[Béton entends-nous !] Le même et l’Autre, critique de la culture alternative

Le même et l’Autre, critique de la culture alternative

« Ça va être interdit la vente forcée comme ils font là. Parce que si on vous passe des conneries, des conneries toute la journée, vous finissez par les acheter, hein. Vous n’êtes pas raisonnables non plus. Quand on pense qu’il suffirait que les gens ne les achètent plus pour que ça ne se vende pas. Hé… de toute façon ça va changer le métier ! Parce que y a pas que dans la chanson que c’est comme ça. »

Coluche

Ah ! Elle est belle radio Béton avec ses jingles rigolos, son festival qui se veut décalé et alternatif et son apolitisme béat. Ah ! Elle est loin l’époque où elle émettait sans autorisations aucune, où ses animateurs jouaient à cache-cache avec les flics, et où ça organisait le festival Aucard de Tours en mode sauvage et sans autorisations.

Aujourd’hui c’est une petite boutique qui tourne pas trop mal, un jouet pour quelques petits bourges qui s’amusent à faire leur émission de radio, comme d’autres vont au squash ou à l’opéra une fois par semaine. Une radio même alternative, doit se vendre, doit organiser des festivals décalés mais pas trop ; avec des tickets à l’entrée et des vigiles qui surveillent pour pas que les pauvres amènent leurs bières et achètent bien celles du festival. Il faut remplir la caisse alternative, et payer les artistes alternatifs…

Quand radio Béton prétend être une radio qui a des choses à dire, qui propose autre chose. Au final elle ne fait que singer les radios commerciales. La programmation de cette année, à Aucard de Tours est quand même vachement alternative et vachement subversive…

Avec, le rappeur Orelsan, diffusé sur radio Béton, Tf1, Skyrock et MTV (parmi cette liste se cache un média qui n’est plus tout à fait alternatif devinez lequel…). Au delà de ça quand on regarde ses textes, on y décèle une certaine obsession quand à la dépréciation de la gent féminine. Il parait que c’est du second degré, que c’est des provocations qui ne doivent être prise que comme telles et que ceux qui s’en offusquent sont décidément trop bêtes pour comprendre cela.

Pourtant le patriarcat et l’hétéro-sexisme n’ont rien de provocations, et tout de l’oppression. Ils traversent la société, se nichent de manière insoupçonnée dans nos gestes, nos mots et nos postures et contribuent à maintenir l’État et la domination capitaliste en place. Les femmes (biens gaulées si possible) aux fourneaux, les mecs (biens virils si possible) au boulot et pas une tête qui dépasse. Les seconds pour surveiller les premières, et tout le monde tient son rôle et se soumet bien sagement. Et on ne tolère les corps et les pratiques sexuelles qui sortent de la norme, que dans le but de créer de nouvelles identités, de nouveaux marchés. Des homosexuels, pourquoi pas ? tant qu’ils travaillent et qu’ils consomment.

Et si les textes d’Orelsan ne sont rien d’autre que des provocations. Le sexisme, l’homophobie, et les représentations véhiculées par ces textes sont bien réelles et ont des conséquences pour nombre d’individus dans la vie réelle. Il y a des femmes qui meurent sous les coups de leurs maris, qui se font traiter de salopes quand elles ont des pratiques sexuelles un peu libérées, qui doivent travailler la journée au bureau et le soir à la maison pour les taches domestiques pendant que monsieur se prélasse devant la télé… On ne parle jamais des agressions homophobes, des coups et des insultes qui visent les femmes trop « masculines » ou les hommes trop « efféminés ». Tout ceux qui, aliénés dans leur rôle d’homme ou de femme hétéro aimeraient bien sortir des identités que l’on impose a tous, mais ne le font pas à cause de cette répression que l’on nomme morale. Cette morale opprimante, ce ne sont pas des grands discours et des condamnations, mais des regards, des petits gestes quasi invisibles dans le quotidien de chacun, qui rappellent à chacun la place qu’il doit tenir. Aujourd’hui, plus personne n’est homophobe ou sexiste, mais tout le monde continue de penser que se faire enculer c’est dégradant, trouve les gay rigolos sauf quand c’est son fils qui fait son coming-out, que les femmes sont faites pour élever des enfants et faire le ménage, que conduire la voiture c’est un truc de mec… On se rend compte alors que Orelsan faux rappeur rebelle utilise les mots du pouvoir, ces mêmes mots et ces mêmes images que l’on trouve à la télé, dans la publicité, dans le discours dominant et qui par leur omniprésence naturalisent la domination masculine, et normalisent le patriarcat et l’hétéro-sexisme en l’intégrant à la langue, et aux mœurs.

