EXCLUSIF. A-t-on cherché à étouffer l’affaire de la BAC nord de Marseille ?
Le Point révèle que l’ancien numéro deux de la police marseillaise n’a jamais saisi la justice des faits de corruption dont il avait été alerté.
« Cette enquête n’a pas permis de corroborer les faits que vous m’avez dénoncés. » 28 décembre 2009, la directrice de cabinet du préfet délégué pour la sécurité et la défense à Marseille répond par courrier à un responsable associatif de la ville, qui, dans une lettre datée du 13 octobre, a dénoncé des infractions graves commises par des policiers de la BAC nord à Marseille. « Aucun témoignage n’est venu confirmer vos assertions et vous avez émis des doutes quant aux heures où ces infractions avaient été commises », poursuit la directrice du cabinet. La fonctionnaire s’appuie sur une enquête du cabinet d’audit et de discipline diligentée par Pascal Lalle, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) des Bouches-du-Rhône. Celui-ci avait été alerté des faits par le préfet délégué.
Près de trois ans plus tard, ce courrier que Le Point a récupéré pose des questions sur la responsabilité de la hiérarchie policière dans le sulfureux dossier de la BAC nord de Marseille. Pourquoi Pascal Lalle, numéro deux de la police dans le département, a-t-il choisi de faire appel au cabinet d’audit et de discipline de la sécurité publique plutôt que de saisir Jacques Dallest, le procureur de la République de Marseille, comme l’article 40 du Code pénal l’y obligeait ? C’est la face cachée de l’affaire.
« J’ai un principe… »
Alors que le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, est vendredi à Marseille avec trois nouveaux commissaires, Le Point est en mesure de révéler que le DDSP, Pascal Lalle, devenu directeur central de la sécurité publique (DCSP), a été alerté depuis 2009, à plusieurs reprises, par des habitants de quartier, mais aussi par des policiers, sur des infractions graves commises par les fonctionnaires de la BAC nord. Et ce sans aucune conséquence judiciaire. Comme le confirme au Point Jacques Dallest, celui-ci ne sera saisi qu’en novembre 2011 par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) à partir d’un PV de renseignements anonyme et diligentera aussitôt une enquête préliminaire. « J’ai un principe lorsque je reçois ne serait-ce qu’une lettre anonyme dénonçant ce genre d’infraction, j’ouvre systématiquement une enquête préliminaire, c’est le cadre idéal pour mener une enquête discrète », explique le procureur avant d’enfoncer le clou : « Le DDSP, Pascal Lalle, ne m’a jamais transmis quoi que ce soit. »
Chaque fois, le DDSP, Pascal Lalle, a utilisé le même modus operandi : il a saisi le cabinet d’audit et de discipline, dirigé par le commandant A., au détriment du procureur de la République. Pourquoi ? La suite des événements a pourtant montré que c’est dans le cadre d’une enquête préliminaire avec des moyens humains et techniques colossaux mise en branle par l’IGPN que l’affaire a pu « sortir ». Des moyens qu’un simple cabinet d’audit et de discipline ne pouvait déployer. La saisie de ce service, sous contrôle du DDSP, est souvent une façon de tâter le terrain dans une affaire avant de passer à la vitesse supérieure. C’est aussi parfois une manière de laver son linge sale en famille ou d’étouffer dans l’œuf une enquête. Or, une chose est sûre, toutes les enquêtes du cabinet diligentées par Pascal Lalle à propos d’infractions commises par les policiers de la BAC nord ont été classées, faute de preuves.
Pourtant les exactions des policiers de la BAC nord étaient un secret de polichinelle. « J’avais constaté que des dealers étaient soulagés de tous leurs effets personnels (portables, argent, marchandises illicites…) », explique au Point le responsable associatif auteur de la lettre de dénonciation au préfet. En novembre 2009, ce responsable a été convoqué devant le cabinet d’audit et de discipline de la sécurité publique : « J’ai communiqué aux policiers des numéros d’immatriculation de voiture, des lieux, des heures. J’ai proposé de leur donner les coordonnées de sept autres habitants de la cité, prêts à témoigner à condition de pouvoir rester anonymes. Mais les policiers m’ont dit que ce n’était pas possible. Ensuite ils ont pinaillé sur les heures que j’avais indiquées, au motif qu’aucune patrouille de la BAC ne pouvait être passée à ces heures. » Affaire classée.
