[Interpol] La poucave t’arnaque (2)

L’espion anglais qui a piégé le groupe de Tarnac

Finalement, il y avait bien un homme qui vivait dans la « clandestinité » dans l’affaire de Tarnac. Mais il ne s’agissait pas d’un des jeunes gens interpellés le 11 novembre 2008 en Corrèze, à Rouen et à Paris, contrairement à ce que les rapports de police décrivaient. C’était Mark Kennedy. Son métier : policier britannique infiltré dans la mouvance altermondialiste de 2003 à 2010.

Le 6 novembre, Me William Bourdon, avocat de Yildune Lévy, mise en examen pour « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme », a demandé à la juge d’instruction chargée du dossier, Jeanne Duyé, la communication de « l’entier dossier de renseignement » dont sa cliente a fait l’objet avec son mari, Julien Coupat, également mis en examen.

« COLORATION PARTICULIÈRE »

Car ce dossier repose en grande partie sur des informations livrées par l’espion anglais, confirment plusieurs sources proches de l’enquête, après les premiers doutes dont L’Express, les Inrockuptibles et le livre de David Dufresne, Tarnac, magasin général (Calmann-Lévy, 498 pages, 20 euros), se sont fait l’écho il y a quelques mois. Une source policière reconnaît l’importance des renseignements fournis par les services britanniques : « Il est certain qu’ils ont donné une coloration particulière au dossier. Cela a joué un rôle dans la demande d’ouverture d’une enquête préliminaire en avril 2008. »

Mark Kennedy, 42 ans, a passé sept ans sous le nom de Mark Stone à parcourir le monde, de manifestations antiracistes en happenings écologistes, sans oublier les réunions anti-G20. Il travaillait pour le National Public Order Intelligence Unit (NPOUI), un organisme britannique de lutte contre le terrorisme « intérieur ».

En 2009, il participe à l’organisation de l’occupation d’une centrale à charbon à Ratcliffe-on-Soar (Royaume-Uni). Tous les participants sont interpellés, sauf lui. Le doute s’installe parmi ses proches. Le 20 octobre 2010, une confrontation est organisée par les militants, et il se découvre. L’affaire est révélée par le quotidien The Guardian. Le scandale provoque la disparition du NPOUI.

« STRUCTURE CLANDESTINE »

Dans le dossier de Tarnac, Mark Kennedy n’apparaît (presque) nulle part. Un « Mark » a été griffonné dans les carnets de Julien Coupat. Pourtant, il est partout, dès le début. Car l’enquête sur les militants français n’a pas commencé en novembre 2008, après les sabotages de lignes SNCF, mais le 11 avril, lorsque le patron de la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire demande au parquet de Paris d’ouvrir une enquête préliminaire sur « une structure clandestine anarcho-autonome (…) projetant de commettre des actions violentes », sur la base d' »informations communiquées par la direction centrale des renseignements généraux ».

Parmi ces éléments, un fait concret : l’interpellation de Julien Coupat et Yildune Lévy par la police canadienne, le 31 janvier 2008, alors qu’ils franchissent clandestinement la frontière américano-canadienne.

Mais aussi des détails plus flous issus de surveillances ou de sources internes au mouvement : la participation du couple « à une réunion d’anarchistes américains à New York », du 10 au 15 janvier, et « des relations étroites avec des activistes européens (…) notamment en Pologne, en Espagne, en Grèce, en Italie, en Suisse, en Allemagne et au Royaume-Uni ». Un rapport confidentiel rédigé en juin 2008 par la direction centrale des renseignements généraux – publié en mars 2012 par Mediapart – est plus précis encore sur les dates et les participants aux réunions européennes, mais il n’a jamais été joint à la procédure…

LES ITALIENS BOTTENT EN TOUCHE

Depuis quatre ans, tous les services étrangers répondent la même chose au juge, qui souhaite avoir des détails. Les retours de commissions rogatoires internationales et de demandes d’entraide judiciaire, dont Le Monde a eu connaissance, en témoignent. La participation de militants italiens au contre-sommet du G8 d’Heiligendamm (Allemagne) en 2007 ? Les policiers transalpins, pourtant plutôt diserts, bottent en touche et renvoient à des « informations confidentielles ».

La réunion de janvier 2008, à New York ? Le FBI fournit le détail de la surveillance menée à l’extérieur de l’immeuble, photos à l’appui. Mais, pour « les informations confirmant la tenue, les participants et le contenu », c’est le problème « des autorités britanniques ». D’ailleurs, une demande à ce sujet reste « en suspens », notent les Américains.

« DÉRIVES CONSIDÉRABLES »

Le juge français n’a pas été plus chanceux que le FBI. Le 5 décembre 2011, les Britanniques répondent à sa demande d’entraide judiciaire en confirmant que « des informations sont disponibles » sur New York… sans en dire plus. Mais, conclut Richard May, le patron du National Domestic Extremism Unit (NDEU), qui a pris la suite du NPOUI, « la source de ces informations confidentielles ne sera jamais divulguée et aucun rapport formel ne sera communiqué. C’est sur cette base que ces informations confidentielles sont fournies ».

La « source », les mis en examen de Tarnac ont vite compris de qui il s’agissait, après les révélations du scandale anglais et la note de juin 2008 rédigée par la DCRG. Jusque-là, Mark Kennedy les avait plus marqués par son strabisme que pour autre chose. Plutôt discret, il était passé à Tarnac, à l’été 2008, avec d’autres militants. Il n’a en fait jamais cessé de s’intéresser aux Français. Pour Me Bourdon, « le fait pour les services de s’appuyer sur des agents comme Mark Kennedy est la source de dérives considérables de l’action policière. Ce type de personnage tombe forcément dans la dramatisation et la surenchère ».

« ENGINS EXPLOSIFS »

Ainsi, dans leur réponse au juge d’instruction, les services britanniques détaillent spontanément une rencontre entre Julien Coupat et d’autres militants européens – dont Mark Kennedy – à Nancy et aux environs, en février 2008, durant laquelle « la fabrication d’engins explosifs improvisés a été discutée et expérimentée ». La réunion n’apparaissait pas jusque-là dans la procédure, son contenu est désormais invérifiable, mais elle a probablement joué un rôle important dans l’estimation de la dangerosité des militants et leur mise en cause. Car la note confidentielle de la DCRG, elle, l’évoque, dans un chapitre qui conclut que le groupe est décidé à mener des « actions violentes », justement « par la mise en œuvre d’engins et de dispositifs incendiaires ou explosifs ».

Pour Me Bourdon, le fait que des éléments cruciaux pour les mis en cause ont été cachés pendant quatre ans témoigne de l' »extraordinaire déloyauté de la procédure ». Pour obtenir toute la lumière sur la genèse de l' »affaire de Tarnac », l’avocat compte sur la « jurisprudence Manuel Valls » – le ministre de l’intérieur a autorisé la déclassification des rapports du renseignement sur Mohamed Merah, en juillet. Mais il faut avant cela que la juge accède à la demande d’acte.

Presse affiliée à Coupat-Assous (Laurent Borredon, LeMonde.fr, 8 novembre 2012)

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