[Nouvelles de l’apocalypse] Le désert d’Amazonie

La déforestation entraîne une réduction des pluies, menaçant l’Amazonie de sécheresses répétées

Les forêts humides ne sont pas seulement des réservoirs de biodiversité et de carbone : elles contribuent aussi largement à alimenter en pluie les régions tropicales. En mêlant des observations satellite à des simulations numériques, des chercheurs britanniques sont parvenus à évaluer cette contribution. Leurs résultats, publiés jeudi 6 septembre dans la revue Nature, prévoient une forte chute des précipitations dans le bassin amazonien si la déforestation s’y poursuit au rythme actuel.

« Pour plus de 60 % des terres tropicales, l’air qui a circulé au-dessus des zones de dense végétation produit au moins deux fois plus de pluies que celui qui a circulé au-dessus de zones clairsemées », écrivent, en conclusion de leurs travaux, Dominick Spracklen (université de Leeds, Royaume-Uni) et ses coauteurs.

« Ces résultats sont importants, même s’ils ne sont pas inattendus, commente Simon Lewis, chercheur au département de géographie de l’université de Leeds, qui n’a pas participé à l’étude. Les forêts tropicales recyclent l’eau de pluie en la remettant dans l’atmosphère : elles participent au transport de l’humidité sur des centaines de kilomètres. Ces travaux montrent, avec soin, que la déforestation à grande échelle à un endroit peut affecter la végétation très loin de là, en réduisant les précipitations. »

SUPERPOSITION D’EFFETS « ARIDIFIANTS »

En 2007, une étude publiée dans Geophysical Research Letters avait déjà suggéré qu’une réduction de 40 % de la superficie de la forêt amazonienne pourrait déclencher un basculement irréversible du climat régional vers des conditions arides.

Dans la même ligne, mais avec d’autres éléments de preuve, les travaux de M. Spracklen indiquent pour leur part qu’une poursuite de la déforestation de l’Amazonie au rythme actuel conduirait sur ce bassin, à l’horizon 2050, à une baisse moyenne de 12 % des précipitations pendant la saison humide, et de 21 % pendant la saison sèche.

Ce déclin projeté est d’autant plus inquiétant qu’il concerne des régions qui « ont déjà une forte probabilité de connaître des sécheresses accrues d’ici à la fin du siècle si la température globale augmente de 3 ºC », écrit Luiz Aragao, chercheur à l’université d’Exeter (Royaume-Uni), dans un commentaire publié par Nature.

Les conséquences de cette superposition d’effets « aridifiants » – déforestation et réchauffement – « pourraient être énormes », poursuit Luiz Aragao. En termes écologiques, mais aussi économiques.

D’abord, ce double effet « aurait un impact sévère sur ce qui resterait de forêt, menant possiblement à des conditions trop sèches pour lui permettre de persister », détaille Simon Lewis. Une spirale de déclin s’enclencherait alors et, même à penser que la déforestation pourrait cesser complètement, le massif forestier serait condamné à long terme.

Ensuite, une réduction importante des précipitations ne menacerait pas uniquement la forêt elle-même, mais également les activités agricoles du bassin amazonien, qui génèrent aujourd’hui environ 15 milliards de dollars par an (environ 12 milliards d’euros) de revenus selon l’Institut géographique et statistique brésilien.

En outre, comme le souligne Luiz Aragao, l’hydroélectricité amazonienne, couvre environ 65 % des besoins électriques du pays. Or l’efficacité des barrages hydroélectriques est liée au débit des fleuves, donc partiellement aux précipitations.

« SÉCHERESSE DU SIÈCLE » EN 2005… PUIS EN 2010

Cependant, les travaux menés par M. Spracklen ne sont pas une étude dite « d’attribution » : ils n’évaluent pas les poids relatifs de la variabilité naturelle du climat, du réchauffement en cours et de la déforestation dans les derniers grands épisodes secs qui ont tout récemment frappé la zone.

En 2005, une première grande sécheresse avait été qualifiée de « sécheresse du siècle », avant d’être détrônée, seulement cinq ans plus tard, par un épisode plus sévère encore.

L’analyse de ces deux phénomènes exceptionnels, conduite par Simon Lewis et publiée en février 2011 dans la revue Science, avait montré qu’en cas de récidive de tels événements la forêt amazonienne pourrait ne plus jouer son rôle d’éponge à dioxyde de carbone (CO2) – elle absorbe et stocke plus d’un milliard de tonnes de CO2 chaque année –, mais qu’elle pourrait, au contraire, devenir émettrice de gaz à effet de serre.

Une dangereuse volte-face, qui perturberait le cycle du carbone mais aussi… les mécanismes économiques internationaux de compensation-carbone fondés sur le rôle de régulateur climatique de la forêt pluviale.

L’étude publiée est en tout cas, estime M. Lewis, « une raison supplémentaire pour utiliser les terres déjà défrichées de manière plus efficace et arrêter de convertir la forêt pluviale en terres agricoles ».

Leur presse (Stéphane Foucart, LeMonde.fr, 6 septembre 2012)

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