Paroles de retenus récoltées du 7 au 11 novembre
7 novembre 2012 – Vincennes 1
1re personne
« Avec la police c’est toujours le bordel ici, tout le monde est stressé, y’a des provocations, c’est ça hein. Mais quand même ça se passe. C’est comme dans une prison, c’est pareil. Tu peux pas manger, tu peux pas dormir bien. Le matin ils vont chercher une personne, ils vont réveiller tout le monde avec le micro, en tapant sur la porte. Y’a pas de Play pour jouer là, y’a pas de ballons, y’a rien. Tu peux pas manger, même la nourriture tu peux pas manger. C’est la merde, tu peux pas manger. Le médecin il va donner à tout le monde des médicaments pour éviter les bagarres. Mais quand vous êtes malades… on va mourir ici ! »
2e personne
« Franchement ici c’est pas un centre, c’est un hôpital psychiatrique presque. Ça je te le garantis. Parce que l’infirmière elle donne des médicaments à tout le monde, elle donne des cachets chelous à tout le monde wallah. Quand les gens rentrent ils sont normaux, et quand ils sortent ils sont fous. C’est pas qu’elle les oblige, mais y’a des gens ils ont jamais pris de cachets déjà, tu vois ce que je veux dire. Ça veut dire ils viennent de temps en temps, elle leur donne des cachets. Les cachets tu les prends un premier jour, un deuxième jour, après c’est bon ça devient un manque, tu vois. Si tu les prends pas… Elle les oblige pas, mais c’est pas bien, ça veut dire elle joue sur le moral. Elle sait que les gens ici ils sont pas bien. Elle demande « ouais, t’arrives pas à dormir ? Viens je te donne des cachets… », je sais pas quoi… Laisse tomber. Moi j’en prends pas, heureusement je résiste un peu moi. Mais presque tout le monde en prend, c’est pour ça que je dis qu’on dirait un hôpital psychiatrique. C’est bizarre, normalement les trucs ça se donne pas comme ça, normalement il faut bien regarder si… C’est pas lui il dit « moi je veux » et tu donnes. Parce qu’ici y’a des gens qui sont pas biens, ils arrivent pas à dormir, c’est normal qu’ils soient pas à l’aise. Ça veut dire, elle elle va proposer ça, il va le prendre direct. Elle va dire « vas-y, ça va te mettre très bien, tu vas être tranquille, tu vas dormir ». Il le prend. Et après avec le temps il va plus arriver à arrêter, même il va sortir d’ici il va le prendre après, ailleurs.
On te calme, mais à part ça le reste c’est tranquille. Ça fait pas longtemps que je suis ici, ça fait cinq jours là. La police c’est tranquille. Y’a des provocations mais c’est pas qu’ici, c’est tout le temps, c’est partout. J’ai trop l’habitude pour ça. Tout le temps ils vont te chercher, comme ça. C’est normal de partir en garde-à-vue. Eux ils vont te chercher, ils te parlent mal, ils font des trucs chelous comme ça, c’est pour te chercher. Et après toi tu vas être con, tu vas faire un truc chelou, tu vas les pousser, tu vas les taper, ils vont te sauter.
Mon jugement ça c’est passé comme d’hab, 20 jours. L’avocat il m’a dit « si tu me vois dehors, moi j’ai rien fait, c’est mon travail ». C’est un commis d’office, il sert à rien. Même lui il m’a dit « je peux rien faire pour toi », parce que mon arrestation elle était bien faite, tu vois. Si tu payes pas, il va pas casser sa tête.
Franchement le seul truc abusé c’est les médicaments. C’est le truc pas sain, ça fait mal quand tu vois des gens qui rentrent normaux… Y’a des petits aussi tu vois, de 18 ans, 19 ans, 20 ans. Tu vois le mec il rentre normal après il sort comme un fou. En plus chaque fois que tu la vois [l’infirmière], elle te propose tout le temps ça, on dirait que c’est exprès. Même moi je suis passé la voir la dernière fois, parce que les produits pour le rasage ici c’est pas bien. Je me suis rasé après ça me gratte un truc de ouf. Je suis parti la voir, moi je parle avec elle, je lui dis « ça me gratte donne-moi un truc », elle elle me sort des médicaments. Je lui ai dit « arrête c’est pas la fête, tu m’as proposé 5000 fois le même truc ». Ça c’est le seul truc abusé, tout le reste ça passe, c’est bon. Mais juste les médicaments c’est pas bon. »
12 novembre 2012 – Vincennes 3
« Il y a beaucoup d’arrivants, vraiment beaucoup, on est deux par chambre et il y a des sortants aussi. On nous confisque nos portables qui ont des caméras et appareils photos. Y’a l’ASSFAM qui aide les gens qui viennent d’arriver pour les aider dans leurs droits, le problème c’est qu’au tribunal on est tous rejeté.
