EXCLUSIF. Montpellier : des gendarmes jouent les gros bras
Le Point a eu connaissance du rapport de synthèse de l’Inspection générale de la gendarmerie qui accuse deux fonctionnaires de la section de recherches de Montpellier d’extorsion de signatures et de consultation de fichiers de police.
« L’autre monsieur m’a fait comprendre qu’il fallait que je démissionne. Il m’a dit qu’il me mettrait les couilles à l’envers et qu’il viendrait chez moi à 6 heures du matin pour venir me mettre en garde à vue. »
26 août 2012, Inspection générale de la gendarmerie nationale à Montpellier. Un employé raconte par le menu aux bœufs-carottes de la gendarmerie comment en 2010 son patron a fait appel à de gros bras pour faire pression sur lui afin qu’il accepte de démissionner. Le patron en question est le plus important concessionnaire automobile de Montpellier ; son groupe est composé de quinze sociétés. Bref, un patron puissant et influent, dit-on. L’employé explique que, avant de commencer l’entretien, son patron lui a présenté les hommes qui l’entouraient comme étant des policiers de la Brigade anti-criminalité (BAC). « Ils travaillent pour moi et enquêtent sur mes employés », aurait alors affirmé le concessionnaire. Pour appuyer ses accusations, l’employé démissionnaire fournit une photo de l’un des deux hommes en compagnie de son patron.
En fait, après sept mois d’enquête, les gros bras se sont révélés être deux gendarmes de la section de recherches (SR) de Montpellier, la crème de la police judiciaire. Le service de gendarmerie qui traite les plus importantes affaires criminelles de la région. Les militaires comme le concessionnaire sont renvoyés devant le tribunal correctionnel de Montpellier, fin octobre. Une affaire sensible qui embarrasse la hiérarchie de la gendarmerie déjà marquée par l’affaire de Mayotte dans laquelle deux pandores sont mis en examen pour « trafic de drogue » et « homicide involontaire » après la mort d’une gamine de 18 ans décédée par overdose d’héroïne. Une drogue qui aurait été mise en circulation par les fonctionnaires, via leur indic.
« Je tremblais et je pleurais »
Cette fois, à Montpellier, il s’agit d’une affaire « d’extorsion de signatures et de détournement de finalité de données ». « J’ai été tellement apeuré. Je tremblais et, presque, je pleurais devant lui. J’ai pleuré par la suite chez moi. J’ai donc accepté de démissionner sous la pression », a expliqué la victime présumée, précisant qu’il n’aurait pas signé sa lettre de démission ce jour-là sans la présence « agressive » des pandores. L’ancien salarié a porté plainte, de même que deux autres employés prétendument démissionnaires. L’un d’entre eux a expliqué avoir aussi subi des pressions de la part des mêmes gendarmes lors d’un entretien avec son patron. « Si vous ne démissionnez pas, je serai le pire de votre cancer », lui aurait dit un des deux pandores en le menaçant de lui casser les jambes.
L’enquête des bœufs-carottes de la gendarmerie a permis de déterminer que 232 personnes avaient été employées chez le concessionnaire et que 96 d’entre elles avaient quitté le groupe, dont cinq sous la contrainte. Il est apparu que douze salariés avaient fait l’objet de recherches dans le fichier Judex, le système judiciaire de documentation de la gendarmerie qui regroupe les auteurs d’infraction interpellés. L’un des deux gendarmes a interrogé sept fois le fameux fichier, dont trois fois avant l’embauche d’un employé par le concessionnaire. D’autres fichiers de gendarmerie auraient également été interrogés par les deux fonctionnaires pour obtenir des renseignements sur l’historique de véhicules apparaissant dans les livres de police des garages. Par ailleurs, selon nos informations, l’enquête sur la téléphonie a permis de montrer qu’il y aurait eu en moins d’un an plus de 1070 contacts téléphoniques entre le concessionnaire et le premier gendarme, 1628 avec le second. La grande fréquence de ces contacts téléphoniques laisse penser que les deux fonctionnaires ont pu être au service du concessionnaire ou travailler pour lui. Mais l’enquête n’a pas permis de déterminer de contrepartie financière pour la prestation des gendarmes, si ce n’est un voyage au Maroc réglé en liquide par l’un des deux.
Élite de la gendarmerie
Le concessionnaire nie les faits. Selon lui, les licenciements se sont déroulés dans la plus stricte légalité. Quant aux deux gendarmes, il résulte des investigations que l’un d’entre eux a accepté de participer à l’entretien de licenciement en connaissance de cause, mais que l’autre semblait l’ignorer. Les deux pandores sont en tout cas partis avant la lettre de démission de ce salarié. En revanche, ils nient leur présence pour les autres démissions et la consultation des fichiers. Un seul fonctionnaire reconnaît avoir consulté les fichiers autos pour vérifier l’origine de certains véhicules.
Joint par Le Point, Luc Abratkiewicz, l’avocat de deux des salariés démissionnaires, s’interroge sur l’étroitesse des relations entre le concessionnaire et les gendarmes. « Cela ne cache-t-il pas d’autres méfaits, d’autres victimes ? Comment l’élite judiciaire de la gendarmerie peut-elle avoir des comportements crapuleux ? » Selon nos informations, un cinquième salarié aurait été victime des deux gros bras. Mais, terrorisé, il n’aurait pas souhaité porter plainte…
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Jean-Michel Décugis & Aziz Zemouri, LePoint.fr, 21 septembre 2012)