[In memoriam] « Si tu es Dieu ; venge-toi ! »

29 octobre 1763. Détention de Sade pour éjaculation sur un crucifix et autres blasphèmes

Peu emballée à l’idée de faire l’amour avec une hostie dans le vagin, l’ouvrière court dénoncer le marquis à la police.

Le 29 octobre 1763, des inspecteurs de police frappent de bon matin à la porte cochère jaune d’une petite maison de la rue Mouffetard. Au portier qui vient ouvrir, ils demandent à parler au maître de la maison. Le domestique les conduit auprès d’un jeune homme de 23 ans, élégant, de petite taille, le visage légèrement marqué par la vérole. Le jeune marquis de Sade s’étonne. Les représentants du lieutenant de police de Paris lui expliquent que, sur ordre du roi, ils doivent le conduire au donjon de Vincennes pour « débauche outrée ». Donatien Alphonse François se décompose. Il tempête, pleure, dit qu’on doit le confondre avec l’ancien directeur du FMI. Rien n’y fait, il doit suivre les policiers qui le conduisent jusqu’à la forteresse où ils le remettent entre les mains du gouverneur, le lieutenant Guyonnet. Sade, qui terrorise les putes de Paris avec ses fouets, n’est plus qu’une loque humaine larmoyante. Pas croyable.

Il doit ce premier séjour à l’ombre à une jeune ouvrière de 20 ans, prostituée occasionnelle, qui n’a pas apprécié les petits jeux sadiques et blasphématoires du jeune homme de bonne famille. Jeanne Testard gagne sa vie en fabriquant des éventails, mais n’est pas farouche pour autant. De temps à autre, elle passe la nuit avec un client que lui présente la du Rameau, une mère maquerelle de Montmartre.

Verges, martinets et gravures pornographiques

Le 19 octobre 1763, elle se présente aux autorités de police parisiennes pour effectuer une déposition effarante, scandaleuse. Consignée par écrit, elle nous est parvenue. Jeanne y explique que la veille, la maquerelle lui a proposé d’accompagner un jeune homme bien sous tous rapports — elle le nomme « l’inconnu » —, prêt à débourser deux louis pour une nuit de plaisir. L’inconnu, donc, la fait monter dans une voiture de location qui les dépose devant la petite maison de la rue Mouffetard.

Sade la conduit au premier étage dans une pièce qu’il referme à clef derrière lui. Il lui demande alors si elle est croyante et, comme elle répond par l’affirmative, l’homme réplique par des injures et des blasphèmes horribles « en disant qu’il n’y avait point de dieu, qu’il y en avait fait l’épreuve, qu’il s’était manualisé jusqu’à pollution dans un calice… » Ce n’est qu’un début. Jeanne affirme encore que son drôle de client se vante d’avoir glissé deux hosties dans le sexe d’une fille avant de lui avoir fait l’amour en lâchant : « Si tu es Dieu ; venge-toi ! »

Après quoi, l’inconnu la fait passer dans la pièce voisine dont les murs sont couverts de verges, de martinets, de Christ en croix et en estampes. Tout cela au milieu de dessins et gravures pornographiques. C’est alors qu’il lui demande de le fouetter avec un martinet en fer rougi au feu et qu’il lui rendra la pareille avec le fouet qu’elle choisira. Elle refuse énergiquement, ce qui le met dans une forte colère.

Masturbation

De rage, il se masturbe sur un Christ en ivoire jeté à terre. Sade ordonne alors à la prostituée de fouler un crucifix sinon il la perce de son épée. Comment faire autrement ? Elle s’exécute. En revanche, elle refuse absolument de se faire un lavement pour en répandre le produit sur le Christ. Durant toute la nuit, il lui lit des poèmes blasphématoires soi-disant écrits par un de ses amis libertins. Au petit matin, Sade relâche Jeanne Testard, affolée, en lui faisant promettre de revenir le dimanche suivant pour communier à l’église Saint-Médard afin de récupérer une hostie et de l’utiliser comme il l’a déjà fait avec une précédente prostituée. Enfin, l’inconnu lui fait jurer de ne rien révéler de leur nuit.

