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Un village marocain rebelle cadenassé et pillé par les forces de l’ordre

Depuis près d’une semaine, le village de Chilhat au nord du Maroc, où s’est installée une entreprise rizicole espagnole avec l’aval du gouvernement, est sous haute tension. Les centaines d’habitants, qui se disent floués par l’entreprise, ont tenté de faire entendre leur voix mais se sont heurtés à une répression féroce.

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Capture d'écran d'une vidéo montrant des manifestants à Chlihat aspergés par un canon à eau

L’entreprise espagnole Rivera del Arroz loue depuis 2007 à l’État marocain une terre agricole de près de 4000 hectares, entourée d’une ceinture de hameaux pauvres, parmi lesquels le village de Chlihat. Jeudi, dans la matinée, les paysans de ce village de 400 habitants sont descendus dans un champ cultivé depuis mi-mai par l’entreprise pour empêcher les tracteurs de labourer la terre, celle-ci étant exploitée, selon eux, au mépris d’un accord avec la communauté locale. Les habitants affirment en effet que, la production intensive de riz provoquant une prolifération de moustiques, ils avaient obtenu de l’entreprise qu’elle épargne cette parcelle voisine de leur hameau. Une parcelle qu’ils souhaitent par ailleurs réserver aux élevages du village.

Sur cette vidéo postée le 15 juillet 2012, plusieurs habitants de Chlihat témoignent après la répression de la manifestation de jeudi.

À 0’32 : « Nous sommes actuellement encerclés. Nous ne pouvons aller nulle part, pas même au marché. Ils débarquent dans nos maisons en forçant les portes, parfois à 2 h, 3 h, ou 4 h du matin. Personne ne peut sortir, même les malades ne peuvent quitter le village pour se faire soigner. »

À 2’58 : « Les institutions de l’État devraient préserver la dignité des citoyens mais aussi leur sécurité. Il se trouve qu’au lieu de cela, leur souci est de servir cette entreprise qui porte atteinte à nos droits. »

Rapidement, des affrontements ont éclaté entre les forces de l’ordre, déployées sur place pour sécuriser le travail de l’entreprise, et les habitants. Selon le ministère de l’Intérieur, les manifestants auraient jeté des pierres en direction des forces de l’ordre, causant plusieurs dizaines de blessés, et auraient tenté de bloquer la circulation sur une route nationale. Les manifestants expliquent quant à eux que les forces de l’ordre, estimées à 1500 hommes, ont usé démesurément de la force, utilisant canons à eau et balles en caoutchouc. L’Association marocaine des droits humains (AMDH), dont des militants se trouvent sur place, fait état d’une centaine de blessées. Elle ajoute par ailleurs que ces derniers jours des policiers ont pénétré de force dans les habitations des villageois et que des commerces ont été saccagés.

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Des douilles de balles en caoutchouc. Les protestataires affirment qu'elles sont périmées (photo envoyée par Saïd Kharraje mardi 19 juin).

Le conflit entre l’entreprise et les paysans n’est pas nouveau. Outre la question de la parcelle qui devait être épargnée par l’entreprise, les paysans affirment avoir obtenu de l’exploitant, lors de négociations effectuées en 2009, la promesse d’embaucher 500 paysans. Pour autant « seulement 12 personnes ont été engagées par l’entreprise, la production de riz étant presque entièrement mécanisée », indique un militant local de l’AMDH.

Vingt-cinq personnes auraient été arrêtées depuis le début du mouvement, toujours selon l’AMDH, parmi lesquels des journalistes et des militants des droits de l’homme. Seize sont toujours en détention. Mercredi, la situation restait très tendue dans le village.

Nous avons tenté de contacter l’entreprise espagnole Rivera del Arroz à plusieurs reprises, mais celle-ci n’a, pour l’heure, pas répondu.

« Le jour de la manifestation, les forces de l’ordre ont tué une vache et brûlé des moissons appartenant à des villageois »

Saïd Kharraz est membre de la section locale de l’Association marocaine des droits humains. Il a effectué des visites de terrain entre jeudi et dimanche et recueilli plusieurs témoignages.