Mutations
Comme les suivantes… Selon nos informations, en décembre 2010, un commissaire de la sûreté départementale a transmis au DDSP, Pascal Lalle, un rapport circonstancié sur les agissements de certains policiers de la BAC nord. Ce commissaire se fonde alors sur les témoignages d’un brigadier et d’une gardienne de ce service qui racontent par le menu, mais sans citer de noms, comment certains de leurs collègues rackettent, en plein jour, des fumeurs de cannabis, des vendeurs de cigarettes ou d’objets de contrefaçon de la porte d’Aix, à Marseille. Dans son rapport, le commissaire insiste alors sur le fait que les deux dénonciateurs paraissent honnêtes et crédibles. Pascal Lalle saisit alors … le cabinet d’audit et de discipline. Les deux policiers sont entendus, puis plus tard un troisième. Mais après quelques vérifications, notamment l’élaboration non significative d’un tableau de comparaison des saisies d’argent et de drogue entre les cités, l’affaire est classée. Quelque temps plus tard, un hasard sans doute, les deux fonctionnaires seront mutés dans un autre service et décrédibilisés. Le commissaire auteur du fameux rapport transmis au DDSP, Pascal Lalle, a récemment été auditionné par la police des polices. Il aurait confirmé aux enquêteurs que les faits qui lui avaient alors été dénoncés lui paraissaient crédibles. Là encore, pourquoi le DDSP, Pascal Lalle, n’a-t-il pas saisi le procureur de la République, comme le veut la loi ?
Selon nos informations, un troisième policier va être convoqué durant le premier semestre 2011 devant deux commissaires de la sécurité publique. Un rapport d’une centaine de pages a été rédigé par J.-M. A., le nouveau capitaine de la BAC nord. Le document fait état de suspicions sur la probité d’une quarantaine de policiers du service. Il est demandé aux trois policiers de confirmer les noms de cette liste. Ce qu’ils font. « Un des commissaires nous a informés qu’ils allaient se réunir avec Pascal Lalle, explique au Point ces policiers. Résultat, au lieu de saisir la justice, on a muté discrètement ces brebis galeuses en appliquant une note de service selon laquelle on doit quitter la BAC au bout de huit ans. C’était une façon de régler l’affaire sans faire de bruit. »
C’est finalement sous l’impulsion du nouveau préfet, Alain Gardère, arrivé en septembre 2011 dans la cité phocéenne, que ces policiers seront enfin pris au sérieux. Interrogés de façon informelle par l’IGPN, tout comme le responsable de l’association, ils témoigneront sous X en février 2012. On connaît la suite…
Contacté par Le Point, Pascal Lalle était en réunion jeudi après-midi. Il avait toutefois déjà réagi à nos précédentes révélations : « Ces accusations ne sont pas crédibles », déclarait-il.
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Jean-Michel Décugis & Aziz Zemouri, LePoint.fr, 11-12 octobre 2012)
EXCLUSIF. Marseille : « Le numéro deux de la police m’a dit « la délation est condamnable » »
Omar Djellil, responsable associatif, a tenté de prévenir des méthodes des policiers de la BAC nord de Marseille. Il explique au Point.fr toutes les démarches qu’il a engagées, depuis 2009, en vain.
« On aurait pu mettre fin aux agissements de la BAC nord de Marseille bien plus tôt. J’ai écrit aux autorités dès octobre 2009. J’avais constaté que des dealers étaient soulagés de tous leurs effets personnels (portables, argent, marchandises illicites…) par les policiers de la BAC nord. J’ai décidé de mener une croisade contre la corruption au sein de cette brigade et de dénoncer l’attitude arbitraire de certains policiers. En octobre 2009, j’ai saisi le préfet de région, Michel Sapin, sur les agissements déviants de plusieurs éléments de la BAC nord.
Pascal Lalle, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP), a diligenté une enquête du cabinet d’audit et de discipline. J’ai été entendu pendant plus de deux heures. J’ai donné des numéros d’immatriculation de véhicules, des lieux, des heures. J’ai dit aux policiers que sept autres personnes accepteraient de parler, à condition de témoigner sous le couvert de l’anonymat. Les policiers m’ont répondu que ce n’était pas possible. Ils ont pinaillé sur les horaires que je donnais, me disant qu’aucune voiture de la BAC n’était passée à cette heure-là dans le quartier. Bref, l’enquête a été classée.
En 2010, j’ai à nouveau témoigné devant la police pour dénoncer d’autres infractions. Là encore, cela n’a rien donné. J’ai interpellé plusieurs fois le DDSP Pascal Lalle lors de réunions publiques dans le cadre de notre collectif d’associations. Ce que je dénonçais choquait toute l’assistance, sauf Pascal Lalle. Il a toujours refusé de m’écouter et a toujours botté en touche. Un jour, il s’est même laissé aller en déclarant publiquement : la délation est moralement condamnable et nous projette sous Vichy. Quand je pense qu’il a eu le culot de déclarer ces derniers jours dans les colonnes de La Provence qu’il était à l’origine de l’enquête qui a mis un terme aux agissements des policiers corrompus.
