Partie 36
Hiver 2005, 14 h 30 on descend par étage en promenade, on se regroupe une quarantaine sous le porche et on décide de bloquer la prison pour protester contre le manque de choix dans les cantines (achats divers), on décide de ne pas remonter en cellule, c’est dans ces moments-là qu’on voyait qui étaient les vraies trompettes, au premier appel au haut-parleur le groupe s’est fendu en deux, les peureux sont remontés, on était plus que vingt, je n’étais pas l’instigateur de ce mouvement mais par solidarité j’étais présent jusqu’au bout, il ne restait plus que les indomptables, on savait même plus pourquoi on bloquait mais le mouvement était parti donc fallait assumer, même si pour la plupart on venait de villes et de quartiers différents, on devait rester groupés et soudés et solidaires, le directeur de l’établissement accompagné de deux imitations GIGN rentrent en piste pour recueillir nos réclamations, les débutants qui ne connaissaient pas la taule acceptèrent de débattre et de communiquer avec eux, comme si ils allaient exaucer leurs souhaits, moi et ceux qui avaient de l’expérience nous sommes restés en retrait, aucun dialogue était possible avec eux on avait rédigé un courrier anonyme expliquant toutes nos réclamations, on l’avait glissé sous la porte donc ils savaient tout de notre demande, ils étaient juste venus voir qui étaient les meneurs de cette mutinerie, quatre heures de rab en promenade la nuit était tombée on ne voulait toujours pas remonter donc les bleus ont décidé de nous charger, cent matons, cagoulés, matraque et bombe lacrymogène à la main font irruption dans la promenade, on était plus que vingt on s’est fait plier puis nous ont remontés de force en cellule, le lendemain à 7 heures du matin, le directeur nous reçoit un par un pour nous questionner et demander nos motivations, moi je parle pas je dis juste que ma solidarité envers mes potes m’a empêché de remonter, et ceux qui ont raconté leur vie du style « Ouais on veut plus de boîtes de petits pois ou des plus grands paquets de chips » wallah des barres, ils ont transpiré direct, ils les ont transférés direct pour aller manger leurs petits pois et leurs chips à Fleury MDR, la solidarité en taule existait sous plusieurs formes, y a des mecs qui bougent pour toi par intérêt et quand ça va trop loin ils se chient dessus du coup tu les démasques direct, y a des vrais poteaux avec qui tu marches pas forcément mais quand ça part en couille ils étaient toujours prêts à mouiller le maillot pour toi.
1999, on était pour ne pas changer en promenade à Bois-d’Arcy, on marchait par groupes de trois à quatre issus de Mantes-la-Jolie, on s’entendait tous bien, les affinités à l’époque se faisaient par quartier, je m’en rappelle y avait un mec de Mantes qui faisait partie d’aucun groupe, il marchait toujours tout seul c’était un bon pote à nous mais il préférait rester seul donc on respectait son désir de faire sa peine seul. Un jour une équipe venant d’un autre département, arrive dans notre cour de promenade, après plusieurs mois ils ont cru que le mec de Mantes qui marchait seul avait pas d’ami du coup ils ont essayé de le tester ça leur a fait tout drôle on est sortis de tous les côtés pour leur mettre une fessée mémorable IL FAUT SE MÉFIER DE L’EAU QUI DORT SINON TU RISQUES DE DORMIR DANS L’EAU.
Il faut se méfier de tout le monde, même le mec que tu crois seul et vulnérable peut cacher une armée de hyènes, en prison tu marchais pas forcément avec tes vrais proches et quand fallait prouver que c’était tes potes tu étais prêt à sauter les murs de quatre promenades pour lui donner un coup de pouce pour piétiner les fausses caillera, j’aime trop cette solidarité qui s’arrête au portail de la prison des fois je déclenchais de grosses bagarres pour tester la fiabilité des soi-disant poteaux, fallait être sûr du mec avec qui tu t’affichais, des fois tu pouvais faire de drôles de découvertes quand tu apprenais que le mec avec qui tu marches depuis des mois en promenade, était un gros pointeur, y avait plusieurs affaires, une de stupéfiants, et une cachée de viol, naturellement, il déclarait que son histoire de stupéfiants, tu tombes de haut quand tu apprends de telles salades, tu repenses à toutes les infos et à tous les tuyaux que tu lui avais donné et de la manière que les matons avaient trouvé ton téléphone, lui seul connaissait toutes tes planques donc fallait même se méfier des soi-disant youv ils pouvaient cacher le traître des traîtres, les plus grosses poucaves en prison étaient pas le pauvre type perdu cachetonné mais celui qui faisait le fanfaron en promenade, tout le monde était au courant de ses trafics, mais comme par hasard il passait toujours entre les mailles du filet quand les matons faisaient leur descente.
QUE DIEU ME PRÉSERVE DE MES AMIS, MES ENNEMIS JE M’EN CHARGE.