Moi ça fait 22 ans que j’suis en France, ils m’ont rejeté, on m’avait arrêté le vendredi, ils m’ont amené ici un samedi et le mardi je suis passé au tribunal, donc j’avais pas les preuves qui montraient que j’étais depuis 22 ans en France… J’ai donc téléphoné à l’association Charonne dans le 15e arrondissement, qui s’occupe de mon dossier et ils m’ont faxé tous les papiers dont j’avais besoin. J’ai un suivi médical aussi à l’hôpital, eux aussi m’ont faxé un papier comme quoi je suis suivi là-bas depuis 7 ans, j’ai des problèmes de tension artérielle, même le médecin ici l’a remarqué. Maintenant j’ai presque tous les papiers qui peuvent me représenter et je dois retourner au tribunal dans 20 jours.
J’avais un avocat commis d’office, tout le monde s’en plaint de ces avocats parce qu’ils nous défendent pas vraiment bien, ils survolent nos dossiers comme ça, comme disait l’autre « c’est un abattoir ». J’étais au tribunal administratif j’ai pas eu le droit de parler, j’ai pas pu dire même un mot, c’est juste mon avocat qui a parlé et l’autre avocat qui représentait le ministère de l’intérieur. Après je suis allé chez le Juge des Libertés et de la Détention et c’est là-bas que j’ai pu parler un tout petit peu mais ils m’ont demandé des preuves. Je les ai rassemblées et je compte les amener là-bas dans 20 jours… »
Vincennes 1
1e personne
« Quand je viens et que je dors ici vingt jours, après ça me gratte partout, pareil mon pote il se gratte partout. On a vu les infirmières elles nous ont donné un produit j’sais pas quoi mais c’est rien en fait, ça marche pas. Il y a beaucoup de gens qui ont le même problème parce qu’ici c’est pas propre. Même ici ce qu’on mange c’est… Ou si tu demandes le ballon pour faire une partie de foot ils disent « vas-y il y a pas » ou j’sais pas quoi, les briquets c’est interdit ici quand je demande un briquet on me dit « vas-y il y a pas de briquet… ». Les flics y’en a qui sont gentils, y’en a c’est des chiens wallah. Des bagarres y’en a toujours. Tous les jours deux trois bagarres, minimum. On est en stress. Il y deux semaines y’a une une bagarre avec les flics, c’est le hagra c’est le bordel tu vois… »
2e personne
« Ici y’a des choses qui passent et y’a des choses qui passent pas, tu vois ? Y’a des flics qui sont gentils, y’a des flics qui sont pas gentils, ils sont… laisse tomber ! La vérité quand je viens ici, je dors 5 jours après je me gratte partout. J’ai vu le médecin il m’a donné un produit : « tiens, prends une douche », j’ai fais le produit, ça marche pas. En fait ici y’a pas de médecin, y’a pas un vrai médecin, il a rien fait le médecin, c’est pas un médecin ça, alors que y’a peut-être six ou sept gens qui se grattent de ouf, laisse tomber.
La première fois que j’ai vu le juge, il m’a dit « bonjour, vingt jours ! », donc après la deuxième fois je suis pas retourné chez le juge. Je savais la première fois il m’a donné vingt jours, donc après je le revois c’est quarante-cinq jours, donc j’y suis pas allé. Y’a des policiers ils sont agressifs, y’en a ils s’en foutent quand je demande du feu. Regarde, quand j’suis parti au parloir il a trouvé un briquet sur moi, il m’a dit « le briquet c’est interdit », après quand je demande un briquet pour allumer une clope il me dit « vas-y attends », j’attends cinq minutes, dix minutes, c’est fait exprès, ils jouent avec le moral tu vois. Quand tu demandes du feu et que t’attends cinq, dix minutes, c’est obligé tu dis « vas-y nique ta mère » j’sais pas quoi tu vois, après c’est moi qui suis dans la merde tu vois, les flics ils jouent avec le moral ici, de ouf. Moi je suis toujours froid, froid de ouf tu vois, genre « merci… » parce que je sais très bien…
Avant y’avait la Playstation, tout le monde était calme. J’sais pas l’ASSFAM ou je sais pas qui ils ont enlevé toutes les Play, y’a rien à faire maintenant, obligé de se bagarrer tu vois… »
13 novembre 2012 – Vincennes 2
« On a eu la visite de monsieur le ministre de l’intérieur [Manuel Valls] dernièrement. Il était là avec le préfet de police, avec beaucoup de monde. Il est pas resté longtemps on a même pas eu l’occasion de parler avec lui. Il a vérifié comment ça se passe ici, dix minutes et après il est reparti.
