “dîner chez Drouant”…

La politique est un monde plus cruel que celui des affaires. Pendant que Stéphane Fouks invente la communication politique et institutionnelle chez EuroRSCG et évite de se montrer trop regardant sur ses clients en Afrique ou en Europe de l’Est, tandis qu’Alain Bauer, surfant sur le développement des polices municipales, se lance dans l’ingénierie sécuritaire et la vidéosurveillance à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), Manuel Valls, atypique licencié d’histoire dans un monde d’énarques, gravit les marches du pouvoir.

Avant le congrès du PS de Lille, en 1987, le trio est convoqué par Petitdemange. “J’ai une place au comité directeur, à vous de choisir qui y va.” D’après Bauer – mais aussi Fouks –, le trio met le poste aux voix : trois bulletins secrets pour Valls – le futur député de l’Essonne a voté pour lui-même. “Ils sont revenus en me disant : ce sera Manuel”, raconte Petitdemange.

“Tout ça est une légende absolue inventée par Alain”, soupire aujourd’hui le locataire de la place Beauvau. À un quart de siècle de distance, la “légende” peut en effet devenir politiquement encombrante pour un ministre ambitieux. Car la donne a changé. Fouks, qui voyait déjà son champion DSK à l’Élysée, a accueilli avec une grimace l’outsider Hollande et s’est trouvé fragilisé cet été chez Havas. Quant à Bauer, il a purement et simplement basculé à droite en … 2007.

“Si Alain pense qu’être sarkozyste est utile et cohérent, il en a le droit, balayait Valls il y a quatre ans. L’amitié transcende les clivages politiques (…). On se retrouve sur la sécurité et, globalement, on est toujours en phase.” Aujourd’hui, le ministre précise : “Je lui ai dit que je regrettais qu’il ait travaillé pour Sarko, car je ne peux plus le prendre dans mon cabinet.”

Qu’importe l’organigramme. Le criminologue est toujours là, au bout du fil ou dans le bureau du ministre, pour livrer les derniers chiffres de la délinquance, son avis sur le terrorisme, les quartiers nord de Marseille, le danger islamiste, la mafia en Corse. Toujours vigilant, aussi, pour protéger le réseau, qu’il s’est constitué sous la droite, des purges, dont la place Beauvau a, de fait, été épargnée. Quant à Fouks, l’autre “plus proche ami”, il reste prêt à surveiller l’opinion, peaufiner son image, commander un “quali” ou tester les discours du ministre : avant le congrès annuel de l’USM à Toulouse, cet automne, il l’a fait sur des magistrats.

AMITIÉ DURABLE

“Dans un monde politique qui revendique l’amateurisme comme une vertu, nous voulons être un îlot de professionnalisme”, confie non sans ironie l’un des membres du trio. Dans les couloirs de Tolbiac, ils ont appris l’essentiel. “Le parcours de Manuel s’est fait autour de ce logiciel découvert à la fac : à 18 ans, nous avons compris qu’on peut être minoritaire dans les amphis et majoritaire dans les urnes, que notre rapport de force dans l’opinion était plus important que dans l’appareil”, dit Stéphane Fouks.

“À notre fausse fraternité militante, trois mecs d’un pragmatisme consommé ont préféré l’amitié durable”, convient aujourd’hui Serge Faubert. Trois inséparables qui mettent depuis trente-deux ans connaissances et réseaux au pot commun. Un exemple ? Depuis juin, Bruno Beschizza, porte-parole de l’UMP sur la sécurité, est chargé de répliquer à chaque “coup” ou annonce de Manuel Valls. Alors, il rappelle à chacun – que peut-il dire d’autre ? – que “le ministre est de gauche”, à défaut d’avoir autre chose à lui reprocher. La mansuétude de l’élu UMP doit peut-être aussi à d’autres détails. Alain Bauer a gentiment accepté il y a quelques années de devenir le parrain de l’un de ses enfants. Malgré l’alternance, Valls lui a gardé un bureau place Beauvau. Et Fouks a trinqué avec lui chez Drouant.

