VENDREDI 17 FÉVRIER 2012, mer Égée. À 19 milles nautiques à l’est de l’île de Skyros, un signal de détresse, celui d’un yacht en difficulté. Il connaît « une panne mécanique ». Il prend l’eau. Huit hommes sont à son bord, les membres de l’équipage qui convoient le bateau depuis Istanbul. Les vents soufflent entre 62 et 74 kilomètres par heure. Coup de vent de force 8 sur l’échelle de Beaufort, deux degrés avant la tempête. Deux hélicoptères Super-Puma de l’armée de l’air grecque, une frégate de la marine de guerre et trois patrouilleurs de la police portuaire sont immédiatement dépêchés sur place. Lorsque les hélicoptères arrivent sur zone, le bateau est couché par tribord. De minuscules hommes orange dans leur gilet de sauvetage agitent les bras sur le pont. L’hélitreuillage commence. Un par un, les membres de l’équipage sont hissés hors du bateau, balancés par les vents, accrochés à leur filin, tandis que l’océan avale doucement le yacht, masse blanche aux lumières encore allumées dont on ne distingue déjà plus ni la piscine ni le jacuzzi. Il coule par l’arrière. Les peintures viennent d’être refaites. Au sommet, lettres et chiffres de son immatriculation se découpent parfaitement : IMO 9544621.
IMO 9544621. Le Yogi. 60 mètres : une taille moyenne, dans ces eaux grecques et bleues qui voient défiler les caprices de plus de 100 mètres de milliardaires russes ou de princes arabes. C’est en revanche le plus gros yacht français. Il est sorti d’un chantier naval turc en 2011. Le Yogi comme les autres fut probablement baptisé d’une bouteille de champagne millésimé, breuvage synonyme de succès, de chance mais aussi de privilèges. Et non de sang, comme en étalaient jadis les marins sur la proue des bateaux. Le propriétaire du Yogi est de son temps, le vent, il en avait jusque-là toujours fait son affaire, il l’avait dans le dos. Il s’appelle Stéphane Courbit.
La presse grecque rappelle à grands traits son pedigree. Un enfant puis un roi de la télé qu’elle montre micro en main sur fond de bateau qui coule. Sur la photo, il a la tête d’un animateur lisse et blond de fin d’après-midi mais, Courbit, c’est en fait un producteur, né avec Dechavanne, associé avec Arthur, puis sacré par la télé-réalité. Au tournant du siècle, il s’allie avec Endemol, gros fournisseur néerlandais de programmes qui veut s’implanter en France, il devient le président de la filiale française, récupère le catalogue, fabrique le « Loft » et Loana avec M6 et négocie un »output deal » avec TF1. Un « output deal » ? Cela signifie qu’un certain nombre de cases sont réservées à Endemol dans la grille de TF1. Quand il revend ses parts, fin 2007, il empoche une plus-value de 240 millions d’euros. Il crée alors sa propre holding, Lov, pour Lila, Oscar et Vanille, ses jeunes enfants dont les initiales dessinent le nom de son empire. Il se fournit en conseils chez Alain Minc (« C’est le meilleur », disent-ils l’un de l’autre) et investit dans tous les secteurs dont la croissance repose sur la dérégulation, électricité ou jeux en ligne (à ce sujet, il prévient sa femme : « Je peux très bien me retrouver en garde à vue »). Sur les sites grecs, l’appétit boulimique de ce jeune prince des affaires nourrit les récits du naufrage. Nicolas Sarkozy, l’ami et le voisin de Neuilly qui l’avait invité au Fouquet’s le soir de son élection, en 2007, fait évidemment partie de la galerie de photos, pour ne pas dire du portrait de famille. Mais c’est vue de France que l’histoire prend tout son sens.
