[Yinggehai, Hainan] « D’habitude, nous descendons dans la rue de nuit pour ne pas être identifié par la police, qui a recours à la vidéo pour filmer la foule »

Chine : affrontements entre villageois et police autour de la construction d’une centrale polluante

PÉKIN (Sipa-AP) — Les habitants d’une petite ville du sud de la Chine, opposés à la construction d’une centrale électrique au charbon, ont lancé des briques contre la police, qui a répliqué à coups de gaz lacrymogènes. Des dizaines de personnes ont été interpellées dans cette nouvelle affaire de conflit environnemental, ont déclaré lundi des habitants de la ville de Yinggehai.

Un millier de personnes de cette ville de la province de Hainan ont manifesté ces derniers jours contre la reprise de la construction de la centrale, déjà interrompue par des protestations. Des dizaines de personnes ont été blessées et plusieurs autres détenues par la police, qui a placé la ville sous étroite surveillance, ont précisé des habitants. La police et des responsables locaux n’ont pas fait de commentaire.

« Ils ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser la foule ces derniers jours », a témoigné Xian, un habitant qui n’a donné que son prénom pour ne pas être identifié par les autorités. « Nous ne voulons pas d’une centrale électrique qui provoquerait une grave pollution ».

Les écoles de Yinggehai, une ville de 18.000 habitants, sont fermées depuis jeudi dernier, a précisé Lin, vivant à Shenzhen, mais qui a des contacts réguliers avec des amis et de la famille de sa ville natale. Des affrontements entre habitants armés de briques et policiers ont éclaté après l’interpellation de plusieurs manifestants et le tir de gaz lacrymogènes. Des blessés ont été sortis de l’hôpital par la police, qui a également fouillé des écoles et des habitations.

Les forces de sécurité ont été déployées devant les locaux du gouvernement local et les principales rues de la ville, selon lui.

« D’habitude, nous descendons dans la rue de nuit pour ne pas être identifié par la police, qui a recours à la vidéo pour filmer la foule », a ajouté Xian.

D’après le Centre d’information sur les droits de l’Homme et la démocratie, basé à Hong Kong, 50 personnes ont été arrêtées et une centaine d’autres blessées dans les manifestations contre la centrale nucléaire [sic].

Leur presse (Challenges.fr, 22 octobre 2012)


Le sort de Liu Futang mobilise les écologistes chinois

Le sort de Liu Futang, un retraité de l’administration des forêts de l’île-province de Hainan devenu combattant écologiste à temps plein, préoccupe les milieux verts chinois. M. Liu est poursuivi par le pouvoir local pour avoir dénoncé les prédations environnementales de groupes d’État chinois sur cette île touristique. Son procès, dont le verdict n’a pas été rendu, a eu lieu le 11 octobre devant le tribunal de Haikou, la capitale provinciale. M. Liu, qui est âgé de 65 ans et souffre de diabète, a été arrêté par la police dans sa chambre d’hôpital à Haikou, en juillet, où il était traité pour hypertension.

Détenu au secret jusqu’à sa mise en examen en septembre, Liu Futang est accusé de « publication, impression et distribution illégale » de trois livres. Publiés à compte d’auteur à Hongkong, ceux-ci portent sur la destruction de l’environnement sur l’île tropicale. M. Liu encourt jusqu’à cinq ans de prison. L’avocat pékinois Zhou Ze, qui aide à le défendre, estime que ces charges ne sont pas valables.

Selon lui, les arguments de l’accusation « ne tiennent pas » au regard du droit chinois : « Au niveau légal, les autorités judiciaires de Hainan qualifient l’action de Liu Futang comme un délit. En réalité, selon le code pénal, le délit de commerce illégal s’applique à ceux qui font commerce d’objets illégaux et ceux qui monnayent leur licence. La Cour suprême stipule que c’est aussi valable pour une publication qui viole le droit d’auteur. Ce n’est pas le cas de Liu Futang. Il a mené des enquêtes et des interviews, les a retranscrites et les a publiées. Il ne fait qu’exercer sa liberté de parole. »

