[Mort aux El-Assad et à tous leurs complices !] Première grande offensive d’une révolution « clandestine » en Syrie ? (« Cette société est devenue un remarquable service de renseignement que le régime ne comprend plus »)

Syrie : le beau-frère d’Assad et plusieurs hauts responsables auraient été assassinés

Que s’est-il passé dans la nuit de vendredi à samedi 19 mai à Damas ? Assef Chaoukat, le beau-frère de Bachar al-Assad, vice-ministre de la défense, est-il encore en vie ? L’ancien chef des services de renseignements militaires a-t-il été éliminé, lors d’une opération menée par l’Armée syrienne libre, comme l’affirme un des groupes rebelles agissant dans la capitale ?

Quid des autres hauts responsables membres « de la cellule de crise » que l’on dit chargée de la gestion de la répression, visés dans cette opération ? À commencer par son responsable, le général Hassan Turkmani, les ministres de la défense et de l’intérieur, le général Daoud al-Rajiha et le général Mohammed al-Cha’ar, le numéro deux du Parti Ba’th, Mohammed Said Bkheïtan, et le chef du Bureau de la sécurité nationale qui lui est rattaché, Hicham al-Ikhtiar.

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Bachar al-Assad avec à sa droite Assef Chaoukat.

Pour une grande partie de la Syrie, le beau-frère du Président syrien est donné pour mort et son village natal, al-Madhaleh (gouvernorat de Tartous, sur le littoral), porterait déjà le deuil. Selon des témoignages recueillis sur place par plusieurs opposants, mais non confirmés de source indépendante, des drapeaux noirs ont été hissés aussi dans son fief de Tartous. Des actes de violence dans la ville voisine de Tell Khalah, en majorité sunnite et acquise à la contestation, ont été également signalés. Ils sont interprétés comme des actes de représailles de la part de fidèles alaouites de Assef Chaoukat et du clan Assad…

« Nous sommes quasiment certains de la mort de Assef Chaoukat », affirmait encore, ce mercredi matin, à Mediapart un activiste proche des Comités de coordination locale de Syrie (LCCS), en s’appuyant sur des témoignages recueillis auprès de militants de la région de Tartous. « Malgré le black-out total des autorités, nous pouvons aussi affirmer avec certitude qu’une opération s’est bien déroulée dans la nuit de vendredi à samedi à Damas dans le bureau de Saïd Bkheitan et que les informations qui proviennent de Tartous et de Tell al-Kallakh sont vraies. Mais nous ignorons encore les détails, le nombre et l’identité des autres responsables morts et surtout nous n’en avons pas encore les preuves, ni écrites ni visibles. »

Joint par Mediapart sur Skype dans la nuit de mardi à mercredi, un autre opposant proche du Haut commandant de la Révolution syrienne fait état de ces mêmes témoignages sans être en mesure de confirmer la véracité des informations. « Mais pour les opposants comme pour les partisans du régime, Assef Chaoukat est mort », nous disait-il.

D’autres sources affirment que la mort de Hicham Ikhtiar, le patron de la sécurité nationale, aurait été confirmée par son proche entourage et des médecins de l’hôpital al-Châmi de la capitale où auraient été admis les différents responsables dans la nuit de samedi à dimanche. Trois autres responsables sont également donnés pour morts mais leur identité demeure inconnue.

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L’opération se serait déroulée dans le bureau du général Said Bkheitan au siège du Commandement régional du Ba’th (l’instance exécutive du parti), situé au cœur de Damas, à deux pas de la place des Omeyyades.

La réplique du régime ne tarde pas. Interviewé par téléphone, le ministre de l’intérieur parle « de mensonges et de calomnies », tandis que le général Hassan Turkmani crie à « la désinformation » lors d’une courte apparition à la télévision d’État. La célérité du démenti apporté par le régime surprend. Elle suscite du coup l’incertitude sans véritablement convaincre. Ni surtout arrêter la rumeur persistante. On évoque ainsi une réunion au palais présidentiel de la garde républicaine.

Pressés par cette contre-offensive du pouvoir, les bataillons « Kataeb al-Sahabat » publient le lendemain, le dimanche 20 mai, sur leur page Facebook un communiqué d’une page détaillant le déroulé de l’opération avec précision, de l’heure du début de la réunion des officiers, au détail du repas pris dans le bureau de Bkheitan. On y apprend que des doses de poison ont été versées dans les mets par « l’exécuteur de la mission » et qu’elles étaient largement suffisantes pour tuer chacun d’entre eux, lesquels auraient été transportés d’urgence à l’hôpital Châmi, bouclé immédiatement par les forces de sécurité. Quant à l’exécuteur de la mission, il se serait retiré dans « un endroit sûr », dix minutes après avoir servi les convives, endroit d’où il aurait été exfiltré par « les bataillons al-Sahaba ».

(…)

La tension qui s’est emparée de Damas depuis quelques semaines ajoute à la confusion. Le cœur de la ville est désormais quadrillé par des check-point sécuritaires. « Ils se sont multipliés depuis l’arrivée des observateurs de la mission de Kofi Annan », précise un activiste. Et les coups de feu et échanges de tirs sont quotidiens. De fait, les « militaires libres » multiplient les opérations dans la capitale en faisant des incursions dans les quartiers résidentiels de Damas, proches des centres de pouvoir. « Non médiatisées, ces opérations ont clairement montré leur capacité à pénétrer sur le terrain du régime », explique ce même activiste.

Si l’hypothèse d’un coup de palais semble écartée par la plupart des opposants, en dépit du parcours du principal intéressé, Assef Chaoukat, il apparaît difficile de réaliser une opération d’une telle complexité sans complicités à l’intérieur du système. « Le bataillon al-Sahaba » les évoque sans en révéler les noms pour des raisons de sécurité. « Une chose est sûre, nous affirmait dès lundi soir Imad Eddine Rachid, responsable du Courant national démocratique et membre du CNS, l’opposition est en mesure de percer l’appareil de sécurité. »

Les avancées des contestataires au cœur de Damas mais aussi d’Alep, où d’importantes manifestations ont eu lieu vendredi dernier, et la multiplication des assassinats ont ébranlé la solidité du régime qui avait cherché à isoler ces territoires de la contestation. Comme le fait remarquer un observateur occidental basé à Damas, « ce climat se prête à ce genre de rumeurs et nourrit les fantasmes des révolutionnaires sur l’imminence de la chute du régime. Dans le même temps, il est désormais difficile au pouvoir de prétendre à la normalité. Le statut de la capitale a radicalement changé. »

Que cette opération et le meurtre des officiers soient ou non confirmés, ce nouvel épisode de la guerre entre le régime et les contestataires contribue à fragiliser le pouvoir en insinuant le doute et la psychose auprès de sa base et de ses soutiens. « Le régime peine à admettre qu’il n’est plus le maître du jeu, conclut l’observateur occidental. Il pense toujours tout savoir d’une société, mais on est aujourd’hui dans une situation presque inversée : cette société est devenue un remarquable service de renseignement que le régime ne comprend plus. Dès lors, il demeure vulnérable à une campagne d’assassinats, y compris à haut niveau. »

De fait, les contestataires disposeraient aujourd’hui d’un réseau d’informateurs au sein du système, dans l’appareil militaro-sécuritaire mais aussi dans l’administration, y compris parmi les fonctionnaires ou les simples employés. Ces complicités se seraient renforcées au cours des dernières semaines : des consignes ont été données à ceux qui souhaiteraient faire défection de rester à leur poste pour mieux servir la révolution.

Leur presse (Caroline Donati, Mediapart, 24 mai 2012)

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