Notice
« Les Noirs veulent plus que les Blancs : voilà le cœur d’un problème insoluble, ou soluble seulement avec la dissolution de cette société blanche. Aussi les Blancs qui veulent sortir de leur propre esclavage doivent rallier d’abord la révolte noire, non comme affirmation de couleur évidemment, mais comme refus universel de la marchandise, et finalement de l’État. Le décalage économique et psychologique des Noirs par rapport aux Blancs leur permet de voir ce qu’est le consommateur blanc, et le juste mépris qu’ils ont du Blanc devient mépris de tout consommateur passif. Les Blancs qui, eux aussi, rejettent ce rôle n’ont de chance qu’en unifiant toujours plus leur lutte à celle des Noirs, en en trouvant eux-mêmes et en en soutenant jusqu’au bout les raisons cohérentes. »
Guy Debord, Le Déclin et la Chute de l’économie spectaculaire-marchande (brochure de 1966 sur les émeutes de Los Angeles de 1965)
Incontestablement, l’année 2011 marquera à jamais dans l’histoire du monde la date phare du grand réveil des pauvres et des opprimés, partout galvanisés par cette première victoire que fut la chute soudaine du clan mafieux-policier qui vampirisait ouvertement la Tunisie. Ce que le spectacle a fallacieusement qualifié de « printemps arabe », pour pouvoir mieux le circonscrire dans le temps et dans l’espace, n’en est pas moins un simple épisode d’une révolte globale, commencée en 2005, « année du Dragon » prolétarien en France et en Chine, poursuivie notamment par les luttes de masse des migrants clandestins d’Europe et d’Amérique, ainsi que par une vague planétaire d’émeutes de la faim, et qui dès 2011 atteignait, entre autres pays « arabes », le Burkina Faso, le Sénégal, l’Espagne, le Sin-Kiang, et parvenait même à porter le feu au plus près du Saint des saints de la Phynance mondialisée, quand les insurgés de Hackney et de Tottenham anéantirent à jamais le flegme proverbial des spéculateurs anthropophages de la City de Londres. Ainsi, de la France de 2005 à l’Angleterre de 2011, c’est le cœur même de la vieille Europe impériale — de cette soi-disant « civilisation » raffinée qui serait mère de la démocratie, de la liberté, des droits de l’homme, quand elle n’est que barbarie fondée sur la conquête brutale, l’esclavage, le despotisme — qui se voit menacé par la montée de la violence révolutionnaire, elle-même produit de la montée de la violence économique et sociale du système.
Pour étouffer cette menace si terrible et si proche, le spectacle doit donc d’abord en fabriquer l’image négative, la représentation-repoussoir devant générer la peur et la haine de la « majorité » du « peuple » — c’est-à-dire en fait des petits propriétaires croyant avoir encore quelque privilège à perdre, les malheureux ! On a ainsi mis en avant, alors que la figure de l’Arabe terroriste commençait déjà à se dissoudre, rongée par l’expression sourde du doute et du mépris, une image nouvelle, née plus ou moins spontanément des tréfonds négriers du système capitaliste : le voyou noir à capuche, archétype du sauvage moderne, de cet autre inquiétant, sans foi ni loi, sans nom, sans visage même, avide de toute cette misérable pacotille qu’on lui fait miroiter, incapable de s’exprimer autrement que dans un sabir maladroit, dont on se moque, objet aussi de savantes controverses juridico-théologiques (dernières en date : est-il licite de l’emprisonner pendant des années sur simple dénonciation anonyme ? 2010-2011, cas des frères Kamara de Villiers-le-Bel — et de l’abattre sans motif ? 2012, cas de Trayvon Martin, en Floride) — et qui pour comble, s’est infiltré aujourd’hui dans toutes les capitales du Vieux Monde, pour y troubler la décence commune sinon l’ordre public. Que faire ? Voici résumée la vision bourgeoise du monde, à laquelle adhère encore une importante minorité des populations d’Europe, et que de très actifs militants, à la base comme au sommet, s’emploient à défendre — contre vents émeutiers et marées insurrectionnelles, perçus comme autant de sombres présages de la barbarie qui vient, et qui en réalité sont les flammes qui doivent dévorer toutes les tristes ruines de la barbarie qui s’en va.
Mais n’y a-t-il pas, tout de même, au moins une part de cruelle vérité dans ce dangereux et ténébreux personnage, aussi caricatural soit-il ?, se plaît-on à rétorquer aussitôt, et d’évoquer telle ou telle scène hideuse et tragique, tout en sachant pertinemment qu’elle n’est qu’une représentation partielle de la réalité : ainsi en France, ce très médiatisé « gang des barbares » dirigé par une indéniable brute à la peau noire, dont la monstrueuse bêtise est bien attestée par son inébranlable conviction de pouvoir s’enrichir en s’en prenant au premier juif venu (alors que nul n’est censé ignorer que les Français de souche blanche et catholique ont eux-mêmes dû renoncer, il y a deux tiers de siècle, à cette tradition héritée de leur Moyen Âge), et qui permettait à un crevard d’écrivain, fier auteur d’un gros livre prétendant reconstituer ce sordide fait divers [Morgan Sportès, Tout tout de suite, paru en août 2011 aux éditions Fayard], de faire sa tournée de promotion en travestissant son monstre de foire en quasi-porte-parole des émeutiers d’Angleterre [Ainsi dans un entretien donné à l’AFP en août 2011, repris par divers titres de presse : « Ces gosses n’ont aucune empathie. Ils sont tous soudés par l’obsession morbide du “tout, tout de suite” […] “Tout, tout de suite”, [c’est aussi] ce qui motive les spéculateurs financiers et les jeunes émeutiers anglais. Au vu de cela, mon livre est d’une brûlante et terrifiante actualité… »].
