Exclusif. Paul Sollacaro : « La police est responsable de la mort de mon père »
Paul Sollacaro, 31 ans, fils du bâtonnier d’Ajaccio exécuté mardi dernier, s’exprime pour la première fois. Selon lui, certains enquêteurs ont fini par transformer son père en cible potentielle.
Le fils d’Antoine Sollacaro, le plus grand pénaliste corse, assassiné mardi à Ajaccio (Corse-du-Sud) dans ce qui s’apparente à un règlement de comptes, prend la parole. Avocat comme son père, l’homme de 31 ans livre une violente charge contre le fonctionnement de l’institution judiciaire et policière.
Votre père a-t-il été visé en tant qu’avocat ?
PAUL SOLLACARO. C’est une évidence. Ce meurtre n’a rien à voir avec ses engagements nationalistes, ni avec ses supposés investissements immobiliers. C’est bien l’avocat qu’on a assassiné, mais tel que certains juges et policiers ont cru bon le présenter.
C’est-à-dire ?
Le scandale se situe au niveau de la Jirs de Marseille (NDLR : créées en 2004, les juridictions interrégionales spécialisées enquêtent sur la criminalité organisée. Celle de Marseille récupère presque tous les dossiers corses). Dès le départ, mon père et ses confrères se sont battus contre cette justice d’exception. Ces juges d’instruction n’ont jamais exercé de regard critique sur les enquêtes, ils ont toujours travaillé avec le parquet et la police en utilisant des méthodes déloyales, comme les témoignages sous X ou les renseignements anonymes. Les avocats n’ont eu de cesse de dénoncer ce système verrouillé et cette juridiction illégitime et incompétente. En retour, les enquêteurs et les juges ont considéré que les avocats n’étaient plus des interlocuteurs, mais des ennemis à abattre.
C’est ainsi que vous analysez l’exécution de votre père ?
Oui. Les services de police sont responsables de sa mort. De poussettes (NDLR : des manipulations dans le jargon policier) en suggestions, que ce soit en garde à vue ou sur procès-verbal, certains enquêteurs ont honteusement caricaturé les avocats. À la Jirs, on les a présentés comme les avocats de tel ou tel clan, voire comme les complices de leurs clients ! À force de jouer les apprentis sorciers, le thermomètre a explosé, en l’occurrence au visage de ma famille. Aujourd’hui j’ai peur pour d’autres confrères. Bien entendu, ce que je dis ne concerne pas tous les policiers ni tous les juges : la plupart font leur travail honnêtement.
Qui a pu exploiter cette situation ? Votre père a-t-il payé sa proximité avec Alain Orsoni par exemple ?
C’était un honneur pour mon père de défendre Alain Orsoni (NDLR : ex-leader nationaliste, actuel président du club de football d’Ajaccio), mais comme ça l’a été pour tous ses clients. Mon père était l’avocat de tout le monde et n’a jamais franchi aucune limite. On veut absolument faire le lien avec une affaire en particulier, mais ça ne rime à rien. Je ne veux surtout pas imaginer qui peut se trouver derrière cet assassinat, je sais à quel point cela peut être dangereux. J’en veux davantage aux marionnettistes qu’aux marionnettes.
Ce sont des accusations graves. Que réclamez-vous ?
Je veux une enquête parlementaire sur le fonctionnement de la Jirs. Je souhaite aussi que le ministre de l’Intérieur saisisse l’inspection générale des services. Il faut faire le ménage si on veut enrayer le phénomène au lieu de l’entretenir. Je n’accepte pas non plus que la Jirs soit saisie de l’enquête sur la mort de mon père. C’est une insulte pour ma famille.
Comment jugez-vous l’action de l’État en Corse ?
Malgré la succession d’assassinats qui a fait battre tous les records de meurtres, les autorités politiques ne semblent pas préoccupées. À Marseille, où la situation est moins pire, les réactions se multiplient. Ici, il a fallu qu’on tue un avocat, qu’une barrière tombe, pour qu’on se rende compte à quel point la situation est folle. Ça me scandalise.
(Propos recueillis par Timothée Boutry pour LeParisien.fr, 22 octobre 2012)