Car ce yacht qui sombre en mer Égée, c’est le climax d’un film, ce moment où tout bascule. Nous sommes donc le 17 février 2012. Deux jours plus tôt, Nicolas Sarkozy a annoncé sa décision d’être à nouveau candidat à la présidence de la République. L’affiche officielle est prête, elle a été dévoilée à la presse. Elle est immédiatement décortiquée, détournée. D’où vient l’océan bleu en fond sur l’affiche ? Jean Saurien, alias @schloren sur Twitter, a analysé les données EXIF du fichier Jpeg mis en ligne par Le Figaro. Selon lui, l’arrière-plan marin est issu d’une photo intitulée Greece, Clouds over Aegean Sea, créditée Getty Images-Tetra Images RF. La mer Égée, encore elle ! L’antisarkozysme déchaîné y incruste Titanic ou Costa Concordia, Sarkozy a la tête du capitaine. Des bateaux coulent sur les affiches détournées. Or un yacht, un vrai, vient de sombrer en mer Égée. L’opération de sauvetage de l’équipage a coûté 22’000 euros. « Pas une petite somme pour la Grèce en faillite », note la presse locale. Athènes a brûlé le samedi qui précède, elle laisse voir des feux rouges cassés, des magasins et des cinémas calcinés, brûlés par des poussées de fièvre et de colère.
Gisent, par 400 mètres de fond, une grande table ronde dans un vaste salon en bois naturel de Bali, une autre toute en longueur sur le pont, des orchidées, des écrans plasma, de l’argenterie, des verres en cristal, des nappes damassées blanches, de légers coussins orange qui ravivaient la toile crème déclinée comme un nuancier sur les sièges, la moquette, les canapés, les matelas alignés autour de la piscine, une suite, cinq cabines aux portes coulissantes et ajourées, aux lits immenses et hauts, pouvant accueillir jusqu’à douze personnes. Tout ce décor, parti polluer le fond de l’océan, se visite encore virtuellement sur Internet. Un petit film promotionnel permettait de découvrir le Yogi avant de le louer de 357’000 à 378’000 euros la semaine selon la saison. Il circule encore, laisse imaginer la vie à bord, les massages, les réceptions, les soirées, toutes les déclinaisons d’un lobbying politique permanent. Il y a un au-delà pour les yachts. La vidéo présente un slogan devenu épitaphe : « La quintessence du bien-être et du luxe ». Un journal grec suggère un autre titre : « L’épave du yacht Yogi pourrait se retrouver dans un roman policier dont le titre serait Bonne plongée. » En France, on collerait bien un générique de fin à ce naufrage. Les noms, les costumes, les décors sont connus.
L’histoire commence avec les années 2000. La première chaîne de télé assume pleinement la mission, par la bouche même de son PDG, de ramollissement des cerveaux. « Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible », déclare alors Patrick Le Lay. Les émissions sont fournies par Courbit et son « output deal ». La chaîne verse à Endemol 83 millions d’euros pendant cinq ans pour être approvisionnée en émissions de télé-réalité et de divertissements. L’accord stipule qu’en cas de départ de Stéphane Courbit le contrat devient caduc. Lui a indexé sa rémunération sur l’augmentation d’un chiffre d’affaires qui s’envole.
Un homme domine alors la vie politique française, il est le ministre de l’intérieur au menton volontaire et aux mots qui claquent, façon « racaille » et « Kärcher ». Il est très à l’aise sur la chaîne qui fabrique des cerveaux disponibles. Imbattable même. Il commente tout : crise, drames et faits divers. Le patron est son ami, voisin de Neuilly. Il est même le parrain de son fils. Courbit connaît bien Sarkozy lui aussi. Neuilly encore, des années plus tôt : Sarkozy était dans le creux de sa carrière, Courbit avait des soucis de permis et d’architecte pour modifier l’intérieur de la maison qu’il venait d’acheter sur l’île de la Jatte. Rencontres, conseils, Cécilia s’entiche de cet as de la télé-réalité venu d’un petit village de la Drôme. Il n’aime pas la politique, mais il a dit oui à un meeting pour le référendum sur l’Europe à Bercy, oui encore à une table ronde sur les médias Place Beauvau. C’est avant l’élection présidentielle qu’il offre à Cécilia Sarkozy, aux frais d’Endemol, un sac Hermès à quatre chiffres et trois zéros.
Aussitôt après le naufrage du Yogi, la presse grecque s’empare de l’affaire et présente son propriétaire, Stéphane Courbit, en enfant et roi de la télé. Elle raconte qu’il est lié à Nicolas Sarkozy et mêlé à l’affaire Bettencourt. Rien dans la symbolique de ce naufrage ne lui a échappé, alors qu’en France il passe presque inaperçu.
