Un témoignage sous forme d’analyse sur la lutte menée sur la ZAD : « Retour de Notre Dame des Landes »
Lundi 3 décembre, je lis ceci :
“Contre l’aéroport et son monde
C’est pour ça qu’on est là, à occuper les terres censées disparaître un jour sous l’aéroport de Notre Dame des Landes. Ou contre l’aéroport et le monde de merde qui le crée.
Et paradoxalement, on s’en fout, de cet aéroport, ça aurait pu être une autoroute, une centrale nucléaire, une prison, la dernière usine d’une multinationale quelconque, fut-elle de Haute Qualité Environnementale.
Si on vient ici, c’est pour lutter contre tout ce qui nous révolte, pour prendre la lutte contre l’aéroport comme un moyen de s‘opposer au mythe de la croissance et du progrès, au productivisme et au salariat, à un “État démocratique“ qui ne tient que par sa police… Bref, à un modèle de civilisation qui n’a plus aucun sens ni avenir mais qui continue pourtant toujours plus vite, où on considere qu’il est indispensable d‘avoir toujours plus de tout, même si ça n’est possible que parce que partout dans le monde des personnes sont exploitées ou s’exploitent les unes les autres, que partout dans le monde, la nature est pillée…”
Parole glanée aujourd’hui sur zad.nadir.org (L’aéroport qui cache la forêt), et qui devrait en éclairer plus d’un parmi ces messieurs-dames professionnel(le)s de la profession politique. Mais non, on préfère ignorer là-haut ce sentiment profond mêlé de révolte, de rage et d’intelligence qui se manifeste au grand jour et chaque jour un peu plus dans le combat de Notre Dame des landes. On voudrait que la révolte s’exprime sagement traduite dans un bulletin de vote, que la rage soit en trop car synonyme de “terrorisme”, et que l’intelligence se plie aux argument d’experts et de contre-experts au sein d’une commission de “dialogue” destinée à faire avaler la pilule coûte que coûte.
C’est sans compter sur cette remarquable organisation des occupants de la ZAD pour poursuivre la résistance, sur la contagion qui se propage aux quatre coins de la France, mais bien plus sur tout ce qui s’engouffre soudain dans cette lutte comme regain de dignité, d’affirmation et d’invention dans le présent politique comme dans l’avenir de la vie elle-même.
Pour avoir fait la manif du 17 novembre avec des amis venus du Tarn comme moi, j’ai vu et entendu l’évidence d’un énorme espoir concentrant mille aspirations jusqu’alors étouffées durant ces 50 dernières années de jeux politicards consensuels, d’où le Larzac par exemple émerge à nouveau comme état de veille, parfum connu mais jusqu’alors si vite dissipé dans l’oubli obstiné, dilué dans les arômes frelatés de l’écologie officielle.
Entre autonomie et écologie politique, je découvre le fourmillement de tendances qui s’expriment aujourd’hui à travers ce mouvement de résistance à l’aéroport. Les Autonomes, sans la résistance desquels la lutte n’aurait pas fait évènement, et qui misent, contre toute caution apportée au pouvoir d’État et à la représentation, sur un déplacement assumé de la ligne de partage et des luttes du lieu de travail vers le territoire, exemplairement dans cette disposition en acte dans le Val de Suze et à Notre Dame des Landes ; et les divers positionnements qui vont d’Attac – maître à penser (souvent prêt à penser) des altermondialistes, à la Confédération paysanne, plus ou moins proche d’EELV, à EELV elle-même et son cul entre au moins deux chaises – associée et d’apparence critique au sein de son alliance avec le PS au pouvoir, aux Alternatifs ayant rejoint le Front de Gauche, jusqu’à quelques militants du PS qui commencent malgré tout à menacer ouvertement de quitter le Parti si le gouvernement ne plie pas sur ce coup.
L’aéroport et son monde (de merde), la formule répétée que quelques-uns veulent désormais préciser – le monde du productivisme désiré autant par la droite capitaliste que par la gauche traditionnelle (PS – PC – une partie de l’extrême gauche), dont tout à coup un Mélenchon veut s’éloigner par une sorte d’“écosocialisme” opportun ou plutôt opportuniste, devient le motif d’un combat où toutes les questions sont ré-ouvertes en vrac. Un vrac salutaire, même s’il contient plus d’une contradiction que les militants les plus déterminés ne craignent pas d’affronter.
On pourra relever notamment celle qu’il y a à associer souvent productivisme et industrie, pour les anti-industriels par exemple, ou encore servitude et acquiescement à l’économie, en même temps qu’on avance dans les discussions et sur tous les sites et blogs de la lutte les arguments de contre-expertise, à teneur économique et gestionnaire, pour attester que l’actuel aéroport de Nantes est loin d’être saturé, que les pronostics concernant l’augmentation du trafic se révèlent faux, et qu’il peut parfaitement assumer une intensification du trafic, d’où la totale inutilité du grand projet de Notre Dame des Landes.