Ça se passe mal, c’est le stress. Moi ça fait 22 ans que j’suis là, j’aime trop ici. Y’a beaucoup de cas ici, dernièrement un monsieur qui est français il avait oublié sa carte, ils l’ont ramené ici, y’a l’ASSFAM ils ont contacté sa famille pour ramener sa carte après il a été libéré.
J’sais pas comment ça se passe, s’ils ramènent beaucoup de monde. Y’a des gens qui sont sympas, y’a des gens qui sont pas biens, y’a des gens qui provoquent, c’est comme dehors, donc on fait avec quoi. Le médecin c’est vite fait, les infirmiers ils s’entendent pas parce qu’apparemment c’est lui qui a le traitement et qui décide mais apparemment y’a beaucoup de gens qui sont en manque. Ils donnent des médicaments pour les calmer un peu. Pour résister la première fois ça va, la deuxième ou troisième c’est un peu plus musclé quoi, avec force, ils utilisent la force. »
14 novembre 2012 – Vincennes 2
« Franchement ici entre guillemets y’a un peu de racisme. On est comme des détenus. Par exemple comme aujourd’hui y’a trois vols, et dans les chambre y’a la fouille, c’est comme dans 90 minutes enquête, c’est comme ça que ça se passe « vas-y bouges toi… », « vas-y… ». Tu vois t’es avec une cigarette on te dit « vas-y éteins ta cigarette », on dirait t’as pas le droit de fumer carrément.
J’suis passé devant le juge, le problème avec l’avocat là-bas directement il m’a dit, dès que j’suis arrivé il m’a dit « le 28/11 tu vas partir, on va te donner un vol » moi j’ai dit « tu vas me donner un vol alors que j’ai même pas vu mon consulat ? ». J’ai même pas vu un consul il m’a dit « ok, ok, on va vous donner vingt jours après on va voir. » Ils jouent sur le moral hein, c’est comme ça. Normalement la date limite c’est quarante-cinq jours, dès que t’es à 44 jours ils disent « peut-être qu’on va te faire un vol, il faut pas être heureux hein, peut-être que demain tu rentres chez toi ! »
On dirait on a fait un crime. Si on a débarqué ici, c’est qu’on n’est pas là par hasard. Jusqu’au bout, même quand t’as pu que trois heures avant de sortir ils jouent sur le moral. Ils m’ont demandé « tu veux un avocat ? » j’ai dit « oui, c’est bon ». Il m’a même pas défendu, il est avec eux en fait, il travaille avec eux. Effectivement c’est l’avocat qui m’a dit « on va te faire un vol », avant d’entrer devant le juge. Le juge il était gentil avec moi. Mais l’avocat il voulait, s’il avait les moyens il me donnait un vol directement. Dès que j’suis arrivé au palais de justice s’il avait les moyens il me donnait un vol.
Franchement c’est abusé, ils jouent sur le moral, ils font des trucs c’est pas bien comme ça, on est sous pression. Jusqu’à maintenant j’ai pas vu le consul moi. Y’a pas que moi y’en a plein qui ont pas vu le consul. J’espère qu’on va sortir et qu’on va pas rester ici quand même. Tout le monde travaille. S’ils vont chercher les sans-papiers tout Barbès ils vont rentrer chez eux hein, tout le monde est sans papiers ici. Si on gagne de l’argent on va dépenser de l’argent aussi, on est comme ceux qui ont des papiers sauf qu’on peut pas rentrer chez nous, t’façon on va dépenser de l’argent ici, on va acheter des trucs, sans papiers c’est pas un handicap quand même. »
Pour exprimer notre solidarité envers les retenus de Vincennes et d’ailleurs, manifestation devant le CRA de Vincennes le vendredi 16 novembre, RDV à 18h dans la gare RER A de Joinville-Le-Pont. Amenez votre gilet fluo pour être visibles ! Appels de la manifestation disponibles ici et ici.
Liste Migreurop, 15 novembre 2012