PRIX DU « JOURNALISTE CITOYEN »

En outre, poursuit l’avocat, publier des livres à Hongkong n’est pas un délit en Chine : « On ne peut pas l’accuser d’avoir imprimé des livres sans autorisation, puisque ses livres ont été publiés légalement à Hongkong, or la Chine ne réglemente pas l’édition à Hongkong. »

Plus d’une vingtaine d’ONG, ainsi qu’une centaine de personnalités du milieu associatif et de la presse chinoise, tels l’écologiste Feng Yongfeng et Yan Lieshan, ancien rédacteur en chef de l’influent Nanfang Zhoumo, mobilisent sans relâche réseaux sociaux et médias. Ils ont signé en début de semaine un nouvel appel à sa libération. « La manière dont le tribunal traitera ce cas est un test. Cela aura une influence décisive sur la volonté des citoyens de s’impliquer dans la protection de l’environnement », lit-on sur la pétition. Désignée en 2010 « île touristique internationale » et destination de choix de riches Chinois, l’île, peuplée de 8 millions d’habitants et grande comme trois fois la Corse, est la proie d’un développement que rien n’arrête.

Le paradoxe du combat écologique en Chine est que médias, ONG et militants de terrain disposent d’une marge de manœuvre bien supérieure à celle des militants des droits de l’homme par exemple, et en font usage. Sauf quand ils se heurtent aux intérêts combinés des pouvoirs locaux et des groupes d’État : « Dès que ça entraîne des conflits sociaux, comme à Yinggehai, [les autorités locales] montent le dossier comme une « affaire politique », ce qui leur laisse l’entière liberté de procéder à des représailles et de persécuter à loisir », explique Feng Yongfeng, fondateur de l’ONG pékinoise Green Beagle.

M. Feng déplore la neutralisation du seul défenseur de l’environnement que l’île ait jamais eu. Mais, constate-t-il, elle suscite des vocations : un groupe de défense de l’environnement de l’Université du Hainan a ainsi osé signer la pétition.

FRONDE CONTRE UNE CENTRALE THERMIQUE

Deux dossiers ont placé l’ancien responsable de la prévention des incendies de la province dans le collimateur des autorités : celui de la baie de Shimei, où en 2011, Liu Futang, armé de son blog et de Weibo, le Twitter chinois, a mobilisé avec succès la presse autour de la destruction de mangroves et de palmiers d’une espèce rare par le conglomérat China Resources, commanditaire d’un site touristique de grand luxe. C’est pour ce combat qu’il a reçu en avril le Prix du « Journaliste citoyen » attribué en Chine par le quotidien britannique Guardian et le portail chinois Sina.

Le même mois, Liu Futang était le seul à documenter la fronde des habitants de Yinggehai, un bourg côtier du sud-ouest de l’île, contre l’implantation d’une centrale thermique, pour laquelle ils n’avaient pas été consultés.

Face à la mobilisation de milliers de villageois, les autorités ont tenté, en vain, d’imposer le projet à deux autres bourgs du canton. En juillet, elles sont revenues à la charge à Yinggehai, en mettant les grands moyens : arrestation de meneurs et « travail idéologique » de persuasion de la population. C’est à ce moment que Liu Futang a été arraché à son lit d’hôpital par la police.

De puissants intérêts ont donc pu pousser les autorités locales à jeter le retraité en prison. « À ce stade, on ne peut que spéculer », explique Feng Yongfeng. « Liu a dû faire enrager un certain nombre de gens dans l’affaire des mangroves de la baie de Shimei l’an dernier, et cette année, lors des évènements à Yinggehai. Mais on ne sait pas d’où viennent les pressions, si c’est le comité du parti du Hainan qui a agi, et si c’est sous l’impulsion d’ intérêts particuliers comme ceux que représentent le groupe Huarun [le conglomérat d’État China Ressources qui construit à Shimei un complexe touristique], et l’électricien Guodian [l’opérateur de la centrale thermique de Yinggehai].

Leur presse (Brice Pedroletti à Pékin, LeMonde.fr, 18 octobre 2012)

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