Menaces
J’ai écrit au président de la République Nicolas Sarkozy, au ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux. En vain. Un jour, j’ai appris qu’un fonctionnaire de la BAC nord qui avait des problèmes dans son service dénonçait aussi les méthodes de voyous de ses collègues. Il a été harcelé, menacé, tout comme trois autres de ses collègues dénonciateurs. Ils ont été entendus plusieurs fois par des commissaires. Mais à chaque fois, le cabinet d’audit et de discipline a classé l’affaire, faute, soi-disant, de preuve. Ces policiers ont été harcelés, placardisés par la hiérarchie. Au lieu de couper la tête aux ripoux, c’est à eux que l’on s’en est pris.
Pour moi aussi, cela a failli très mal tourner. Alors que j’avais témoigné sur un règlement de comptes auquel j’avais assisté, je me suis retrouvé menacé par un voyou auquel certains policiers de la BAC avaient donné mon nom. J’ai dû me rétracter pour sauver ma peau. Voilà ce dont étaient capables certains policiers de la BAC nord. J’ai finalement saisi le procureur de la République Jacques Dallest, dont j’avais pu évaluer la probité et la détermination à endiguer la criminalité lors de réunions publiques. Je lui ai proposé de rencontrer tous les protagonistes de l’affaire pour qu’il prenne la mesure de la gravité. La police des polices nous a alors entendus de façon informelle avant que le procureur ne diligente une enquête préliminaire. On voit aujourd’hui que nous ne racontions pas de bobards. On voit aussi que lorsque la police décide de faire le ménage et de couper les branches pourries, elle y arrive… »
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Jean-Michel Décugis & Aziz Zemouri, LePoint.fr, 12 octobre 2012)
EXCLUSIF. Marseille : « Les collègues se servaient sur la bête »
Le Point a recueilli le témoignage d’un des quatre anciens policiers de la BAC nord qui avaient dénoncé à leur hiérarchie les méthodes mafieuses présumées de leurs collègues.
Vous avez été un des premiers à dénoncer ces faits de corruption présumée au sein de la BAC nord. Êtes-vous satisfait aujourd’hui de la tournure des événements ?
Je ne me réjouis pas de cette situation. Je suis un gardien de la paix qui aime son métier. Et aujourd’hui je suis triste pour la police. C’est parce que j’ai dénoncé cette situation pourrie que j’ai été mis au placard. On a préféré couper les têtes de ceux qui avaient brisé l’omerta plutôt que celles des policiers ripoux. J’espère qu’aujourd’hui le ministre de l’Intérieur nous réhabilitera.
Comment tout a commencé ?
En 2009, je suis convoqué par le capitaine A. P., le commandant du service de l’époque, en présence de mon chef de groupe. Il m’informe que je vais devoir quitter le service, car certains collègues ne veulent plus travailler avec moi. Je lui explique que c’est parce que je m’élève contre leurs méthodes, que je ne veux pas entrer dans leur système. Je précise qu’à plusieurs reprises, lors d’auditions, des dealers ou des vendeurs de cigarettes à la sauvette se sont plaints devant moi d’avoir été dépossédés de leur argent ou de leur résine de cannabis. En 2008, j’avais été auditionné comme d’autres collègues par la police des polices au sujet d’affaires de vol sur des gardés à vue, mais je n’avais pas parlé. On m’avait fait comprendre qu’il valait mieux que je me taise. Le commandant m’explique que mon déplacement est temporaire. Il me promet de revenir à la BAC, une fois le calme revenu. En 2010, je suis déplacé contre mon gré dans un service bas de gamme d’un commissariat d’arrondissement. En fait, je gênais, parce que je travaillais beaucoup et proprement. Un jour, mon chef de groupe est venu me chercher dans mon nouveau service pour que je réintègre la BAC nord. La condition, c’était que je m’excuse auprès du commandant. J’ai refusé et je suis resté.
De quoi avez-vous été témoin exactement ?
C’est tout un système de détournement et de vol de marchandises qui avait été mis en place. Les collègues se servaient sur « la bête », comme l’a dit le procureur de Marseille. Quand vous arriviez dans le service, soit vous faisiez comme eux, soit vous quittiez le service. Quand vous ouvriez certains placards de collègues, c’était la caverne d’Ali Baba. Lors des récentes perquisitions, les « bœufs » (entendez les bœufs-carottes, la police des polices, NDLR) ont retrouvé du cannabis au domicile de certains et de la marchandise volée sous le plafond des bureaux.
