[Chronique de Youv derrière les barreaux] Partie 48 – « Mon voisin de cellule venait de se pendre »

Partie 48

Huit ans à l’ombre, les barreaux je rêvais de les scier avec les dents trop de fois j’ai rêvé et pensé à l’évasion et le destin qu’ils m’avaient imposé, j’étais là figé comme une statue, le temps passait les gens évoluaient et moi rien aucun changement j’étais condamné à l’inertie, les petits sont devenus des hommes, les hommes sont morts ou incarcérés, les petites étaient devenues des femmes, les femmes étaient devenues des mères, dur de voir prendre de l’âge sans aucune perspective d’évolution, c’est là que tes proches ceux qui t’aiment rentrent en jeu, quand t’as le moral en mode zéro ils te le remontent puissance dix, pendant mes six jours au mitard et à l’isolement ma famille, Delphine leur présence m’était indispensable sans eux je ne sais pas si j’aurais été celui que je suis aujourd’hui, les poteaux de circonstance étaient là que quand tout allait bien, et plus les années s’écoulaient et plus ils s’évaporaient, je ne crois plus en l’illicite, trop de pertes pour des miettes à l’arrivée, pour monter des opérations dignes de Heat pour tout claquer dans la night parisienne ou pour embellir ou entretenir la micheto qui t’a montré ses dessous en dentelle, je suis loin d’être parfait mais j’ai le mérite de reconnaître mes torts, je me remets en question chaque jour ma force c’est mes proches c’est mon souffle sans eux j’étouffe.

Une nuit alors que j’étais au mitard, je fus réveillé par une dizaine de bruits de pas, ça courait dans tous les sens, le talkie-walkie retransmettait en direct les discussions des matons, mon voisin de cellule venait de se pendre, d’un jeu d’une alerte il voulait juste attirer l’attention sur lui et il en est mort sur le coup, mourir derrière les barreaux c’était la pire des choses qui pouvait t’arriver en taule, il y a eu une rumeur qui disait que c’était les matons qui l’avaient pendu, on ne saura jamais la vérité tout était possible, les prisons avaient un quota de mortalité par an au-dessus de ce quota une enquête était lancée.

Un jour j’ai laissé mon œilleton bouché, le maton qui faisait la ronde m’a dit : « L’abruti tu vas déboucher l’œilleton » pour la peine j’ai rien débouché, je l’ai insulté il est parti se plaindre au chef et sont revenus en force ils ont ouvert la cellule, ils m’ont aspergé de bombe lacrymogène et m’ont mis les menottes et m’ont traîné jusqu’au mitard en caleçon, j’ai cru qu’ils allaient me canner, il n’y avait aucun témoin que les matons et moi, tout pouvait arriver si tu n’avais pas de famille à l’extérieur ils te faisaient la misère totale, tu savais quand tu étais tombé mais pas quand tu allais sortir encore moins dans quel état physique ou psychologique tu allais en sortir, la prison laissait des traces, rares ceux [qui] en sortaient indemnes, combien se sont suicidés à quelques jours de leur sortie, après de trop longues années passées en prison tu perdais tous tes repères la prison te détruit totalement, j’ai même des potes qui ont fini en HP devenus paranos ou schizophrènes y avait pas de recette pour encaisser, c’était au cas par cas, fallait puiser sa force dans sa vie personnelle, on n’était pas tous logés à la même enseigne.

MÊME LA FOLIE AVAIT SES RAISONS.

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