Flambée de violence dans une usine Maruti Suzuki de New Delhi
Des heurts d’une rare violence ont éclaté entre des ouvriers et leur personnel d’encadrement dans une usine indienne du constructeur automobile Maruti Suzuki, près de New Delhi, blessant près d’une centaine de manageurs et provoquant la mort du responsable des ressources humaines. Son corps a été retrouvé calciné, dans la nuit de mercredi 18 à jeudi 19 juillet, après qu’une partie de l’usine a été ravagée par les flammes. Dans la foulée, 91 ouvriers soupçonnés de meurtre ou de pillage ont été arrêtés par la police.
Les incidents auraient démarré mercredi matin par une altercation entre un ouvrier et son contremaître. Ce dernier l’aurait maltraité et insulté sa caste – les intouchables – à en croire le syndicat. Un autre ouvrier aurait réagi en le frappant au visage, ce qui lui aurait valu sa suspension immédiate. Des collègues en colère auraient ensuite fermé les portes de l’usine, saccagé les bureaux et battu à coups de barre de fer les manageurs.
Cette flambée de violence met en lumière un aspect moins connu du développement rapide de l’industrie automobile en Inde : les conditions de travail y sont difficiles et le dialogue social tendu. À l’usine de Manesar, où les incidents se sont produits, les ouvriers travaillent huit à douze heures par jour, six jours par semaine. « Pendant notre pause-déjeuner de trente minutes, on a juste le temps de faire la queue à la cantine située à 500 mètres de l’usine, et de manger sur le chemin du retour, et on n’a droit qu’à deux autres pauses de sept minutes et demie chacune », explique l’un d’entre eux qui préfère rester anonyme.
Si tous les employés sont soumis au même rythme de travail et assurent les mêmes tâches, tous ne bénéficient pas du même statut. Plus de la moitié des effectifs de l’usine de Manesar sont intérimaires. Un ouvrier employé par Maruti Suzuki touche un salaire fixe mensuel de 150 euros (10’000 roupies indiennes) auquel s’ajoutent des primes allant jusqu’à 120 euros. Un intérimaire ne perçoit que la moitié de ces revenus, même après des années d’expérience.
Les entreprises indiennes recourent à l’intérim pour contourner un code du travail jugé trop rigide. Par exemple, une usine de plus de 100 employés ne peut pas licencier sans l’autorisation du gouvernement. Les industriels ne font pas que sous-traiter le recrutement de leur personnel à des tiers. Ils leur délèguent surtout la gestion délicate de la relation avec les inspecteurs du travail. Cette tâche est devenue un métier à part entière, complexe et risqué, étant donné les réglementations souvent ambiguës.
« LES INÉGALITÉS SE CREUSENT »
Les ouvriers de l’usine de Manesar avaient déjà réclamé l’intégration des intérimaires lors de trois grèves qu’ils avaient déclenchées l’année dernière. « La tension augmentait ces derniers mois car le management n’avait pas tenu toutes ses promesses », estime Satyam Varna, de l’organisation Bigul Mazdoor Dasta, basée à Delhi, qui défend les droits des ouvriers.
L’augmentation des salaires faisait aussi partie des revendications. L’inflation a atteint les 10 % cette année et frappe les plus bas revenus. Or, les ouvriers de Manesar vivent entre New Delhi, où la classe moyenne éduquée tire profit de la croissance, et des villages, dont certains habitants sont devenus millionnaires en vendant leurs terres à des promoteurs immobiliers ou des industriels. « Les inégalités se creusent, il faut s’attendre à une recrudescence des conflits sociaux », estime R. Jagannathan, le rédacteur en chef du site d’information Firstpost.com.
Le problème de la représentativité des syndicats ne favorise pas le dialogue social. En Inde, les ouvriers sont méfiants vis-à-vis des leaders syndicaux, soupçonnés de corruption et de collusion avec le management, mais aussi vis-à-vis des grandes centrales syndicales affiliées à des partis politiques.
Avec 95 % de la population active indienne qui travaille dans le secteur informel, et ne bénéficie donc pas de protection sociale ni de retraite, une grande réforme du travail s’impose dans le pays, comme l’a reconnu en février le premier ministre indien, Manmohan Singh. Mais le gouvernement hésite à présenter un projet de loi devant le Parlement, par crainte de perdre des alliés au sein de la coalition au pouvoir.
Vendredi matin, l’usine de Maruti Suzuki, qui assemble 550’000 véhicules par an, était toujours à l’arrêt. Cette dernière assurant près de 15 % de la production de voitures du pays, la Société des constructeurs automobiles indiens a aussitôt revu à la baisse les prévisions de croissance du secteur pour l’année 2011-2012. La tragédie de Manesar ne va pas encourager les investissements étrangers, à l’heure où l’Inde, dont le rythme de croissance a ralenti à 5,3 % au premier trimestre, cherche à les attirer pour développer son industrie.
Presse esclavagiste (Julien Bouissou à New Delhi, LeMonde.fr, 20 juillet 2012)
Maruti Suzuki ne sait pas quand il rouvrira
L’action Maruti Suzuki est en net recul lundi à la Bourse de New Delhi après l’annonce par le constructeur automobile indien qu’aucune date n’avait été fixée pour la réouverture d’une usine partiellement détruite au cours d’une émeute meutrière.
Une manifestation des employés contre la direction de l’entreprise a dégénéré la semaine dernière, faisant un mort et des dizaines de blessés, et l’incendie de plusieurs bâtiments a entraîné la fermeture de l’usine qui produit 550.000 véhicules par an, en particulier la Swift, le modèle le plus vendu.
L’action Maruti Suzuki perdait 5,9% à 6h25 GMT, et celles de la société mère, Suzuki Motor ont terminé en baisse de 3,94% à la Bourse de Tokyo.
Le président de Maruti, R.C. Bhagarva, a prévenu que la société ne serait pas en mesure d’importer des véhicules ou de déplacer la production vers d’autres usines, et que l’usine, déjà affectée par des grèves l’an dernier, ne pourrait pas rouvrir tant que Maruti aurait le sentiment que « la vie de ses employés est menacée ».
Presse dégénérée (Reuters, 23 juillet 2012)
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