[Mort aux pauvres !] In memoriam Marcel Dumas

La Rochelle : « On l’a poussé au suicide »

Accusé de fraude, Marcel Dumas, un chômeur de 56 ans, s’était donné la mort. Sa sœur dénonce.

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Depuis le début des années 1990, Marcel Dumas vivait d'emplois aidés et de petits boulots.

C’était le 30 décembre 2010. Marcel Dumas avait punaisé un petit mot sur la porte de sa maison de Saint-Xandre, en Charente-Maritime : « Je suis mort », puis il était allé se pendre.

Un passant intrigué avait alerté les secours. Les gendarmes ont découvert le corps un peu plus tard, trop tard.

De l’avis de ses proches, Marcel n’était pas dépressif, encore moins suicidaire. Il était juste au bout du rouleau. À 56 ans, chômeur, avec 600 euros par mois pour survivre, il venait de recevoir un recommandé du Pôle emploi lui enjoignant de rembourser un trop-perçu de 8944,76 €. Aucun justificatif n’accompagnait ce courrier type à la sécheresse tout administrative. Pas de décompte des sommes dues non plus, mais un échéancier à respecter : 1789 euros par mois pendant cinq mois. « D’être considéré comme un fraudeur, il ne l’a pas supporté », résume Marie-Lise Deschamps.

Vingt ans de chômage

Marie-Lise, c’est la grande sœur de Marcel. Elle dit n’avoir découvert la détresse de son frère qu’après sa mort, en épluchant ses maigres papiers. « Il ne parlait jamais de ses problèmes. J’ai appris plus tard qu’il était obnubilé par cette affaire. Sa hantise, c’était qu’on lui prenne sa maison, qu’il se retrouve à la rue. Pour moi, il est clair qu’on l’a poussé au suicide. »

Marie-Lise décrit son cadet comme un vieux garçon « renfermé » mais « qui n’aurait jamais fait de mal à personne ». Quelqu’un de « démuni », « sans défense », avec son certificat d’études pour seul bagage. Électricien de marine, il avait été mis au chômage par la fermeture du chantier Gib Sea de Marans, au début des années 1990. « Il n’avait pas retrouvé de vrai travail depuis. Il vivait d’emplois aidés, de petits boulots à droite à gauche. »

En 2007, Marcel Dumas est recruté par la Maison des chômeurs de La Rochelle. 26 heures par mois payées 200 euros. Qu’il porte consciencieusement sur sa déclaration de revenus. Son « conseiller référent » de l’ANPE est au courant, comme en témoignent les fiches de liaison de 2008 que Marie-Lise a retrouvées.

Pourtant, à l’automne 2010, le Pôle emploi l’accuse de ne pas avoir déclaré cette activité. Le radie provisoirement, suspend ses droits et lui notifie le trop-perçu. Puis, s’agissant de l’ASS, une allocation d’État, le dossier est transmis à la préfecture. La machine est en marche.

Le 28 décembre 2010, le Pôle emploi convoque Marcel Dumas à un entretien pour le 5 janvier. Puis lui signifie sa radiation le 10 pour cause d’absence au rendez-vous. Il était mort depuis onze jours.

Pas de faute

Une bavure dans la chasse aux petits fraudeurs ? Marie-Lise Deschamps en est convaincue. Elle en veut à ce conseiller référent qui savait et n’a rien dit, qui n’a pas voulu voir la bonne foi de Marcel et sa détresse. « Curieusement, il a été remplacé juste après la mort de mon frère. »

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Dominique Morin, directeur régional de Pôle emploi (à droite)

Si elle s’est décidée à parler, c’est « pour que cela ne se reproduise pas ». C’est aussi pour combattre ce sentiment d’impuissance qui la hante depuis un an. Le procureur de la République de La Rochelle a classé sa plainte sans suite pour « absence d’infraction ». La Direction du travail et de l’emploi a reconnu, tardivement, qu’il n’y avait pas eu fraude, les bénéficiaires de l’ASS pouvant sous conditions cumuler salaire et allocation. Mais personne, sinon lui-même, ne peut être tenu pour responsable de la mort de son frère.

Au Pôle emploi, le directeur régional de Poitou-Charentes, Dominique Morin, rejette tout lien de cause à effet entre la procédure engagée contre le chômeur et son suicide. Il exclut de la même façon tout dysfonctionnement de ses services : « Le fait déclencheur, c’est la non-déclaration des salaires. Marcel Dumas l’avait reconnu. Il nous avait contactés pour demander un échelonnement. Nous ne faisons qu’appliquer par délégation de l’État la réglementation que la loi nous impose. »

Pas de faute, pas de dysfonctionnement, les procédures ont été respectées. Mais si elles aboutissent à ce résultat, c’est qu’il faut peut-être les changer.

Presse (Pierre-Marie Lemaire, SudOuest.fr, 12 mai 2012)

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