[À paraître] La Domination policière, Une violence industrielle, de Mathieu Rigouste

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Mathieu Rigouste présentera La domination policière. Une violence industrielle le mercredi 5 décembre à 19h30 au Lieu-dit (6, rue Sorbier, 75020 Paris – métro Ménilmontant ou Gambetta).


« L’idéologie d’Alain Bauer reste implantée au sommet de l’État »

Introduite sous Sarkozy sur l’impulsion de son conseiller sécurité Alain Bauer, la criminologie vient d’être rejetée du Conseil national des universités. Chercheur en sciences sociales, fervent opposant à cette discipline, Mathieu Rigouste réagit à cette décision.

La décision de promouvoir la criminologie comme une discipline scientifique autonome n’a pas survécu à l’arrivée de la gauche au pouvoir. Chercheur en sciences sociales à l’université de Paris-VIII-Saint-Denis, Mathieu Rigouste, a consacré un livre à Alain Bauer, grand pape de la criminologie.

Réagissant à la décision ministérielle de supprimer la section criminologie du Conseil national des universités (CNU), Mathieu Rigouste livre son point de vue personnel sur l’idéologie sécuritaire qui sous-tend selon lui, la promotion de cette discipline.

Pourquoi selon-vous Alain Bauer tenait-il autant à ce que la criminologie devienne une discipline universitaire autonome ?

L’université est à la fois une formidable plateforme de légitimation pour une bande d’idéologues sécuritaires, c’est une pouponnière de réseaux d’influence et une vitrine commerciale pour faire valoir la reconnaissance de « menaces » rentables pour les marchés de la sécurisation. Même s’il est possible d’y acquérir des connaissances critiques et si toutes sortes de compétences et de résistances s’y croisent et s’y fabriquent, c’est aussi une vaste machine à domestiquer les mentalités. La direction du Conseil national des universités est donc un champ de luttes pour les fractions des classes dominantes. L’institutionnalisation de la criminologie au sein du CNU découlait d’une offensive des fractions sarkozystes pour restructurer la légitimation universitaire. Sa destitution marque la reprise en main du secteur par d’autres fractions (de gauche). Section de criminologie au CNU ou pas, les « études de défense et de sécurité » continuent à fonctionner dans l’université selon les mêmes soubassements idéologiques : former des « cadres de la nation » à la « pensée de défense et de sécurité », c’est-à-dire faire passer les intérêts de l’État et des grandes entreprises pour ceux de « la population » et tenter ainsi de légitimer l’expansion sécuritaire et la collaboration d’une partie des classes populaires à l’asservissement général.

Pourquoi vous opposez-vous à l’élévation de la criminologie en tant que science autonome ?

Je ne m’y oppose pas en particulier, j’essaie de fournir des outils analytiques à celles et ceux qui luttent contre cette société de misères et d’inégalités. Que ce soit une science, qu’elle soit autonome ou pas, ne change d’ailleurs pas grand chose aux intérêts que sert cette « criminologie » dont Bauer et ses collègues se font les promoteurs. L’université est une institution chargée par l’État et les classes dominantes de reproduire les rapports sociaux de domination (de classe, de race et de sexe). Si elle permettait en quoi que ce soit de changer les structures de cette société, « ça ferait longtemps que ce serait interdit » comme disait l’autre. Avec ou sans Bauer, ses amis et leur criminologie, l’université n’est pas faite pour nous permettre de nous émanciper collectivement. Je n’ai étudié Alain Bauer et sa « criminologie » que parce qu’ils sont caractéristiques d’un mouvement de fond. La destitution de cette « criminologie » du CNU ne changera rien au fait que l’université – sa forme de production et de répartition du savoir – participe fortement à la reproduction d’une société pyramidale.

Comment définiriez-vous la « bande à Bauer » que vous décriviez dans votre livre ?

C’est une association d’intérêts entre des marchands et des ingénieurs en idéologie sécuritaire, au service des profiteurs de la peur, comme il en existe d’autres. Une sorte de secte idéologique qui a réussi à se faire confier certaines manettes de la restructuration en cours en cernant bien les intérêts des industries sécuritaires et des « bénéficiaires secondaires du crime » comme écrivait Karl Marx, et en étant particulièrement docile et malléable.

Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, Alain Bauer et ses proches ont-ils perdu leur influence au sommet de l’État ?

De toute évidence, les idées dont ils sont les marchands restent installées à la tête de l’État et de la restructuration impérialiste. Alain Bauer et sa bande ne sont que des incarnations d’intérêts, les vecteurs humains d’un processus général qui se moque totalement d’eux. N’en faisons pas les responsables d’une « dérive » pour dédouaner le système en place comme les fractions de gauche des classes dominantes ont commencé à le faire. Bauer et sa bande ont été assez habiles et volontaristes pour être chargés de mener les réformes mais ils sont complètement interchangeables. Les grandes écoles fabriquent des centaines de marionnettes de ce type chaque année, aptes à légitimer les logiques d’accumulation du profit et de la puissance qui se perpétuent à la tête de l’État impérialiste à travers l’alternance des fractions de gauche et de droite.

À Amiens, dans les destructions de campements de Roms et les expulsions, dans les camps pour étrangers illégaux et dans le système de leur déportation, dans les visites officielles du nouveau chef de l’État à des dictateurs affamés de sécurisation à la française, dans les plans d’intervention inter-impérialiste en Syrie… la technique idéologique dont Alain Bauer est le nom continue d’alimenter la reproduction et l’extension du capitalisme sécuritaire.

Malgré sa proximité avec Manuel Valls, Alain Bauer a démissionné de la plupart des présidences officielles (l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique et la Commission de contrôle des fichiers de police) qui lui avait été attribuées. Comment l’expliquez-vous ?

La conjugaison de ses responsabilités à la tête des appareils idéologiques d’État et de ses activités d’entrepreneur sur le marché de la sécurité a commencé à le mettre en difficulté dès lors qu’elle a été rendue publique. On peut penser sans trop prendre de risque, qu’il continue et continuera plus discrètement à fournir l’État et à marchander ses services avec les gouvernements et les entreprises les plus offrants.

Mathieu Rigouste est l’auteur de La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire aux éditions Libertalia en 2011 et de L’ennemi intérieur : la généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine aux éditions La Découverte en 2009.

Leur presse (David Doucet, LesInrocks.com, 1er septembre 2012)

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