L’amphi N de Tolbiac, pouponnière d’une génération de tribuns

Il y a eu Génération 1 – Les années de rêve, de Patrick Rotman et Hervé Hamon, et Génération 2 – Les années de poudre, au Seuil (2008). Et puis plus rien. Rien sur ceux qui ont vécu Mai 68 par procuration. “Personne n’a raconté la suite de l’histoire, note Julien Dray, à part peut-être Olivier Assayas.”

Dans Après Mai, d’Olivier Assayas, qui vient de sortir au cinéma, les lycéens sont trop jeunes pour avoir grimpé sur les barricades de la rue Soufflot, et, de la guerre du Vietnam, ils n’ont connu que les derniers moments. Mais ceux qui, après eux encore, ont voté pour la première fois en 1981 ? Quid de cette “génération Kaboul” ou “Pologne”, effarée par l’entrée des Soviétiques en Afghanistan, en 1979, et par l’état de siège décrété par le général Jaruzelski fin 1981, déboussolée par la rupture de l’union de la gauche et sa défaite aux législatives en 1978 ?

Leur saga pourrait prendre place vers 1980 à Tolbiac (Paris-I), dans le 13e arrondissement. Plus précisément dans le fameux amphi N, où une génération, à commencer par Manuel Valls, s’est initiée aux “prises de parole” devant un bon millier d’auditeurs et à l’art de retourner une salle. En cette année 2012, Tolbiac se révèle la pouponnière des “patrons” de la gauche d’aujourd’hui. Parmi tous ceux qui s’y sont formés, pas moins d’un ministre, donc, et deux dirigeants de formation politique : Pierre Laurent, patron du Parti communiste, étudiant en sciences éco de 1977 à 1979, et Harlem Désir, nouveau chef du PS, de deux ans son cadet, formé à la philo par les cadors de l’althussérisme de Tolbiac.

“L’EFFERVESCENCE ÉTAIT PERMANENTE”

“Anars, lambertistes, communistes, liguards, socialistes, pablistes, autonomes… C’est simple : il y avait tout. L’ambiance était super-idéologique. Nous étions une gauche de résistance”, se rappelle le premier secrétaire du PS. “Chaque organisation tenait une table dans le hall, l’effervescence était permanente, se souvient aussi Pierre Laurent. Pour la législative de 1978, l’UEC avait organisé un face-à-face entre Philippe Herzog et Paul Quilès, candidats dans le 13e. L’amphi N débordait…”

Tout avait pourtant été fait pour empêcher Tolbiac de devenir un nid d’agitateurs, comme Nanterre ou Jussieu. Un grand bâtiment avec des tours – il fallait caser 13’000 étudiants sur un triangle de 4500 m² –, une fosse, des ascenseurs… “Une fac transparente où les locaux syndicaux avaient vue sur la cafet’,et où les couloirs étaient en pente, sans doute pour faciliter l’accès des flics”, raconte le journaliste Serge Faubert. “Des sols recouverts de galets où les filles se prenaient les talons, conçus pour qu’on ne s’y rassemble pas trop”, ajoute Patrick Cohen, militant de l’UNEF devenu la voix des matinales de France Inter.

Si Nanterre 68 symbolise le primat de l’extrême gauche dans les années 1970, Tolbiac 80 raconte le renouveau du PS grâce au syndicalisme étudiant et la revanche des vaincus de Mai 68. C’est au début de l’ère Mitterrand que plusieurs figures de la LCR de Tolbiac adhèrent au PS derrière Julien Dray : Stéphane Rozès, un temps secrétaire de section de Daniel Vaillant avant de quitter la politique pour les sondages, le journaliste Didier François, alias “Rocky”, l’une des vedettes de l’amphi N, ou encore la sénatrice Laurence Rossignol.

Les lambertistes de Tolbiac, comme Marc Rozenblat, lunettes fumées et sang chaud, rejoignent à leur tour le PS derrière Jean-Christophe Cambadélis en 1986. C’est à Tolbiac enfin que se développe un “collectif autonome” fasciné par les groupes armés allemands ou italiens. Mais tous, d’Harlem Désir à Pierre Laurent en passant par Manuel Valls, finiront par quitter la fac sans croiser l’étudiante sage et discrète qui se lancera ensuite dans une carrière de première dame : Valérie Massonneau, future Trierweiler.

Leur presse (Ariane Chemin, LeMonde.fr, 26 novembre 2012 – mis à jour le 28 novembre)

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