Eh bien, oui ! Ces noirs barbares, ces sauvages modernes existent, et menacent en effet l’ensemble des « principes » et des « valeurs » de ceux qui hier s’imaginaient invincibles conquérants « civilisateurs » du monde, et aujourd’hui s’imaginent dernier carré des défenseurs du monde « civilisé » — cet ensemble de « principes » et de « valeurs » qui n’est rien d’autre que le mensonge permanent qui couvre l’irrépressible sauvagerie qui réside au cœur du monde capitaliste. Qui peut s’étonner qu’un système barbare produise des barbares ? La vérité, c’est que ce système ne produit que des barbares ; et pour qui se prennent-ils ? Est-ce l’autoproclamé « gang des barbares » qui en France s’est enrichi sur la peau des juifs, ou ne serait-ce pas plutôt la respectée famille Schueller-Bettencourt ? Qui est vraiment le cannibale de qui ? Les pauvres, ou les riches ?
C’est, certes, une vérité cruelle, qu’en France comme en Angleterre, des hommes encore qualifiés de barbares ou de sauvages, et massivement destinés, comme chacun sait, aux corvées les plus pénibles, soient dès leur plus jeune âge oubliés, méprisés, soupçonnés, contrôlés, insultés, humiliés, et dès lors qu’ils osent se révolter, matraqués, enchaînés, enfermés, parfois impunément assassinés. Et si l’un de ces révoltés tente malgré tout de prendre la parole, pour expliquer lui-même — sans sociologue ni journaliste pour lui tenir la main — le sens de sa révolte, il sera bâillonné.
Preuve en est, irréfutable, cette Chronique de Youv derrière les barreaux, dont nous entamons ici la republication — avec l’autorisation de son auteur — en une série de brochures (l’œuvre étant encore en cours de rédaction) : ces « chroniques » se présentent en effet comme autant de clandestines bouteilles à la mer jetées par un de ces naufragés de la société, échoué depuis de longues années entre les quatre murs d’une cellule de neuf mètres carrés (pour deux, la norme), originellement publiées sur un compte Facebook du même nom, en flagrante infraction de tous les règlements carcéraux, puisque librement postées sur le réseau grâce à un de ces satanés téléphones hi-tech qui entrent désormais en prison presque aussi facilement que les savonnettes de haschisch. C’est donc probablement sur demande expresse de l’Administration Pénitentiaire que les gestionnaires de Facebook ont censuré les soixante-treize premières chroniques, en fermant tout simplement le compte, trois mois après sa création. Quelques internautes partisans de la liberté d’expression ayant été, comme c’est heureusement l’habitude, plus rapides que les censeurs, ont pu sauver cette première série de chroniques de l’autodafé — lui aussi hi-tech — tranquillement ordonné par l’État français : qu’ils en soient tous ici chaudement remerciés (spéciale dédicace au site val-fourre.com des pionniers d’Express D, que connaissent déjà tous les amateurs de rap digne de ce nom). N’ayant nous-mêmes aucune confiance en l’avenir immédiat de la liberté d’expression sur Internet (car il est clair maintenant que les ennemis de la révolution s’apprêtent à commettre, en toute légalité, un autodafé multimédia à l’échelle planétaire du réseau), nous nous sommes dit qu’il fallait au plus vite mettre à l’abri de ces aléas bureaucratico-technologiques un témoignage aussi important pour la juste compréhension de la révolte radicale de ces présumés « nouveaux barbares » qui font suer de peur, de haine et de mépris tous les bourgeois d’Europe, en en établissant une édition correcte [Nous avons donc, pour la commodité de la lecture, corrigé les « fautes » dites « d’orthographe et de grammaire » commises par l’auteur, la graphie du texte original ayant été assez malmenée par l’incompétence unanimement dénoncée de l’Éducation dite scandaleusement « prioritaire », et bien sûr par les conditions d’oppression qui ont présidé à sa rédaction et à sa publication clandestine. (Inutile de citer aucun de tous ces faiseurs de phrases et de livres inutiles, qui n’ont pas tant de bonnes excuses, et qui ne font guère mieux, comme le savent toutes les miséreuses qu’ils exploitent à la tâche à domicile au salaire minimum — comme les petites couturières d’antan — dans leurs services de correction.) Hormis ces détails, nous ne nous sommes permis aucune modification — tout le monde peut d’ailleurs aller vérifier en quoi consiste notre travail en comparant notre édition au texte original disponible sur Internet.], imprimable par tout un chacun pour être diffusée sur support papier, durabilité maximale, cent pour cent garanti contre leurs coupures d’électricité. Pour réussir ce qu’ils veulent, il faudra donc bien qu’ils se remettent à brûler des livres, et qu’ils achèvent ainsi de montrer ce qu’ils sont en réalité.