La suite, on la connaît : une victoire électorale, une nuit au Fouquet’s, où, sur la terrasse de l’hôtel, on retrouvera les Arthur, Courbit et Bouygues. C’est ce soir-là que Vincent Bolloré suggère au nouveau président, dont les émotions fluctuent entre jouissance de la victoire et hantise du divorce qui menace : « Si vous voulez le Paloma pour vous reposer quelques jours… » Vingt ans déjà qu’il propose… Ce soir-là, Martin Bouygues offre aussi un bateau, mais le candidat victorieux préfère le premier, pensant éviter ainsi la polémique sur ses liens avec le patron de TF1. Pas un instant, il ne se doute que c’est le yacht qui va poser problème, qui inscrira dans l’imaginaire des Français un symbole indélébile, qu’il ne parviendra jamais à effacer.
Nicolas Sarkozy, Cécilia, « le petit Louis », les filles de Cécilia et les fils de Nicolas se donnent rendez-vous au Bourget et s’envolent pour Malte. À bord du Paloma, un couple joue sa dernière carte, et un gouvernement se dessine sur fond de réconciliation conjugale. Cécilia pousse aux plus hautes fonctions ceux qui l’ont toujours soutenue jusque dans ses escapades, c’est ainsi que Rachida Dati est promue ministre de la justice. Les photos prises de loin par les paparazzis en embuscade laissent voir des corps dorés, au repos, sans costume ni fonctions, mais on devine que les nababs ne siestent que d’un œil.
Le yacht. Attribut des tout-puissants que la foule en congés payés observe l’été, mi-amusée, mi-rêveuse, le temps d’une glace sur le port avec les enfants. Le yacht ne vient pas en premier sur la liste des signes extérieurs de richesse. Le nouveau riche envisage d’abord d’acquérir au sol — l’immobilier à Paris, triangle d’or de préférence, la villa sur la Côte ou à Porto-Vecchio — puis vient le jet, indispensable aux affaires, parfois une chasse où l’on lâche du gibier, ou encore une île, dans le Morbihan ou aux Seychelles. Le yacht, c’est la cerise sur le gros gâteau. Courbit est allé vite. L’héritier Martin Bouygues, de treize ans son aîné, a longtemps loué, il n’a investi qu’en 2010. Un 62,5 mètres pour 65 millions : Baton Rouge, en hommage à la ville de Louisiane où est née sa femme. Toute la panoplie du palace flottant dont « un solarium circulaire transformable en piste de danse », dit Superyachts.com. La première fois qu’il apparaît, c’est dans le port Hercule au Salon nautique de Monaco, en septembre 2010, Martin Bouygues a demandé qu’on ne donne pas le nom du propriétaire. Discrétion. La richesse n’est plus aussi facile à porter. L’immatriculation dans un paradis fiscal non plus. La crise a frappé. Nicolas Sarkozy fait beaucoup d’efforts pour faire oublier le Fouquet’s, le Paloma et le bouclier fiscal.
Mais Courbit, qui a tout — des bureaux rue François-Ier à Paris, une résidence avec piscine à Neuilly, l’Hôtel des Airelles à Courchevel avec calèche Hermès pour se promener dans la neige et une suite entre 10’000 et 35’000 euros la nuit, l’Hôtel Pan Dei, le palace au nom grec de Saint-Tropez, une villa sur 7 hectares à la pointe du Capon —, veut son bateau ! Il tutoie le président de la République. Dispose de tout le carnet d’adresses de Pierre Charon, œil du président, qu’il a salarié à cette fin à Endemol pendant quatre ans. Connaît la ligne directe du nouveau ministre du budget, Éric Woerth, qu’il a beaucoup appelé pour prendre des nouvelles de la fin du monopole sur les jeux en ligne. « Dans six mois », « dans trois mois », lui a répondu le ministre. La loi autorisant les jeux en ligne est votée par le Parlement en 2010. Le yacht est commandé dans la foulée. Courbit a 45 ans, en paraît dix de moins, et a déjà peur de vieillir. Il refuse avec la même obstination que les Daft Punk qu’on le prenne en photo, ainsi le même cliché tourne-t-il dans les journaux année après année, prenant valeur de portrait officiel. Autre façon de rester jeune : fréquenter des vieux, le Siècle, ce club d’influents composé de politiques, de patrons et de journalistes, et le cercle fermé quoique mondialisé des propriétaires de méga-yachts. Le bateau est livré à l’été 2011. Cette année-là, les ventes de navires de luxe explosent. « Il est clair qu’il y a toujours de l’argent dans ce marché et les gens continuent à acheter », déclare alors dans un communiqué Patrick Coote, le directeur de Fraser Yachts. Ce n’est pas la dernière marche sur l’échelle du m’as-tu-vu en pleine mer, après le super-yacht, il y a encore le méga-yacht, puis le giga-yacht, très prisé des oligarques russes qui aiment recevoir, impressionner à bord et laissent dans leur sillage, mêlé à l’odeur de gasoil, comme un parfum suspect de blanchiment d’argent.