Face à cela nous considérons, le droit de chacun à choisir son identité sexuelle ou de ne pas en choisir, à la faire évoluer comme il l’entend et à ne pas subir une quelconque oppression en fonction des choix qu’il aura fait. Nous combattons le sexisme, l’homophobie, et le patriarcat car nous sommes contre toute forme d’autorité, et que des critères aussi arbitraires que flous comme le sexe, le genre ou l’orientation sexuelle ne peuvent justifier la domination. Il faut abattre la morale et ses préjugés qui ne servent que l’ordre en place, et laisser libre cours au déchaînement des passions et à l’expérimentation de nouvelles manières de sentir, d’aimer, et de s’approprier son corps.

Puis il y a aussi Boogers, le collabo de Bouygues, cette espèce de grosse boîte qui fabrique des villes à l’urbanisme policier, des taules et des centres de rétention. Qui a une télé qui libère le temps de cerveau de ceux qui la regardent pour faire de la place à Coca-Cola, et se fait la voix du pouvoir, d’une manière que n’auraient pas renié Staline ou Goebels en leur temps. Celui-là il a commencé avec radio Béton en tournant sur la scène alternative, à Tours et dans la région. Puis parce qu’il faut bien manger, et puis que bizness is bizness on fait des festoches alternatifs comme le Printemps de Bourges, on fait sa promo dans des petits fanzines alternatifs comme Libération ou le Figaro, on signe pour que sa musique soit la bande son du dernier spot de Bouygues Télécom. En somme la bande son du meilleur des mondes, une musique légère et sympathique qui nous ferait oublier le poids de l’autorité et la fatigue due à la soumission. Qui rendrait presque belles les prisons, et les centres de rétentions.

Certes Boogers, n’est pas responsables des méfaits de Bouygues, mais il crache pas sur leur pognon et il leur vend sa musique pour qu’ils apparaissent comme plus sympathiques. On ne doute pas d’ailleurs qu’il profitera de la diffusion du spot Bouygues plusieurs fois par jour à la télé, pour gagner encore un peu en notoriété et vendre encore plus de disques, et faire un peu plus de pognon.

Voilà la gueule de l’alternative, une culture qui se vend comme de la lessive ou des yaourts. Une culture qui véhicule les représentations du pouvoir et assoit les rapports de dominations que nous combattons au quotidien. Une machine à décérébrer, où l’on vient consommer des artistes « undeurgrounde » dans un cadre « différent », on a remplacé le pain par la bière et les jeux par les concerts mais le troupeau est toujours aussi soumis. Braves moutons qui consomment les festivals alternatif et retournent bosser le lendemain avec une vague gueule de bois due à la bière bio. C’est parce que radio Béton et Aucard de Tours, participent de la culture dominante en reproduisant  ses méthodes qu’ils sont des alliés de l’autorité et du capitalisme. De toute manière, il n’y pas d’alternative possible entre la perpétuation de ce monde d’autorité, et la révolution anti-autoritaire. Car vendre autre chose, c’est toujours vendre quelque chose ; et que la seule issue possible est l’abolition de la propriété privée et la destruction de tout rapport marchand.

Pas de pitié pour l’art et la culture !
Pas de quartier pour l’État et le capitalisme !
Combattons l’autorité et la domination sous toutes ses formes dans notre quotidien !
N’attendons plus pour nous révolter !
Que crèvent Béton, Aucard, Bouygues, Orelsan, Boogers et les autres collabos du pouvoir !
Que crève ce monde d’autorité et de soumission !

Quelques barbares sans dieux ni maîtres – 6 juin 2012


[Nique ton genre] Béton, entends-nous !

C’est pas les dégenréEs qui volent la liberté d’expression, c’est le sexisme et le patriarcat qui pillent nos vies !

Ça y est, c’est annoncé, le festival Aucard de Tours, orchestré par Radio Béton, verra se produire le rappeur phallocrate Orelsan. Ce festival montre bien les limites de l’alternatif par ses financements étatiques, municipaux et commerciaux ; par sa présence de vigiles à l’entrée fouillant tous les sacs pour y déceler la moindre présence interdite d’alcool ou de substances illicites. Ce festival révèle davantage que ce n’est qu’une « radio alternative » en faisant jouer Orelsan à son festival annuel.

Depuis quelques semaines il y a donc une riposte qui s’organise face à cette outrecuidance, de nombreux textes ont ainsi circulé pour dénoncer Orelsan et Béton. Voici un florilège des arguments usités que nous reproduisons ici afin d’apporter notre pierre à la contestation du patriarcat.