Comme le titre déjà l’indique, l’auteur — qui doit évidemment rester anonyme, sous peine de mitard et autres tortures ou sanctions administratives — ne se prétend pas innocent des faits pour lesquels il a été condamné, et en assume aussi bien la violence que les désastreuses conséquences pour lui-même et ses proches. Âmes sensibles s’abstenir ! Ce qui suit n’est pas un récit de fiction (quoique ces chroniques pourraient fournir à notre avis la base d’un scénario de film à la hauteur de ce qui se fait de mieux aux États-Unis), mais la dure réalité : celle d’un jeune pauvre de cité — l’énorme Val-Fourré, véritable chaudron du négatif qui bout depuis plus de vingt ans dans la lointaine banlieue ouest de Paris — qui n’était pas d’accord pour se contenter de ce qui lui était permis, pas grand-chose, et qui après avoir légitimement protesté à coups de cocktails Molotov dans la sale face des flics — première incarcération —, n’a plus vu d’autre solution que de prendre les armes pour espérer pouvoir un jour se bâtir le palais de ses rêves, pour y mener sa belle et y vivre l’amour. Un tel objectif peut sans aucun doute être critiqué, et surtout pour l’image de la femme qu’il véhicule, vraiment trop désuète à notre opinion ; mais qui voudrait le mépriser pour cette raison ou pour une autre, au point de faire comme s’il n’existait pas, ne prouverait que sa complicité objective avec la censure carcérale — un domaine où s’ouvrent d’intéressantes perspectives d’emploi, depuis que s’infiltrent partout ces satanés téléphones…
La toute première de ces chroniques a été publiée sur Facebook le 16 août 2011 ; ce n’est sûrement pas une coïncidence si ce jour-là, la vieille Angleterre contemplait scandalisée les ruines et les cendres de tout son décorum de bonheur et d’abondance, explosé par une semaine d’unité d’action de la même jeunesse rebelle, et ressortait ses vieilles griffes et ses vieux crocs sous l’aspect d’une ignoble chasse aux pauvres, au faciès, qui devait en expédier des milliers en prison, pour leur apprendre le respect de Dieu qui sauve la Reine. La voix de notre chroniqueur apparaît ainsi comme la réplique immédiate et durable, et d’autant plus cinglante que même le régime carcéral reconnu le plus dur d’Europe se montre incapable de l’étouffer, aux criailleries médiatiques de l’habituelle basse-cour d’experts et de spécialistes mobilisée pour expliquer que puisqu’on n’entend pas parler cette jeunesse rebelle, c’est donc qu’elle ne sait pas parler, et donc qu’il faut parler à sa place, pour conclure que décidément, tout prouve que ces barbares sont des barbares. La bonne société civilisée devait par conséquent faire taire cette voix qu’on n’entend pas, pour qu’on ne l’entende plus : ce qui fut tenté le 24 novembre 2011. Le soir même était publiée une soixante-quatorzième chronique, sur un autre compte Facebook (« Chronique de Youv derrière les barreaux n° 2 ») toujours actif à ce jour, démontrant une fois de plus que le système est incapable de maîtriser certaines conséquences imprévues de son propre « développement » — technologique, mais surtout social : car il y a bien quelqu’un à l’autre bout de ce satané téléphone. Répétons que ce récit n’a rien de fictif : au contraire, il prouve à quel point ce qui est vraiment fictif, c’est la merveilleuse vitrine de ce monde en toc, que les révolutionnaires s’emploient partout à fracasser. À bas la société spectaculaire-marchande ! [Slogan du Conseil pour le Maintien des Occupations, en Mai 68]
Il nous faut enfin préciser, à l’attention des arriérés à qui cela pourrait gâcher le plaisir de la lecture, que le héros de ces chroniques est noir, et musulman. Ces deux maladies honteuses, dont la seconde présente assurément un meilleur pronostic que la première, n’ont pourtant ici qu’une seule origine : leur porteur est né avec il y a moins de trente ans en Mauritanie, juste après que cette « République islamique » prétendue « indépendante », devenue pilier de la pseudo-« lutte antiterroriste » dans le Sahara, eut été le dernier pays au monde à abolir l’esclavage, en 1981. Il est vrai que l’on attend toujours la parution du décret d’application de cette loi d’abolition ; mais il reste que nul n’est censé ignorer la loi : tout le monde sur cette planète peut et doit exercer son droit inaliénable à la dignité d’homme libre. L’auteur de cette Chronique de Youv derrière les barreaux l’aura au moins tenté, lui.
Juillet 2012
Éditions Antisociales
Suffit pas de lire les aventures de ce youv, il faut aussi et avant tout soutenir (et donc signer) puis diffuser la pétition qui suit : http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=Ismalia
Simple question de solidarité !