C’EST AXA QUI A ASSURÉ LE « YOGI » pour environ 40 millions d’euros. Trois jours après le naufrage, les avocats et les experts des assurances arrivent à Skyros. Dans le même temps, la société propriétaire du bateau a exprimé dans une lettre « ses remerciements et sa reconnaissance à la police portuaire grecque ainsi qu’aux habitants de l’île de Skyros pour l’hospitalité offerte à l’équipage ». Là-bas, le naufrage pose bien des questions. Que faisaient le Yogi et ses marins expérimentés en pleine mer, alors qu’un navire de plaisance ne sort pas quand le vent souffle au-delà de 5 Beaufort ? Le chef du chantier turc, Mehmet Karabeyoglu, réfute dans la presse les explications mécaniques avancées : surchauffe du moteur qui aurait brisé les soufflets d’échappement. « Il y avait une soupape de sécurité pour empêcher cette éventualité. Le yacht a été construit en conformité avec toutes les normes internationales et a été contrôlé par des experts français avant d’être mis à l’eau. »
On peut penser que le constructeur se couvre. Mais les gardes-côtes s’interrogent aussi. Comment ce yacht, qui n’a pas un an, a-t-il pu prendre l’eau si vite ? Le capitaine Gritzelis Kostas explique dans les journaux que ce genre de bateau a un franc-bord bas, c’est-à-dire une poupe toute proche de l’eau, qu’entre deux grandes vagues qui inondent le pont, la mer peut atteindre les machines. « Ces navires ne sont pas étanches, voilà pourquoi il faut éviter le mauvais temps », dit-il. Mais la thèse qui domine est celle de la vague ayant brisé une vitre, laissant entrer l’eau à bord. « Ou bien quelqu’un a laissé une porte ouverte, imprudemment… », écrit avec un brin d’ironie le site d’un journal centriste très sérieux, Ethnos. La police grecque ouvre une enquête.
À Paris, moins de considérations marines, mais un trouble qui exsude dans les blagues. « Les assurances, ça désendette », rit-on chez les fiscalistes. « Voilà un drame et des liquidités qui tombent à pic, plaisante-t-on dans les cabinets d’avocats parisiens, il n’a plus à rembourser son bateau. » Depuis des mois, on a compris que le jeune tycoon n’est pas aussi riche qu’on l’imaginait. La manne espérée s’est un peu rabougrie depuis que la crise gronde, la diversification entamée par Courbit semble aujourd’hui surpayée. Le voilà du coup pris dans le plus fascinant fait divers du quinquennat : l’affaire Bettencourt. Il ne manquait que ça, à vrai dire, à l’épopée de celui qui a vécu en direct le Fouquet’s, l’ouverture du marché de l’électricité et des jeux en ligne, et failli prendre le contrat de la régie publicitaire de France Télévisions avec la bénédiction d’Alain Minc et de l’Élysée : se glisser dans le casting de cette affaire où l’ombre du président continue deplaner, sous la forme de visites dont seul l’agenda se souvient. Où s’éparpillent des mots volés par le petit magnétophone d’un majordome, qui disent tous l’obsession de l’argent.