Après la répression de la manifestation de jeudi, il y avait des dizaines de blessés, dont certains dans un état grave. Beaucoup n’ont pas pu être évacués à l’hôpital car les forces de l’ordre encerclant une zone de plusieurs hameaux, ils avaient peur de se faire arrêter. Certains manifestants, dont beaucoup souffraient de fractures, ont tout de même réussi à se réfugier dans des villages voisins où ils ont reçu des soins rudimentaires. Ce jour-là, les forces de l’ordre ont tué une vache et brûlé des moissons appartenant à des villageois. Mais le pire était encore à venir.

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Les villageois se disent flloués par l'entreprise Rivera del Arroz (photo envoyée par Saïd Kharraje mardi 19 juin)

Samedi, vers neuf heures du matin, des policiers sont entrés de force dans des maisons, ont trainé les résidents dans la rue, puis les ont rassemblés sur une place et aspergés avec des canons à eau. Pendant ce temps, d’autres policiers se sont livrés à une véritable razzia sur le village où des objets précieux ont été dérobés, dont des bijoux, mais aussi de la nourriture et des fours (traditionnels) ont été détruits.

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Un jeune de Chlihat montrant sa blessure au niveau de l'épaule (photo envoyée par Saïd Kharraje mardi 19 juin)

« Les jeunes se sont réfugiés dans la forêt et les hameaux environnants pour échapper aux arrestations. »

Nous avons comptabilisé une centaine de blessés, dont un enfant qui a eu l’œil crevé. Deux étudiants ont également rapporté à leurs parents avoir été torturés dans un centre de la gendarmerie afin qu’ils fournissent des informations sur Arriahi Ayachi, un camarade militant des droits de l’homme détenu pour incitation à la désobéissance civile. [Nous avons essayé de recueillir la version des autorités locales mais elles n’ont, pour l’heure, pas répondu.]

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Un jeune blessé à la tête (photo envoyée par Saïd Kharraje mardi 19 juin)

Ces derniers jours, Chlihat ressemble à un village fantôme. Les jeunes se sont réfugiés dans la forêt et les hameaux environnants pour échapper aux arrestations. Les femmes et les personnes âgées qui sont restés refusent de s’adresser aux militants ou à la presse, par crainte de représailles.

« Les choses ont dégénéré après qu’un tracteur a renversé une veille dame qui manifestait »

Jamel (pseudonyme) est un jeune chômeur habitant à Chlihat. Depuis le début des troubles, il se cache, en compagnie d’autres jeunes, dans une forêt proche du village pour échapper aux arrestations.

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Des femmes du village, dont une a été blessée à la jambe par une balle en caoutchouc, témoignent : 17 juin 2012. À 1’38 : « Hier, ils nous ont poursuivi avec des canons à eau jusque dans nos maisons (…). Comme ils nous ont menacé, nous avons passé la nuit dans la forêt (…) Ils rentrent de force dans nos maisons, nous bousculent et bousculent nos enfants. Sans parler des insultes. »

Nous n’avons rien fait de mal. Nos seules « armes » étaient des banderoles et de slogans. Au début, nous nous sommes mis en travers du passage des tracteurs pour les empêcher d’avancer. Un Européen au volant d’un grand tracteur a démarré, renversant une vieille dame. Un enfant a répliqué en lui jetant une pierre. Et de là, tout est parti : les tirs avec des balles caoutchouc, les gaz lacrymogène, le matraquage, les arrestations.

Nous sommes prêts à négocier pour trouver une solution, mais il faut que les violences cessent, que nos femmes puissent être soignées et que nos enfants puissent de nouveau se rendre à l’école.

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Un villagois atteint d'une balle en caoutchouc (photo envoyée par Saïd Kharraje mardi 19 juin)

Leur presse (observers.france24.com, 20 juin 2012)


Rivera del Arroz
Adresse : 148, bd Allal Ben Abdellah – Larache
Téléphone fixe : 0539 91 28 19
Fax : 0539 91 28 19
Activités : Traitement, conditionnement et commercialisation du riz, des dérivés du riz ainsi que les semences certifiées du riz

Vidéos :

Appel à solidarité urgente : Chlihat, à 25 km de Ksar Kabir, une société espagnole, Ribera del Arroz, exploite les terres collectives pour cultiver du riz, les habitants souffrent des moustiques, réclament du travail pour leurs enfants. Face au silence, se soulèvent, occupent les terres. Depuis le 14 juin, les affrontements éclatent entre forces de l’ordre et habitants, le 15 juin, l’armée entre en force, avec bombes lacrymogènes, canon à eau, tir balles caoutchouc, vols, saccages dans les maisons, plusieurs blessés etc.