Il est difficile de concevoir que l’actuel aéroport de Nantes et son monde sont plus enviables que le futur aéroport de NDDL et son monde. À quel monde appartiennent donc les pilotes de ligne dont le témoignage est valorisé pour prouver qu’un nouvel aéroport à NDDL est un projet pharaonique délirant et inutile ?
De même encore quand on avance que, la crise aidant (si on peut dire), projeter un trafic aussi important que celui d’un aéroport international alors que le pétrole se fera de plus en plus rare et le prix du kérosène de plus en plus cher, est une dépense d’argent public en pure perte pour un fiasco économique à très court terme, à l’heure où bien des services publics sont bradés au privé ou manquent cruellement de moyens. Idem quand on épeluche la manipulation des chiffres qui a permis de sur-évaluer la “valeur du temps” prétendument gagné par les nouvelles infrastructures.
En terme d’emplois (Le terme consensuel pour éviter de parler de travail), on observe aussi très justement que les prévisions d’emploi justifiant l’avancée du Grand projet inutile sont largement surestimées, ce avec des arguments tirés de divers rapports d’experts en gestion.
Vieille lune que cette opposition de l’utile à l’inutile ? Faut-il voir dans l’argumentaire l’expression des divergences politiques dans l’opposition à ce projet d’infractructure, allant d’une simple critique gestionnaire concernant les investissements et choix de l’État dans le domaine des transports à la contestation en bloc de la société industrielle, machinique et technologique (J. Ellul, G. Charbonneau sont parfois cités longuement) ? Est-ce aussi le choix stratégique d’user contre l’aéroport et son monde des armes de ce monde lui-même pour lui démontrer que dans sa propre logique il se plante gravement au détriment de la terre, des paysans et des écosystèmes qu’il détruit aveuglément ? Est-ce qu’autour de ces arguments le rassemblement est envisagé comme le plus large possible, au delà des divergences politiques, avec la chance que les plus timides ou réformistes s’en trouvent radicalisés ?
Quoi qu’il en soit, la lutte à NDDL est un des rares combats où la vie et la politique sont étroitement liées pour être tout aussi étroitement remises en cause, laissant le “biopouvoir” faire son sale boulot au su et au vu de tous. Le “kyste” est pour Valls le motif d’une opération chirurgicale, comme l’OTAN sait depuis longtemps lancer des frappes chirurgicales, mais même cette conscience-là des allures que prennent le “faire vivre et laisser mourir” devient secondaire par rapport à tout ce que le terme de réappropriation recouvre maintenant : réappropriation des savoirs et savoirs-faire, des territoires, des droits et des choix de vie dans les formes de vie à inventer. Il fallait encore que ces formes de vie ne soient pas des enclaves repliées sur elle-mêmes là où on leur accorderait le statut officieux de réserve d’indiens ou d’oasis ; l’opposition à des grands projets d’infrastructure les expose grand angle entre ré-invention des communs et ouverture des communes, et élargit considérablement la donne de la contestation et de ses discours, plutôt de ses paroles ; elle les expose aussi comme jamais à la violence de l’État, à partir du moment où la figure mythique, ethique et stratégique du guerrier (encore soutenue par Tiqqun) s’efface derrière une non-violence déclarée seule capable de rallier les solidarités les plus étendues. Il est sûr que ce combat ébranle plus l’État et sa légitimité que les millions de manifestants pour la sauvegarde des retraites, qui au final ont perdu à ne battre que le pavé lustré par les centrales syndicales. Pour autant, le mouvement pour les retraites n’était pas vain, loin de là.
Or là encore la question reste ouverte, loin d’être réglée, non-plus en termes abstraits opposant violence et non-violence, guerre civile et contestation légale (l’une et l’autre étant ici engagées solidairement, voir le recours à l’appui de la directive européenne sur l’eau), mais avec pour seul souci plutôt cette question : comment convaincre au mieux d’une évidence qui saute aux yeux de tous en même temps qu’elle aveugle ? Vinci comme ennemi déclaré et l’État comme servant du capitalisme réunis dans la formule “argent public pour profit privé”, et les 2000 hectares de bocage à défendre et préserver contre cet hydre à deux têtes, et la violence avérée des flics, et l’État de droit qui couvre La loi, fut-elle injuste dès le départ et de plus en plus avec le temps qui passe, l’artificialisation des terres cultivables avec la disparition de l’équivalent d’un département en moyenne tous les 5 ans, dévoration des campagnes par l’extension des mégalopoles régionales consacrées “Pôles de compétitivité” à l’échelle européenne et mondiale, la farce des compensations environnementales dont s’acquitterait Vinci au nom du “droit de (détruire et) polluer”, le tout économique comme principe a priori du développement et du redressement productifs, le territoire comme champ de conflit au cœur même de tous ces enjeux, lorsque l’entreprise n’est plus souvent que le terrain partiel du conflit où les syndicats ne voient pas plus loin que le bout du nez de l’emploi à sauvegarder (même si cela veut dire continuer à pondre des bagnoles dans un marché archi-saturé et jusqu’à l’asphyxie, ou poursuivre le nucléaire dans le déni des conséquences des catastrophes et de la maîtrise plus qu’aléatoire de cette énergie), le réel ordinaire de l’économie, la catastrophe déjà là et non celle attendue qui serait systémique et donc fatale, …
Quantité de blogs, sites, revues, livres, vidéos, émissions de radio ou télé agitent ces questions dans tous les sens depuis belle lurette, mais très peu de luttes les réunissent ouvertement avec une telle détermination.