Il y a la phrase, devenue célèbre, de Patrice de Maistre à Liliane Bettencourt, dont il a mission de gérer la fortune : « Est-ce que vous avez toujours envie de me faire un cadeau ? Si vous voulez faire quelque chose, il faudrait que ça soit en Suisse, pas ici. Et ça me permettrait d’acheter le bateau de mes rêves, voilà. Parce que j’adore le bateau. » Le bateau de ses rêves, ce n’est pas un yacht, cette flottille de parvenu. Maistre est très vieille France et descend de Joseph de Maistre, il porte des vestes en tweed et garde dans son portefeuille sa carte du Jockey Club. Le bateau de ses rêves, c’est évidemment un voilier, le seul fantasme des marins authentiques, comme Eugène Schueller, le père de Liliane. Lui naviguait sur L’Edelweiss. Et c’est grâce à ces sorties en mer, d’ailleurs, que le chimiste devint milliardaire : les coups de soleil qu’il prit sur le pont lui donnèrent en 1936, année des congés payés, l’idée de lancer la première ambre solaire. Patrice de Maistre a dû renoncer à acheter son 21 mètres, mais le montage financier qu’il avait échafaudé pour l’acquérir discrètement lui vaut aujourd’hui aussi de se retrouver en prison. Un bateau encore…
En mai 2011, on apprend que la femme la plus riche de France vient d’entrer à hauteur de 20 % — soit 143 millions d’euros — du capital de la holding de Stéphane Courbit, Lov Group. Une étude de faisabilité menée par Jean-Marie Messier, devenu banquier et avocat d’affaires et qui, en matière de revers de fortune, s’y connaît plutôt bien, assure l’investissement intéressant, surtout si Axa Private Equity est de la partie, comme il en est question. Un mois plus tard, la fille de Liliane Bettencourt, Françoise Meyers, conteste cet investissement, une nouvelle fois réalisé à l’insu de sa vieille mère qui aurait pris Courbit « pour un chanteur », dit-elle, et surtout sous la houlette de Pascal Wilhelm, le nouveau gestionnaire de fortune de l’héritière L’Oréal, mais également l’avocat de Jean-Marie Messier et de Stéphane Courbit — ou du moins de son site de jeux en ligne, Betclic. Tout ça sent très fort le conflit d’intérêts. Dans leur jargon, les analystes se lancent dans des calculs : « L’investissement de la propriétaire de L’Oréal valorise l’empire Courbit à près de trente fois son Ebitda, excédent brut d’exploitation, de 20 millions d’euros… » Pour eux, Lov a été largement surévalué.
« Je vais rembourser », dit très vite Courbit. Mais rien ne vient. Tout traîne. Une tentative de médiation est organisée. Il y a d’un côté de la table deux as du contentieux pour Courbit, et, pour la fille Bettencourt, un avocat d’affaires. « Vous donnez vos hôtels, c’est réglé », explique ce dernier aux avocats du producteur. Mais, même en panne de trésorerie, Courbit refuse de se séparer de ce qu’il a acheté sur la case bleu nuit de son Monopoly. Actifs personnels, répond-il. La conciliation capote. Et les enquêteurs de se demander si les 143 millions n’ont pas servi à éponger les dettes de Courbit.
COURBIT A CHANGÉ DE DISCOURS désormais. Il ne veut plus rembourser Liliane Bettencourt. Il n’a « pas prêté d’argent, mais investi en augmentation de capital ». Il ne serait que la victime collatérale d’un « conflit familial radioactif », un adjectif que ne renierait pas Nicolas Sarkozy.
Pendant l’élection présidentielle, la justice a l’habitude de s’assoupir prudemment, oubliant les perquisitions, les gardes à vue, les interrogatoires. Mais l’élection est aujourd’hui terminée — perdue. Les affaires judiciaires reprennent. Les policiers de la brigade financière ont déjà entendu Jean-Marie Messier pour lui demander si sa banque n’avait pas valorisé Lov Group en vue de l’investissement de Mme Bettencourt. Pascal Wilhelm, un notaire, un infirmier et Courbit intéressent aussi les magistrats. « Je suis prêt à me rendre chez le juge », dit-il, comme l’affirment toujours ceux qui savent leur nom inscrit sur l’agenda de la justice. Achats, dettes, emprunts, amis fiscalistes, avocats complices, tout sera épluché de l’art de faire des affaires dans les années Sarkozy, y compris la brève histoire d’un yacht avalé par la mer Égée.
Presse bourgeoise (Ariane Chemin et Judith Perrignon. Illustrations Kate Gibb, Le Monde, 27 mai 2012)