En effet, faire jouer Orelsan n’est pas anodin, ce n’est pas pour faire plaisir aux spectateurs, est-ce que Béton feraient jouer un groupe de RAC (Rock Against Communism) juste pour faire plaisir au public néo-nazi ? Nous ne nous fatiguerons pas à reproduire les paroles d’Orelsan. Les paroles de ce mec sont clairement des appels au viol, à la violence conjugale, une haine envers les personnes qui ne respectent pas le genre qui leur a été assigné à la naissance. Une haine des mecs efféminés et des meufs « masculines ». Radio Béton a choisi de légitimer et de participer à cette haine hétérosexiste.

Organisateurs, artistes, spectateurs, acteurs, partenaires ont tous une responsabilité direct sur le déroulement d’un évènement.

Les mots ont un sens. Soutenir le contraire c’est prôner le creux, le mensonge, la com’, le statu quo, le déni des agressions. Lors du festival anniversaire pour les 30 ans de Woodstock, en 1999, des viols ont eu lieu dans la fosse, pendant des concerts du festival. Le viol n’est pas un acte individuel, c’est aussi le produit d’une société qui hiérarchise les individuEs et étiquette certains corps comme accessibles à tout moment. Après un viol, les excuses ne manquent pas : « il avait bu », « elle avait bu », « elle portait… », « elle avait pris… », « c’était pour rigoler », « c’est une affaire personnelle »…

Orelsan, exprime une déclaration de haine envers touTEs les oppriméEs. Il n’a de cesse de jouer le jeu de la petite complainte du dominant inquiet de perdre ses privilèges, et qui, comme tout bon masculiniste, réussit à se faire passer pour la « victime » des méchantes féministes quand chaque jour les femmes et les lesbiennes, les gays et les personnes trans’ sont priéEs de se taire, se rhabiller, de se calmer, d’aller voir ailleurs, d’encaisser, d’avoir de l’humour, de ramasser derrière, de ne pas être communautaristes, de ne pas être extrémistes… sont violéEs, harceléEs, insultéEs, frappéEs, dans la rue, dans leur « foyer », au commissariat, sur leur lieu de travail, à l’école ou en prison…

Face à notre rejet d’Orelsan, il nous est dit qu’il s’agit de liberté d’expression mais si cela signifie de laisser la liberté aux fascistes, sexistes, racistes, de s’exprimer ça ne nous intéresse pas. Ce monde est déjà créateur et rempli d’oppressions de toutes sortes pour les laisser proliférer sans rien faire. Tolérer l’intolérable c’est cautionner ces oppressions. Appelez notre position de la morale si cela vous chante, mais nous sommes directement concernéEs par les textes d’Orelsan (en tant que femmes, bisexuel-le-s, pédés, gouines, trans) ou solidaires de ces personnes. En défendant Orelsan Béton et ses soutiens se placent du côté de l’oppression et défendent le sexisme, l’homo/lesbophobie.

Ensuite, il s’agirait de second degré. On nous dit toujours (des hétéros la plupart du temps, bizarrement) : « oh t’as pas d’humour ! On rigole ! Détends-toi ! ». Eh bien non ! nous n’avons pas envie de rire des harcèlements, sifflements, viols que subissent les meufs au quotidien. Pas envie de rire du fait que notre sexualité soit sans cesse invisibilisée, moquée par les médias dominants, par les gens. Ouvrir les yeux sur cette oppression c’est nécessaire pour prendre position.

Essayez de comprendre, de mesurer combien ça nous fout juste encore plus la rage de voir que l’oppression hétérosexiste a encore de belles heures devant elle et qu’ une fois de plus, on nous dit de fermer notre gueule, de continuer à subir : marre des positions de victimes, de tendre l’autre joue. Pas de pitié pour les phallocrates.

Enfin, il y aurait plein de meufs aux concerts d’Orelsan. Ceci ne veut pas dire qu’il n’est pas sexiste ! Dire cela c’est nier que l’oppression patriarcale fonctionne bien puisqu’elle influence les femmes à courber l’échine, à être potes avec ce qui les oppresse. Heureusement, il reste de nombreuses personnes qui luttent contre ce système patriarcal. Toute contestation est tuée dans l’œuf par l’ingérence à ne pas être extrême, à être raisonnable.

Nous appelons donc tou-te-s le monde à réfléchir et à arrêter de se cacher derrière les faux arguments de la liberté d’expression et/ou du second degré ou de la « caricature » ou de la « fiction ». Assumez cette peur de perdre vos privilèges d’hommes hétérosexuels ou bien rejoignez la contestation.

Nous sommes extrêmes. Nous sommes diablement, des terroristes du genre.

Reçu à l’Agent DA, 3 juin 2012

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