Mais Jeanne est tellement choquée qu’elle s’empresse de tout raconter à la du Rameau qui est venue la chercher. Aussitôt, les deux femmes décident de se rendre au bureau du lieutenant général de la police de Paris, monsieur de Sartine, pour dénoncer le comportement blasphématoire de l’inconnu. Comme le responsable de la police parisienne est absent, elles vont trouver l’inspecteur Marais chargé de la police des mœurs, mais celui-ci n’est pas revenu d’une filature d’un de ces « gros clients » habitant la place des Vosges…

Finalement, c’est l’adjoint de Marais qui les reçoit et incite à consigner une déposition devant un avocat du Parlement. Cette démarche d’aller trouver la police pour dénoncer un client est pour le moins étonnante de la part d’une prostituée occasionnelle, surtout accompagnée de la mère maquerelle. Dans cette affaire, Sade n’a ni abusé sexuellement de Jeanne ni fait preuve de violence exagérée. Il y a donc là une raison qui nous échappe. Est-ce que Sade était déjà sous surveillance à cause de son comportement extravagant, choquant ? Est-ce que la maquerelle sert d’indicatrice à l’inspecteur Marais ? Tout est possible.

Désespoir

Après le témoignage de Jeanne Testard, la police enquête durant neuf jours, rassemblant d’autres témoignages sur la conduite sacrilège de Sade. D’autres filles publiques rapportent des histoires similaires s’étant produites dans la même maison. Sartine envoie le dossier au ministre d’État monsieur de Saint-Florentin, qui alerte le roi en lui conseillant de manifester une grande rigueur.

C’est ainsi que 29 octobre 1763, le Divin Marquis est cueilli à son domicile parisien. Dès son arrivée au donjon de Vincennes servant de prison, Sade demande du papier, de l’encre et une plume. Sa première lettre est pour le lieutenant général de la police Sartine. Ce n’est plus le Sade blasphémateur et impérieux qui rédige, mais une pauvre brebis égarée qui réalise qu’il peut tout perdre : sa liberté, son épouse et l’argent de son épouse. Il faut dire qu’il n’est marié que depuis cinq mois ! Alors, dans son billet, il se fait suppliant, prie son correspondant d’étouffer le scandale.

Sade envoie aussi une lettre à son geôlier Guyonnet pour qu’il prévienne son épouse : « Je vous en supplie, Monsieur, ne me refusez pas de voir la personne la plus chère que j’ai au monde. Si elle avait l’honneur d’être connue de vous, vous verriez que sa conversation bien plus que tout est capable de remettre dans le bon chemin un malheureux dont rien n’égale le désespoir de s’en être écarte. »

Petits amusements

Décidément, le marquis est prêt à tout pour apitoyer ses geôliers. Nouvelle lettre à Sartine le 2 novembre : « (…) Monsieur, je ne me plains point de mon sort ; je mériterais la vengeance de Dieu, je l’éprouve ; pleurer mes fautes, détester mes erreurs est mon unique occupation. Hélas ! Dieu pouvait m’anéantir sans me donner le temps de les reconnaître et de les sentir, que d’action de grâce ne dois-je pas lui rendre de me permettre de rentrer en moi-même, donnez-m’en les moyens, je vous en prie, Monsieur, en me permettant de voir un prêtre. » Cette comédie de la dévotion ne porte pas vraiment ses fruits. Le ministre Saint-Florentin, qui est tenu au courant des simagrées de Sade, refuse toute faveur.

Néanmoins, le 13 novembre, Louis XV ordonne la libération de Sade après seulement deux semaines d’emprisonnement suite à l’intervention de son beau-père. À la condition qu’il rejoigne immédiatement Échauffour, la résidence de ses beaux-parents, et qu’il y reste sous la surveillance de l’inspecteur Marais. La queue entre les jambes, Sade retrouve son épouse Renée qui accepte stoïquement de reprendre la vie commune. Durant tout l’hiver, le marquis se morfond. Il adresse des courriers à son oncle l’abbé, l’assurant qu’il peut être certain qu’il ne se remettra plus dans une situation aussi terrible. Petit menteur. Bientôt le Divin Marquis reprendra ses petits amusements qui le conduiront à nouveau en prison en avril 1768.

Publié par des ennemis de l’Anarchie (Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos, LePoint.fr, 29 octobre 2012)

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