Les affamés nord-coréens se livrent au cannibalisme
Un rapport sud-coréen, étayé de témoignages précis, fait état d’exécutions pour consommation de chair humaine.
C’est l’un des mystères les plus macabres de la tragédie nord-coréenne. De nouveaux témoignages inédits rapportent l’existence de plusieurs actes de cannibalisme récents en Corée du Nord, confirmant la fragilité de la situation alimentaire au royaume ermite.
Ces dernières années, les autorités ont exécuté au moins trois personnes pour cannibalisme, révèle un nouveau rapport publié mercredi à Séoul par un centre de recherche sud-coréen. Ainsi, en décembre 2009, un homme a été exécuté en place publique dans la ville de Hyesan, dans la province de Ryanggang, le long de la frontière chinoise, pour avoir tué puis dévoré une fillette de 10 ans, rapporte le Korea Institute for National Unification (Kinu). C’est la première fois que des témoignages d’actes cannibalesques sont étayés de façon aussi précise et publiés dans un rapport officiel.
Cet acte de cannibalisme serait la conséquence de la crise alimentaire aiguë déclenchée dans cette province par la réforme monétaire conduite la même année par les autorités, qui avait entraîné une hausse brutale des prix. « Une inflation énorme a soudain fait exploser les prix des denrées, poussant certaines personnes à bout », explique Han Dong-ho, l’un des auteurs du rapport.
En 2006, dans la ville de Doksong, un homme et son fils ont également été passés par les armes pour avoir mangé de la chair humaine, rapporte l’une des transfuges arrivée en Corée du Sud et interrogée par le Kinu. Cette femme fait partie des 230 réfugiés récemment arrivés de Corée du Nord, qui ont servi de sources aux experts de cet institut public, financé par le gouvernement sud-coréen. En 2011, un autre acte de cannibalisme se serait déroulé dans la ville de Musan, rapporte un autre transfuge.
Malnutrition aiguë
Le Kinu relativise l’ampleur du phénomène, soulignant qu’il s’agit de cas isolés, rapporté par seulement une dizaine de transfuges sur les 230 interrogés. « Il ne faut pas surestimer l’importance du cannibalisme en Corée du Nord », explique Han. « C’est un sujet tabou, mais je ne crois pas à une pratique à grande échelle et de façon organisée », ajoute Daniel Pinkston, expert de l’International Crisis Group.
Ces témoignages confirment ceux rapportés par des ONG comme Citizens Alliance for North Korean Human Rights (NKHR) et montrent qu’en dépit d’une relative amélioration des circuits de distribution depuis la fin de la grande famine des années 1990, plusieurs provinces souffrent toujours de malnutrition aiguë. « La faim m’a fait perdre la raison, j’avais entendu dire que la chair humaine était meilleure que le porc et je me suis dit que nous allions tous mourir de toute façon », se justifiait fin 2007 une mère accusée par les agents du régime d’avoir dévoré sa fille de 9 ans.
Ce témoignage effrayant est rapporté à NKHR par Kim Hye-sook, arrivée à Séoul en 2009 après s’être évadée du Nord. Il rappelle les récits de l’époque de la grande famine, qui aurait fait plus de 1 million de victimes, selon certaines ONG. En 1997, Kim Eun-sun, alors enfant, se souvient de cet homme condamné pour avoir égorgé puis mangé sa fille, dont il avait enterré les restes dans sa bourgade d’Eundeok, à l’extrême nord-est du pays. « La population avait pitié de lui, en fait, car la faim rend fou, elle vous transforme en animal », explique Kim, aujourd’hui étudiante à Séoul et dont le père a été emporté par la famine.
Presse cannibale (Sébastien Falletti, LeFigaro.fr, 17 mai 2012)