Paroles des femmes de douar Chlihat, témoignages lors de la caravane de solidarité pour lever le blocus sur le village, mercredi 20 juin 2012

Maroc – Le temps des révoltes paysannes (SlateAfrique, 26 juin 2012)

La révolte Douar Chlihat, Loukos, région Ksar Kebir (Souad Guennoun, Mamfakinch.com, 21 juin 2012)


Larache : Bras de fer entre les habitants d’un douar et une entreprise espagnole

La tension sociale a élu domicile à un douar à Larache. Un conflit y oppose les habitants à une société espagnole, soutenue par le ministère de l’Intérieur, qui exploite 3000 hectares pour la culture du riz.

Ce matin, un calme précaire prévaut dans le douar de Chlihate à Larache. « Les forces de l’ordre commencent à évacuer les lieux et les habitants regagnent, peu à peu, leurs maisons », indique Fathia Yaâcoubi, président de la section locale de l’AMDH. Ce retour à la « normale » intervient après plusieurs jours de tensions. À l’origine, un différend entre les résidents du douar Chlihates et une société espagnole qui loue, depuis dix ans, 3000 hectares des terres du Domaine appartenant à l’État, pour la culture du riz. La compagnie a décidé d’exploiter 180 mètres carrés d’un terrain qu’elle loue et qu’elle avait laissé, jusqu’au 14 mai dernier, à l’usage des habitants du douar.

« D’un commun accord, la compagnie avait laissé 180 mètres carrés de la totalité de la surface hors de toute exploitation : une parcelle qui la sépare du douar et qui profite aux troupeaux de moutons ou de vaches des habitants. En 2011 les résidents du douar et les responsables de la société espagnole ont convenu d’employer des jeunes, issus du douar, au sein de la compagnie et de continuer à garder les 180 m² sans culture », souligne la présidente de la section de l’AMDH à Larache, Mme Yaâcoubi. L’accord a volé en éclat. « Le jeudi 14 mai, l’entreprise espagnole révise sa position initiale et commence à exploiter les 180 m². Ces tracteurs investissent cette surface sous la protection d’éléments des forces auxiliaires, ce qui a déclenché l’ire des habitants », précise Mme Yaâcoubi.

Le ministère de l’Intérieur défend la société espagnole

La décision a provoqué la colère des habitants et de très fortes tensions « marquées notamment par de violents affrontements le vendredi et le samedi, ayant contraint des familles à quitter leurs habitations pour se réfugier dans la forêt ou dans la ville de Larache. Des blessés, il y en a et dans les deux camps. Nous avons relevés, deux cas parmi les éléments des forces auxiliaires. Quant aux manifestants, il est difficile de donner un chiffre exact, sachant que, par crainte d’être arrêtés, ils évitent de se rendre à l’hôpital ou chez des médecins privés », explique Mme Yaâcoubi.  La même attitude a été observée à Khouribga, Imzouren ou encoure Béni Bouayache.

Le ministère de l’Intérieur ne s’est pas contenté de l’envoi d’éléments des forces de l’ordre pour mettre un terme à la contestation des habitants, il a tenu, dans un communiqué publié le dimanche, à condamner ce qu’il qualifie d’« actes de violences auxquels se sont livrés certains manifestants à l’encontre des forces de l’ordre qui assuraient le déroulement normal de l’opération de labour pour la plantation de riz dans la province de Larache ». Et de préciser qu’ « aucune entrave à la liberté de travail et de circulation ne sera tolérée et que les autorités publiques veilleront à la stricte application de la loi et en sanctionneront toute violation ».

En relation avec ces incidents, quatre habitants de Chlihate ont été arrêtés. Le samedi, ils ont été présenté devant un juge, leur procès est prévu demain au tribunal de première instance de Larache.

Leur presse (Mohammed Jaabouk, Yabiladi.com, 18 juin 2012)

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