Il y a une donnée sensible absolue qu’on partage ou non, le dégoût ou l’écœurement pour ce monde environnant des entreprises capitalistes et de leur aide de camp Pôle-emploi, de l’économie forcenée et de la finance, du capitalisme vert, du béton envahissant, de la violence d’État, et des politiciens qui jouent ce jeu moyennant des intérêts de classe et des salaires bien juteux. Mais ce dégoût devient positif à travers la force des solidarités multiples, sans cesser pour autant d’assumer la part du négatif – refus, occupation, affrontement. Alors que par exemple dans l’affaire d’ArcelorMittal, on peut deviner un tout autre écœurement chez les ouvriers syndicalistes (ou non) suite aux rodomontades d’un Montebourg maintenant désavoué par Ayrault et Moscovici. Quelles traces ce faux bras de fer, cette soumission en réalité au capital laisseront chez les derniers sidérurgistes pris en otages de ce conflit ? Quels seront demain leurs réflexes politiques ?
Et pourtant, il y aurait urgence à relier leur lutte à celle de Notre Dame des Landes, si on ne veut pas cantonner les uns dans la lutte économique réformiste et le “produire pour produire” (on expose les principaux déboûchés d’ArcelorMittal-France dans les boîtes de conserve et l’automobile, dont PSA) et les autres dans la lutte politique révolutionnaire. La convergence des luttes cherche visiblement, là où elle s’exprime le plus (MCPL de Rennes par exemple), à dépasser ce clivage mortel ; mais comment ? Comment ne pas renvoyer les ouvriers sidérurgistes dans les bras de l’industrie productiviste pour les y enfermer ? Comment ne pas embrasser l’autonomie à la campagne comme vie nue exposée à la violence du capital et de son État, ou pure sécession d’avec la société industrielle (les cabanes de la forêt de Rohanne ont été reconstruites avec le marteau et les clous et leur monde, avec la visseuse et son monde, avec la tronçonneuse et son monde, avec des planches venant sans doute de la scierie solidaire et son monde, un seul et même monde que celui de l’aéroport) ?
Tout cela est en jeu mais de la façon la plus honnête à Notre Dame des Landes. Ceux qui s’exprimaient radicalement, cités au début de ce billet, donnent encore :
Quelques précisions
Les textes écrits pour cette brochure et le choix des extraits, tracts, et autres appels glanés ça et là qui y sont reproduits n’ont pas la prétention de représenter le mouvement de lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ni même une position politique commune des occupant-e-s de la Zone d’Aménagement Différé devenue pour nous Zone À Défendre. Si c’est pas ça, c’est quoi ? c’est le résultat du travail d’un petit groupe qui voulait affiner le traditionnel « contre l’aéroport et son monde » qui conclut tous les tracts.
J’ai fait le voyage à Notre Dame des Landes pour la manif du 17 novembre, en voiture, sur les autoroutes de Vinci, avec à bord un ami de mon âge et trois jeunes gars, dont l’un est étudiant en lettres classiques, actuellement candidat au CAPES, l’autre étudiant en droit, candidat au concours de la magistrature, le troisième étudiant en biologie à la fac Paul Sabatier de Toulouse. Cette lutte leur semblait largement aussi importante que celles qu’ils ont connues à la fac.
Il y avait sur place, aux côtés des paysans, des milliers de jeunes, diplômés ou pas, mais tous dépositaires d’une manière ou d’une autre de savoirs et savoirs-faire indéniables, et désireux de les mettre en pratique sans attendre, ce qu’ils prouvent chaque jour pour ceux qui sont restés. Certains n’ont pas encore décidé de rompre avec leur milieu, d’entrer en sécession, d’autres l’ont fait résolument. C’est extrêmement réconfortant de voir à quel point ces enjeux de vie, de savoir et de visée politique s’échangent, se confrontent, voire s’affrontent dans un même élan joyeux et tourné vers l’avenir.
Désolant aussi de mesurer à quel point des socialistes sont, comme leurs supposés adversaires, ignorants et méprisants envers ces forces vives.
Puisse la leçon leur être enfin fatale, l’UMP implose, que le PS connaisse le même sort !
Après-demain, avec quelques amis, nous rejoindrons Castres pour une assemblée du Comité tarnais contre l’Ayraultport.
Patrick
Collectif de lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, 4 décembre 2012