Quand avez-vous pour la première fois dénoncé ces faits officiellement ?
Fin janvier 2010, je devais me rendre à Paris à la Commission nationale de déontologie de la sécurité. J’avais été convoqué par J.-F. J., le commissaire de la division nord. Il avait appris que je devais me rendre à Paris pour témoigner. Je me suis présenté devant lui, accompagné d’un délégué du syndicat de police Alliance. Le commissaire m’a alors demandé de ne pas aller à Paris pour raconter les méthodes de la BAC nord. Il m’a menacé : « Si vous y allez, vous le regretterez plus tard. » J’étais abasourdi. Entre-temps, je suis parti en vacances. Pour cette affaire, j’ai été convoqué au cabinet d’audit et de discipline. Là encore, j’ai raconté ce qui se passait à la BAC nord. On m’a demandé s’il était possible de mettre Pascal Lalle au courant. J’ai répondu « oui ». Là, on m’a expliqué qu’un rapport circonstancié allait être adressé à Pascal Lalle, le directeur départemental de sécurité publique (DDSP) des Bouches-du-Rhône sur les agissements de la BAC. Chose qui a été faite.
Que se passe-t-il ensuite ?
Fin 2010, d’autres fonctionnaires de la BAC nord qui ont été écartés pour avoir dénoncé les méthodes de leur service à leur capitaine J.-M. A. atterrissent dans les commissariats. Ils sont témoins des mêmes dérives que moi. On décide alors de rédiger un rapport que nous transmettons aux deux commissaires D. et G., les deux nouveaux commissaires du secteur nord. Début 2011, ces derniers nous convoquent et nous montrent un rapport d’une centaine de pages sur les agissements délictueux de la BAC. Le rapport a été rédigé par le capitaine J.-M. A., le nouveau patron de la BAC nord. Les noms d’une quarantaine de policiers présumés ripoux par ce capitaine sont soulignés en rouge. Le commissaire veut savoir si l’on confirme les noms de ces policiers comme étant des ripoux. Ce que nous faisons, sans donner de nom précis. Ils nous informent alors qu’ils vont se réunir avec le DDSP, Pascal Lalle, pour voir ce qu’ils peuvent faire. Au lieu de diligenter une enquête, le DDSP va promouvoir ces policiers dans d’autres services, en appliquant une note de service selon laquelle on doit quitter la BAC au bout de huit ans. En juillet 2011, tout ce petit monde change de service en accord avec les syndicats Alliance et Unité police. C’était une façon de ne pas faire trop de bruit et d’étouffer l’affaire.
Nous sommes alors effondrés, car on se rend compte que l’on cautionne le système. C’est à nous que l’on va chercher des poux. Nous allons tous les quatre être victimes de harcèlement moral. En septembre 2011, le nouveau préfet de Marseille, Alain Gardère, arrive sur Marseille. Il est déjà au courant de beaucoup de choses. Il me convoque deux mois plus tard, en novembre 2011, avec d’autres collègues. Il était déjà au courant de ce qui se passait. Nous lui avons raconté ce que nous avions vu et surtout l’inertie de notre hiérarchie. Le préfet a alors déclenché une enquête de la police des polices. Mes collègues et moi, nous le voyons de façon informelle à plusieurs reprises jusqu’à son départ. Le préfet Alain Gardère nous avait offert sa protection. Il n’a pas pu finir son travail.
Et cette histoire de meurtre d’un dealer dont le nom aurait été donné aux voyous par la police ?
En fait, des policiers auraient balancé un dealer indic à ses concurrents. Résultat : il a été retrouvé le corps criblé de balles dans une voiture calcinée. C’est lui qui avait donné le nom des incendiaires dans l’affaire de Mama Galledou (une étudiante de 26 ans grièvement blessée dans l’incendie d’un autobus, en octobre 2006, NDLR). En fait, l’affaire de la BAC nord est loin d’être terminée. Mais les vrais responsables sont surtout à rechercher parmi la hiérarchie qui a cautionné ces agissements au lieu de trancher dans le vif. Heureusement que le préfet Alain Gardère a fait ouvrir cette enquête. Aujourd’hui, il doit être fier du résultat et de son travail…
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Propos recueillis par Jean-Michel Décugis & Aziz Zemouri, LePoint.fr, 5-7 octobre 2012)